La cause palestinienne

La Palestine et ses droits / Pixabay
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La Palestine et ses droits
Pixabay

La cause palestinienne

25 juin 2021

Quand le dernier embrasement du conflit israélo-palestinien a eu lieu il y a un peu plus d’un mois, les médias suisses en ont bien sûr abondamment parlé, le plus souvent avec l’habituel parti pris en faveur d’Israël qui a "le droit de se défendre contre les actions terroristes du Hamas".Toute aussi habituelle a été la manière de présenter les événements, qui occulte la véritable cause du conflit:  l’occupation illégale par Israël des territoires palestiniens, contre laquelle les Palestiniens s’opposent depuis 54 ans. Les médias protestants ont eu le mérite de diffuser une information quelque peu plus nuancée. Ainsi, dans l’article intitulé Quel rôle la religion joue-t-elle dans la reprise du conflit en Israël?du 17 mai de Réformés.ch il est dit que "au fond, le conflit israélo-palestinien est une dispute pour des terres" ou encore "un conflit foncier". L’article relève à juste titre qu’à l’origine de l’embrasement du mois de mai était la menace de l’expulsion imminente de six familles palestiniennes de leurs maisons à Sheikh Jarrah, un quartier de Jérusalem Est (il aurait  convenu de rappeler que ces expulsions sont monnaie courante). A cela s’ajoute la provocation des groupes d’extrême droite juifs, également relevée dans cet article, qui ont défilé dans ce quartier le 10 mai à l’occasion de la Journée de Jérusalem, une fête commémorant ce qui en Israël est appelé l’unification de la ville.

Cependant, dans cette présentation qui se veut équilibrée et juste, il faut être attentif à l’usage de certains mots. A la rigueur on peut vouloir dire que les revendications de Juifs qui réclament le droit de s’installer dans des maisons habitées par des Palestiniens est un problème foncier, parce qu’il y a question de titres et de registres sous plusieurs régimes qui se sont succédé: la Palestine sous mandat britannique, la Jordanie de 1948 à 1967, l’État d’Israël. Mais de là à affirmer que le conflit israélo-palestinien se résume à une dispute pour des terres est une mystification d’un état de fait autrement plus grave. L’installation de dizaines de colonies juives en Cisjordanie et leur agrandissement perpétuel n’est pas la conséquence de disputes de terre, mais d’une politique délibérée d’occupation. L’annexion de la rive droite du Jourdain, mise en sourdine pour le moment, n’est pas une affaire foncière mais une stratégie de prendre en tenaille ce qui reste d’une autonomie palestinienne déjà très morcelée. De même, parler de l’unification de Jérusalem sans rappeler que  les Palestiniens appellent cela la conquête de leur partie de la ville, s’apparente au même raisonnement que Trump a fait valoir pour déménager son ambassade.

Il faut appeler les choses par leur nom. C’est l’appel de Kairos Palestine[1]du 14 mai dernier, adressé au Conseil oecuménique des Eglises, au Saint Siège et aux dirigeants des Eglises du monde entier: "appelez les choses par leur nom, dites la vérité face au pouvoir, prenez le parti des opprimés."Kairos Palestinen’est pas le premier à parler ainsi: son message renvoie à l’un de ces prophètes de l’Ancien Testament qui ne craignaient pas de parler vrai au peuple élu, et le cite: Ainsi parle le Seigneur: défendez le droit et la justice, libérez le spolié du pouvoir de l’exploiteur (Jérémie 22: 3).

Cela dérange, ce n’est pas très équilibré, cela ne respecte pas assez les susceptibilités des uns et des autres ... mais c’est biblique.

Kairos Palestineinsiste sur le contexte des événements tel que perçu et vécu par les Palestiniens: l’interdiction de l’accès à la place de la Porte de Damas, lieu de rassemblement populaire des musulmans à la fin du jeûne quotidien, la violation par Israël du statut quo concernant  l’esplanade de la Mosquée Al-Aqsa,  le siège par Israël que Gaza subit depuis plus de 14 ans, la réponse excessivement disproportionnée d’Israël aux factions militaires de Gaza (Kairos Palestine ne justifie aucun acte de violence), l’occupation brutale des Palestiniens par Israël depuis des décennies qui est façonnée par un système grandissant de politiques, de lois et de pratiques punitives racistes. Il répète, "encore et toujours" son message de 2009 à la communauté internationale: "Arrêtez le principe de ‘double standards’ et appliquez les résolutions internationales concernant le problème palestinien à l’égard de toutes les parties". Et conclut: "La diplomatie de circonstance ne sert qu’à rendre plus puissants les oppresseurs. Des paroles vaines de condamnation ne suffisent pas. Nous n’avons pas besoin d’appels au calme et de déclarations d’église qui ‘demandent la paix’.

Aujourd’hui est encore un temps de Kairos qui demande aux personnes de foi des actions prophétiques."

Cet appel, réformés.ch l’a reçu mais n’en a soufflé mot. De même, le message des Patriarches et Chefs d’Eglise de Jérusalem du 9 mai, "préoccupés par la situation des croyants d’Al- Aqsa et des familles de Sheikh Jarrah" et la déclaration sur la montée des violences à Jérusalem Est de l’Evêque de l’Eglise Evangélique Luthérienne en Jordanie & en Terre Sainte du 8 mai n’ont été mentionnés dans aucun des articles. Dans ces deux missives il est notamment question du non-respect par Israël du Statut Quo sur les sites sacrés à Jérusalem, une entente qui est de la plus haute importance pour les églises de la ville.

Cette propension à ignorer la voix des chrétiens palestiniens quand il s’agit du conflit israélo-palestinien est troublante. Serait-ce parce qu’ils ne sont plus qu’une infime minorité, moins de 2% de la population palestinienne? Il faudrait alors se rappeler que la diminution constante de leur nombre notamment à Jérusalem, est – en tout cas en partie – aussi le résultat d’une politique de harassement et d’éloignement voulue par Israël. Les Patriarches et Chefs des Eglises de Jérusalem s’en sont plaintes maintes fois dans des déclarations sollicitant l’appui et la solidarité des Eglises en Europe et aux Etats-Unis. Ou s’agirait-il du fait que la plupart des chrétiens de Palestine se déclare résolument solidaire de la lutte  de leur peuple pour une nation souveraine? Qu’ils soient orthodoxes, anglicans, luthériens, catholiques ou évangéliques – et oui, il existe des églises évangéliques en Palestine – ils partagent la conviction qu’il ne peut y avoir un droit divin de retour à la terre promise des Juifs au dépens du droit de leur peuple. Serait-ce là, la véritable raison de ne pas vouloir écouter la voix de ceux qui, du point de vue de leur foi, sont pourtant plus proches de nos églises que les Juifs et les Musulmans? Surtout de nos églises protestantes, pour lesquelles la place qu’elles donnent à Israël dans le dessin de Dieu les empêche de nommer et de dénoncer les injustices d’un état qui se veut laïque et démocratique.

Le reportage de Protestinfo du 25 mai sur La colère des Arabes israéliens, qu’on a pu écouter sur les ondes de Hautes fréquences, était excellente. En une demi-heure on a pu entendre une militante dénonçant la politique discriminatoire d’Israël et un dirigeant prêt à rejoindre un gouvernement avec Netanyahou. Pourquoi ne pas avoir donné, ne serait-ce que pour cinq minutes, la parole à un chrétien arabe israélien?

Toutefois, ce qui pose encore plus question est l’article de réformés.ch du 16 juin: Israël: juifs et arabes, le dialogue au temps des émeutes. Y est invoqué comme unique source d’information  … le Shin Beth, le service de renseignement intérieur israélien. Pour dire que certes, il y a eu des excès de violence et des comportements inadmissibles des deux côtés, mais qu’il faut prendre en considération les proportions: 7000 Arabes israéliens qui ont commis 70 actes terroristes, et 500 Juifs qui en ont perpétré 5. En outre, parmi ces Arabes, la plupart de ces émeutiers avait des antécédents criminels et était dépourvu d’une conscience nationaliste ou religieuse développée. D’ailleurs, toujours selon le Shin Beth, seulement 20% des Arabes israéliens aspirent à ce que le Shin Beth appelle une "révolution nationale-religieuse" et, plus rassurant encore, moins de 1% serait prêt à se lever et à agir. Et tout cela est présenté sans la moindre mise en garde que dans un conflit, s’appuyer sur la seule version du plus fort demande pour le moins une réserve certaine ... l’abc de la déontologie journalistique. La révolution nationale-religieuse, le terme consacré en Israël pour la revendication d’une indépendance palestinienne. Depuis quand le droit d’un peuple d’avoir sa nation à elle est une révolution?

500 Juifs extrémistes? Le 15 juin a eu lieu la marche que la police israélienne avait partiellement déviée le 10 mai, sous l’escorte des forces de sécurité. Ils étaient cinq mille, en criant "mort aux Arabes, Mohamed est mort, le deuxième Nakba vient, votre religion est de l’ordure, la Palestine est morte, un Arabe est le fils d’une putain".

 

 

[1]Kairos Palestine,  mouvement chrétien oecuménique et non-violent palestinien, est l’auteur du document Un Temps de Vérité, lancé en 2009, affirmant que les chrétiens palestiniens font partie intégrante de la nation palestinienne, appelant à la paix pour mettre fin à toute souffrance en Terre Sainte en oeuvrant pour la justice, l’espérance et l’amour. Ce document fut signé par toutes les organisations chrétiennes palestiniennes historiquement reconnues, et adopté par les Patriarches et Chefs des Eglises de Jérusalem.

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