Gottfried Locher, premier réformé à la tête de l'Institut d'études oecuméniques

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Gottfried Locher, premier réformé à la tête de l'Institut d'études oecuméniques

Anne-Sylvie Mariéthoz
23 décembre 2010
Pierre est le patron de Rome, André celui de Constantinople. Le patriarche Athénagoras a offert cette icône à Paul VI à Jérusalem en 1964.

Le nouveau président de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), Gottfried Locher, a dirigé pendant quatre ans l'Institut d'études œcuméniques de l'Université de Fribourg. Il a été le premier réformé à conduire cette organisation.


Les nouvelles fonctions de M. Locher l'obligent à quitter son poste de directeur, mais il compte bien rester en contact avec ce centre de compétences oecuméniques, a-t-il expliqué à ProtestInfo. Le dominicain Guido Vergauwen lui succède. Le nouveau directeur se félicite de disposer, en la personne du Bernois, d'un lien direct avec la FEPS.

Créé en 1964 en plein Concile Vatican II, l'Institut d'études œcuméniques est directement inspiré par l'esprit du Concile. Le décret Unitatis Redingratio (Restauration de l'unité), promulgué par le pape Paul VI cette même année, encourageait une "connaissance réciproque fraternelle" des chrétiens, incitant les facultés de théologie à promouvoir la cause de l'œcuménisme.

Ainsi l'Institut d'études œcuméniques a-t-il vu le jour avant même la fin de Vatican II. L'ISO (Institutum Studiorum Oecumenicorum) a toujours fait intervenir des personnalités appartenant aux différentes traditions chrétiennes et, comme l'explique son directeur, Guido Vergauwen, "il a dès le début entretenu des contacts étroits avec des théologiens réformés". C'est donc "tout naturellement "qu'un protestant s'est retrouvé à la tête de l'ISO pour la première fois en 2006, au sein de cette Faculté de théologie catholique.

Le chaud et le froid

Mais plus de quarante ans plus tard, que reste-t-il des belles aspirations de Vatican II? Un certain Joseph Ratzinger, éminent théologien ayant lui-même pris part au Concile, est devenu pape entretemps. Or en matière d'œcuménisme, il est connu pour souffler le chaud et le froid.

En 2007, une publication du Vatican réaffirmant que la seule Eglise catholique est la véritable Eglise du Christ, a semé la consternation chez les réformés. Malentendu ou vraie crispation des relations? En tout cas les voix ont été nombreuses à dénoncer cette déclaration, interprétée comme une attitude de repli de la part de l'Eglise catholique.

Mais le directeur de l'ISO n'est pas de cet avis. Selon lui, Benoît XVI vient de réaffirmer sa volonté d'avancer dans cette voie, notamment par la nomination de Kurt Koch au poste clé de président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. "Notre pape a fait un excellent choix, qui prouve que cette question lui tient à cœur", affirme Guido Vergauwen.

L'ancien évêque de Bâle est en effet connu pour son engagement dans le dialogue œcuménique, question à laquelle il s'est consacré tout au long de sa carrière. Il a de plus l'avantage de connaître le protestantisme de près et "pas seulement à travers les livres", une caractéristique qui correspondait précisément au vœu de Benoît XVI, a précisé Kurt Koch dans une lettre ouverte pubiée l'été 2010.

Plus récemment, le 17 septembre, en présence des plus hautes autorités anglicanes, le pape a comparé la démarche œcuménique à un long cheminement vers la réconciliation, une sorte de pèlerinage dont on ne connaîtrait pas la fin. Dans des termes analogues, Guido Vergauwen souligne que "l'effort de compréhension des traditions mutuelles est toujours à recommencer, ce n'est pas une tâche qui aboutit une fois pour toutes. Les Eglises doivent apprendre à mieux se connaître et à déconstruire les préjugés".

L'Université peut apporter sa contribution

Or l'Université peut apporter sa contribution spécifique en ce sens, en tant que lieu d'apprentissage et de rencontres. Les cours dispensés par l'ISO font partie intégrante du cursus de formation en théologie catholique, de sorte que les étudiants sont, "dès le début de leur formation, confrontés aux autres traditions, à l'histoire et aux enjeux de l'œcuménisme", souligne le directeur de l'ISO.

Mais selon Gottfried Locher, "la grande force de l'Institut réside surtout dans le fait qu'il réunisse des personnalités appartenant aux différentes traditions chrétiennes et assumant chacune des responsabilités dans leur Eglise respective". C'est le cas de M. Locher à la FEPS, mais aussi du diacre Augustin Sokolovski, enseignant au séminaire orthodoxe russe de Paris et à l’académie de théologie orthodoxe à Kiev.

L'ISO a tissé au fil du temps un réseau précieux qui lui permet d'être en prise directe avec les événements et d'être reconnu comme un véritable centre de compétences de l'œcuménisme (voir encadré). "Les Eglises se trouvent toutes face à d'importants défis actuellement. Elles doivent redéfinir leur présence et leur rôle dans le monde. Et là, toutes les traditions sont sollicitées", conclut le directeur de l'ISO.

 

Un Institut aux multiples facettes

L'Institut d'études œcuméniques est chargé de l'enseignement de la théologie œcuménique au sein de la Faculté de théologie de l'Université de Fribourg. Il organise également des colloques scientifiques, des programmes d’échange pour étudiants des autres traditions ecclésiales et des voyages d’études.

Pour soutenir ses activités de recherche et d'enseignement, l'ISO s'est très tôt constitué une bibliothèque œcuménique, à laquelle se sont joints d'autres fonds spécialisés - comme la bibliothèque héritée du théologien protestant alémanique Walter Nigg (pasteur de la paroisse de Dällikon-Dänikon et professeur titulaire en histoire de l’Eglise à l'Université de Zurich).

L'ISO est conduit par son directeur et par un conseil des membres, auquel participent différents professeurs et assistants de la Faculté de théologie intéressés par les questions œcuméniques, mais aussi deux représentants des Eglises réformées et quatre personnes issues des traditions orthodoxe et de l'Ancien Orient (Eglise apostolique arménienne notamment).

Liens internationaux

L'Institut entretient des liens étroits avec diverses instances œcuméniques suisses et européennes. Son directeur préside la commission œcuménique des évêques, tandis que plusieurs membres du directoire assument des responsabilités dans le monde œcuménique.

Ainsi la professeure de théologie Barbara Hallensleben participe en tant que consultante au Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens. Le prêtre orthodoxe roumain Viorel Ionita est professeur à la faculté de théologie orthodoxe de Bucarest et directeur de la commission Eglises en dialogue de la Conférence européenne des Eglises (KEK). Quant à l'abbé Claude Ducarroz, Prévôt de la Cathédrale de Fribourg, il est membre du groupe des Dombes.

Les publications de l'ISO, les séries Epifania et Studia Oecumenica Friburgensia notamment, s'adressent à la communauté universitaire et de façon générale à toute personne qui s'occupe de questions œcuméniques. L'ISO attribue deux prix - Prix Leuba et Rose d'argent de Saint-Nicolas - récompensant des personnes favorisant la compréhension mutuelle des différentes communautés chrétiennes.L'œcuménisme, selon M. Locher

Extrait d'une interview accordée le 15 juin 2010 par M. Gottfried Locher à la KIPA/APIC (agence de presse internationale catholique)

Apic : Comment se porte l'œcuménisme en Suisse, selon vous?

Gottfried Locher : Cette question me préoccupe, car nous ne parvenons pas à nous accorder suffisamment pour parler d'une seule voix. Mais je me suis assez longtemps investi sur cette question - sur les plans académique et ecclésial - pour savoir qu'il est inutile de vouloir forcer les choses. Il reste beaucoup de travail à accomplir sur de nombreux points. Il s'agit de réfléchir au-delà de nos ministères respectifs, au-delà de la liturgie. Nous ne pouvons pas espérer trouver notre voix commune puis résoudre les problèmes ensuite.

Apic : A l'intérieur des Eglises elles-mêmes, les voix ne sont pas toutes à l'unisson.

G. L. :
Cela nous console en quelque sorte. Du point de vue protestant, l'Eglise catholique présente une image très claire de ses dogmes. Mais dans les faits, son paysage religieux est moins homogène qu'il n'y paraît.

Apic : Quel objectif doit poursuivre le mouvement œcuménique? Former une seule Eglise?

G. L. : Le Corps du Christ est un et c'est cette unité qu'il s'agit de manifester. L'objectif n'est pas de former une Eglise, mais plutôt un ensemble d'Eglises et de communautés ecclésiales partageant cette unité et exprimant cette cohésion. Il faut des structures et des éléments permettant de manifester cette unité. Les différentes confessions ne sont pas parvenues à s'entendre sur ce point jusqu'ici. Les réformés le voient très différemment des catholiques et les catholiques ne l'entendent pas de la même manière que les orthodoxes.

Apic : Comme un idéal qui ne pourrait pas être atteint ?

G. L. : Ce n'est pas ainsi que je le conçois. Encore une fois, il ne s'agit pas tant de former une Eglise qu'une communauté d'Eglises. Il en va de même pour la Fédération des Eglises: si elles ne parviennent pas à former une communauté et à partager une même identité, l'œcuménisme n'est pas non plus réalisable entre les différentes confessions.Liens