Prenons nos désirs pour des réalités!

A-t-on encore le droit de poser des limites? / IStock
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A-t-on encore le droit de poser des limites?
IStock

Prenons nos désirs pour des réalités!

14 septembre 2021

« L’État n’a pas à dicter les comportements et les mœurs » répétait récemment Madame la Conseillère fédérale Karin Keller-Sutter dans les débats précédant le vote sur le « mariage pour tous ». Encore heureux ! dirons-nous, tant cela nous paraît évident.

Le libéralisme s’est peu à peu imposé en Europe au lendemain des guerres de religion qui la ravageaient et au cours desquelles des honnêtes gens s’entretuaient avec zèle au nom de leurs convictions religieuses et de leurs manières de comprendre le bien. Depuis, il existe - en occident du moins - un consensus pour dire qu’il n’appartient pas à l’État d’imposer à ses concitoyens ce que sont le bien et le mal, ni de vouloir faire le bonheur de ses concitoyens. Dans l’État libéral, les convictions doivent impérativement être reléguées dans la sacro-sainte sphère privée, là où l’on nous répète qu’elles doivent y rester bien confinées pour ne pas contaminer le débat politique. 

J’aimerais me tromper, mais je crois que le vrai sujet de la votation du 26 septembre prochain n’est pas comme on le croit de reconnaître et légitimer des préférences affectives, ni d’octroyer des droits à des partenaires du même sexe (je n’y vois par ailleurs aucun problème), mais pose une question de société, infiniment plus complexe : celle des limites. Y a-t-il une limite à la satisfaction de nos désirs ?

Car reconnaissons-le, nous vivons dans une société qui a fait de la maximisation des désirs individuels un droit sacré ; un totem auquel on ne saurait toucher sous peine d’être traité de pisse-froid, de « protestant » et d’être excommunié du club de la bien-pensance, jugé hérétique par ses inquisiteurs.

Lorsqu’en Occident, nous scandons le beau mot de liberté pour le revendiquer et le défendre, je crains qu’en réalité, nous ne réclamions le plus souvent que la possibilité d’assouvir sans restriction nos désirs.

Dans cette logique, même les apories biologiques ne sauraient nous résister, car c’est bien connu, elles ne servent qu’à nourrir des constructions sociétales dont le but est d’assigner des personnes à des rôles et de créer des discriminations insupportables quant à leur capacité à satisfaire leurs propres désirs. Il faut bien évidemment contourner ces obstacles de toute urgence puisque les progrès scientifiques et technologiques nous permettent de réparer l’outrage. Bienvenue dans le monde où l’homme augmenté sera bientôt la norme. Le fait que ce monde ait déjà commencé n’est pas une raison suffisante pour autoriser son extension.

Dans ce contexte, se poser la question des limites c’est soulever aussitôt une question des plus embarrassantes : « au nom de quoi ? ». Généralement les seules limites que l’on accepte dans un état libéral, sont celles du respect de l’intégrité d’autrui (physique et psychique) et de la propriété individuelle, ce qui – notons-le – ne nous empêche pas d’avoir des comportements nuisibles, comme de polluer sans vergogne la planète pour satisfaire nos désirs, dont certains se révèlent – en toute rationalité – d’une futilité inversement proportionnelle aux effets destructeurs qu’ils génèrent pour notre environnement.

Toute critique de la sacralisation de nos désirs, qu’elle repose sur des convictions philosophiques, éthiques, culturelles, anthropologiques ou pire encore « religieuses » (comment peut-on encore y faire référence au 21e siècle sans être un peu niais ?) sera aussitôt discréditée, jugée passéiste, réactionnaire.

Même les discours scientifiques sont suspects dès lors qu’ils pourraient alimenter ne serait-ce que l’esquisse d’un questionnement ou d’un doute dans la tête du citoyen ou légitimer le recours à l’adoption de nécessaires limites.

« Il est interdit d’interdire » ; « prenons nos désirs pour des réalités », ces slogans – prétendument libertaires – qui fleurissaient à Paris en mai 68 n’ont fait – en réalité - que participer à l’avènement du consumérisme mondialisé, cette religion de la jouissance décomplexée ; au demeurant la seule religion qui ait réussi à s’imposer universellement sans contrainte et avec notre plein consentement – chapeau bas !  Qui l’eut cru : les soixante-huitards ont ainsi contribué à écrire la seule loi qui assure l’hégémonie du marché tout-puissant : « tu ne critiqueras pas la religion du désir sans limites ! » La transgresser est blasphème !

Je sais que ce n’est pas le but des initiants, mais de fait, l’ouverture de la PMA va peu à peu permettre l’élargissement du marché de la procréation. Les perspectives économiques sont bonnes au vu des marges que permettront certaines paillettes et utérus vendus sur catalogue.

Rendre la procréation disponible n’est que le prolongement logique de la disponibilité du monde par laquelle l’homme ne cesse de mettre la main sur la planète et le Vivant et dans laquelle la crise écologique sans précédent que nous connaissons prend sa source.

« Un homme, ça s’empêche », écrivait Camus dans le « Premier homme ».

Mais, pour « s’empêcher », ne faut-il pas que l’homme puisse mobiliser des convictions intérieures fortes (celles-là mêmes que l’on s’acharne à vouloir confiner dans les alcôves de la sphère privée ou que l’on disqualifie comme passéiste) afin que sa raison ne soit pas systématiquement aliénée par la tyrannie de ses désirs et de ses frustrations ?

Une chose est sûre, alors que l’on pensait s’en être débarrassé, la question des limites ne va cesser de revenir hanter le débat politique pour longtemps. Mais au nom de quoi ? Je vous le demande !

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