«Noël célèbre le mystère qu’est la vie»
Le pasteur Emmanuel Rolland, aujourd’hui secrétaire général adjoint à la mission de l’Eglise protestante de Genève (EPG), confirme le fort attachement des chrétiens – de foi ou de culture – au récit de Noël. Il en livre les principales raisons. Interview.
Vous avez célébré de nombreux Noël, notamment à la cathédrale Saint-Pierre, quelle est la particularité de ce moment?
Le premier mot qui me vient à l’esprit, c'est «fédérateur». Chaque famille a ses temps forts, ses moments de rassemblements privilégiés. A Noël, vous y ajoutez une dimension mondiale. Noël rassemble la famille humaine autour de la crèche de Bethléem, et c'est ce qui distingue cette fête de toutes les autres. Elle a ce caractère universel, presque cosmique, puisqu’en fait, si j’ose dire, on fêtait Noël avant même que Noël existe, à travers la fête du Solstice qui marquait le retour de la lumière. Noël est donc aussi profondément enraciné dans le cycle de la nature. Que les ténèbres diminuent et la lumière croisse, ça parle à tous les cœurs.
Que viennent y chercher ceux qui n’entrent dans une église qu’une ou deux fois par an?
C’est le signe qu’on ne vit pas que de pain, de champagne et de foie gras mais aussi de paroles, de chants, de musiques, autrement dit de toutes les formes d'art sans lesquelles la vie manquerait de hauteur et de profondeur. Il y a une belle expression: «le mystère de Noël». Non parce que Noël est un mystère, mais parce que la vie est un mystère. Au fond, c'est le mystère qu'est la vie que l'on fête à Noël.
En tant que pasteur, se prépare-t-on différemment à ce culte, qui rassemble des publics très différents?
Oui. Et paradoxalement, Noël n’est pas le jour – ni la nuit – où il faut faire preuve de fantaisie, car beaucoup de gens viennent chercher les liturgies traditionnelles. Dans un temple réformé, un Noël sans le récit de la naissance de Jésus et les cantiques Voici Noël, D’un arbre séculaire ou Viens Peuple fidèle, ce ne serait pas vraiment Noël. Donc on se prépare en faisant attention à ce que chacun trouve ce qu’il est venu chercher: la tradition de Noël dans ce qu’elle a de plus beau et de plus vivant. A nous de lui donner du souffle!
Pourquoi les chrétiens sont-ils si attachés au récit de la Nativité?
Parce qu'il est très humain! C'est le récit d'un homme, d'une femme, d'un bébé; d'un accouchement dans une certaine solitude, à l'abri du bruit et de la fureur de l'histoire. Quelque chose de très ordinaire dans lequel surgit l'extraordinaire. Tout le monde se presse pour le recensement de César Auguste mais l'essentiel est ailleurs. L'essentiel est dans cette vie intime ordinaire, banale sur laquelle le récit braque la lumière. Il ne s’agit pas de la grande vie politique et médiatique, mais simplement de la vie de cet homme et de cette femme qui sont en route vers Bethléem et qui attendent un enfant. C’est là que Dieu est à chercher et c’est là qu’il se laisse trouver.
Quel est le message de ce récit, et quel sens lui donner aujourd’hui?
Il y a bien des messages possibles autour de la Nativité. On peut évoquer la migration de Marie et Joseph, en route avec des moyens précaires vers Bethléem où «il n'y a pas de place pour eux dans l’hôtellerie». On peut aussi parler de cette espèce «d'écologie divine», qui choisit l'économie de moyens: une étable avec de la paille plutôt qu’un palais surchauffé. On peut évidemment parler, en ce moment, de la Palestine, déjà à l'époque en proie à des violences inouïes liées à l'occupation romaine. C’est ce monde furieux – aujourd’hui à feu et à sang – qu’éclaire et adoucit la voix des anges: «Paix sur la terre aux hommes et aux femmes de bonne volonté».
Qu’en retenir, justement?
Élisabeth Parmentier (doyenne de la Faculté de théologie de l’Université de Genève, ndlr.), au moment du déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas écrivait dans le journal Réforme: «Devant les manifestations de haine et de peur de l'autre qui ébranlent nos sociétés, aimer son prochain est plus que jamais une exigence radicale pour les chrétiens.» C’est ce qu’elle appelle «l’effet papillon». Noël nous rappelle que le moindre froissement de douceur, dans ce monde de brutes, peut avoir des effets colossaux. Fêter Noël, c’est prêter foi à l’effet papillon.
Mais comment se réjouir alors que le monde va si mal?
Nous vivons en effet abreuvés, saturés de «mauvaises nouvelles». Mais il y a, au milieu de toutes les mauvaises nouvelles, de «bonnes nouvelles». C'est d’ailleurs le sens même du mot «Evangile». Et la bonne nouvelle de Noël, c'est que dans ce monde où tant de choses vont mal, une puissance de vie et d'amour est à l'œuvre. Une puissance qui peut réparer, consoler, transformer ce monde.
Croire n’est pas toujours chose aisée. Diriez-vous que la foi est un cadeau?
Croire est la chose la mieux partagée du monde. La crédulité humaine n'a même aucune limite, hélas! Tout le monde peut croire à peu près tout et n'importe quoi. Croire en Dieu, c'est autre chose. Croire en Dieu, c'est se mettre face à quelqu'un qui nous interpelle, qui nous pose des questions, qui nous critique, qui nous surprend. Croire en Dieu, c’est d’abord se mettre à écouter quelqu’un qui ne pense pas forcément comme moi, qui me fait réfléchir et peut donc me transformer. Alors, oui, en ce sens-là, c’est un vrai cadeau. Savoir qu’on ne sait pas tout qu’on a beaucoup de choses à apprendre et qu’il faut accepter de se laisser corriger et traversé par cette puissance du bien qui veut nous rendre meilleurs. C’est le cadeau d’être comme des enfants, toujours en éternel apprentissage.
Est-ce à dire qu’il faut, pour croire, retrouver son âme d’enfant?
Oui, si dans le mot «enfant» vous pensez à celui qui sait qu’il ne sait pas tout, qui est curieux, qui s'éveille en posant des questions. Oui encore, si derrière le mot «enfant», vous parlez de leur intensité de présence au monde. Quand vous voyez les tout-petits jouer, si concentrés sur ce qui ne nous occupe pas, nous les adultes, en train de taper sur nos écrans quand eux, s’émerveillent du monde qui les entoure! Retrouver son âme d'enfant, c’est retrouver le sens d’un certain émerveillement et une conscience de sa propre vulnérabilité, de sa propre petitesse.
C’est-à-dire ?
L’adulte oublie ce que sait bien l’enfant, à savoir que nous ne pouvons pas vivre seul, mais que nous dépendons les uns des autres. Croire en Dieu, c’est aussi croire que je ne peux pas vivre sans l’autre. L’autre n’est pas mon ennemi. C’est ma sécurité.
Beaucoup de gens expriment avoir été déçus par les Eglises. En quoi sont-elles encore essentielles?
Les Eglises sont par nature très décevantes. Elles veulent sans cesse s’agrandir quand Dieu se fait tout petit. Elles veulent s’imposer, quand Dieu ne s’impose jamais mais s’offre, à Noël, dans la figure de celui dont il faut prendre soin, le bébé dans la crèche. Comment voulez-vous qu’elles ne soient pas «décevantes»? Mais elles demeurent néanmoins essentielles parce qu’elles abritent le trésor de cette Parole, celles de l’enfant né de la crèche mort sur la croix, qui alluma un feu qui éclaire et réchauffe et que les Eglises devraient avoir pour seule mission d’entretenir.