Bien vieillir: pas possible dans notre société de la compétition et de la performance…

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Bien vieillir: pas possible dans notre société de la compétition et de la performance…

17 août 2020

Corine Pelluchon est une philosophe française reconnue et écoutée - de plus en plus. Elle est très préoccupée par le besoin que notre société change pour limiter les dégâts majeurs liés au dérèglement climatique et à la diminution de la biodiversité. Dans son ouvrage « Réparons le monde - Humains, animaux, nature » (Payot & Rivages, 2020), elle présente et débat des changements de cœur et de comportements qui devraient être atteints/induits chez nos contemporains - ouvrage qui retiendra l’attention de celles et ceux qui réfléchissent et veulent agir vis-à-vis de à ces défis. Pour elle, il n’y a pas de progrès possible dans le sens d’une société durable sans refus du modèle libéral, avec ses incitations obsessionnelles à produire, à consommer et à épuiser les ressources non renouvelables.

Vieux moi-même, j’ai été intéressé par le chapitre qu’elle consacre à « La vieillesse ou l’amour du monde ». Extraits : « Vieillir échappe à notre volonté et nous impose l’expérience d’une passivité. Il s’agit de subir, de reconnaitre que ‘cela se passe’. A la différence du vieillissement qui est un phénomène de ralentissement, la vieillesse est un jugement. C’est le moment où un individu se dit qu’il est vieux parce qu’il a l’impression d’être mis à l’écart, disqualifié. Ce ne sont pas les phénomènes de déclin physique et intellectuel qui la conduisent à accepter ce verdict, mais le regard des autres » (quant à son seul ressenti personnel, on a tendance à penser que ce sont surtout les autres qui vieillissent !).

Pelluchon estime qu’il n’est guère possible de bien vieillir, et de mettre en place des politiques sociales et sanitaires adéquates (qui ne mettraient pas à l’écart les âgés), dans une société de la performance.  Pas possible de « parler de la prise en charge des plus vulnérables tout en continuant à cautionner une idéologie qui produit l’individualisme dont les effets sont censés être corrigés par des mesures d’austérité et des réformes. » « La valorisation de la performance et l’idéal de maîtrise sont de véritables obstacles à l’accompagnement des personnes âgées : non seulement ils les empêchent de trouver un sens à leur existence et de considérer le vieillissement autrement que de manière négative, mais de plus ils contredisent la notion de dignité qui est consubstantielle à notre responsabilité envers les plus vulnérables. »

Elle prend ses distances avec une certaine idée de l’autonomie – pourtant un principe dont (presque) tout le monde dit l’importance… « L’éthique de l’autonomie est (dans la doctrine libérale) une idéologie qui repose sur une conception étroite de cette notion et trahit une obsession de la maitrise de soi et de la performance s’opposant aux qualités qu’il est important d’acquérir quand on vieillit. »  Une politique de la vieillesse, même si elle garantit l’accès à des logements sains et à des loisirs, « sera vaine tant que l’on ne changera pas les représentations de la vie et de la valeur de la vie sur lesquelles repose notre société. »

 Pelluchon à sa dernière page : « Il est urgent de réorganiser le travail en fonction du sens des activités, au lieu de penser l’efficacité et l‘équité à la lumière de la rentabilité qui prévaut dans la production d’objets manufacturés. Cela exige la sortie de l’économisme lié au règne du profit (...) C’est en ce sens que la réflexion philosophique sur la vieillesse est radicale ; elle suppose l’amour du monde. »

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