On en fait tout·e un·e foin·paille!

Dieue s/Meuse, une localité de la vallée de la Meuse / CC0 Havang(nl)/Wikimédias
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Dieue s/Meuse, une localité de la vallée de la Meuse
CC0 Havang(nl)/Wikimédias

On en fait tout·e un·e foin·paille!

24 février 2021

À chaque parution de Réformés, je réponds à un certain nombre de lecteurs et lectrices. Début décembre, j’ai pensé qu’un condensé de mes quelques réponses pouvait intéresser un cercle plus large que celles et ceux qui nous avaient écrit et j’ai transformé une partie de mon argumentaire en billet de blog. Au vu des retours, je me suis dit que j’allais récidiver.

«Dieu·e» ne fait pas l’unanimité

Le mois passé, c’est «Dieu·e» en page 12 qui s’est attiré quelques foudres (par e-mail) et moqueries (sur les réseaux sociaux). Rappelons en préambule que Réformés n’est qu’un magazine rédigé en grande partie par des journalistes et qu’il ne faut pas le lire comme une directive officielle de l’Église, du Conseil synodal ou de Dieu sait quelle autorité religieuse.

Je pense que comme réformé·e·s, nous trouvons notre référence dans la Bible, et que pour pouvoir dire quelque chose à notre foi et à notre vie, elle doit toujours être interprétée, à la fois en lien avec le contexte de rédaction de ses différents textes, mais aussi en lien avec notre contexte, qui rend ces textes toujours neufs. La réflexion actuelle sur le genre permet justement d’entrer en dialogue avec ces textes à travers le prisme de notre perception actuelle, et de nous dire quelque chose sur nous-mêmes et notre rapport à l’A·autre.

Et donc, pour en revenir à «Dieu·e», je peux comprendre que ce féminin inventé puisse choquer les spécialistes de la grammaire, mais il ne devrait pas choquer les fidèles! Nombre de théologiennes et de théologiens insistent sur l’insuffisance d’une symbolique strictement masculine pour désigner Dieu, c’était en partie le thème de mon dernier billet et d’un article dans l’édition de décembre. (Dieu·e est d’ailleurs le nom d’un podcast édité par des femmes croyantes et féministes)

Je ne reviens pas non plus sur l’argument: «en français, le neutre c’est le masculin», il est tout simplement incorrect. En français il n’y a pas de neutre, il y a un «masculin qui l’emporte sur le féminin», une règle qui s’est imposée assez tardivement dans l’évolution de la langue et pour des raisons qui ne sont pas très glorieuses.

Et de toute façon, l’article en question ne parlait justement pas spécifiquement du Dieu judéo-chrétien: ce clin d’œil à l’écriture inclusive servait justement à mettre en avant la diversité des déités dans un article qui voulait embrasser diverses cultures. Je vais d’ailleurs vous livrer un secret des coulisses de nos rédactions: si le titre a changé entre le journal et le site web, c'est qu'il a été tributaire d’une réflexion actuelle sur la valorisation de nos contenus sur les moteurs de recherches et que Google ne comprend pas bien ce genre de subtilités. D’ailleurs, de ce point de vue là, le titre de ce billet est très mauvais.

Il y a un peu plus d’un an, pour répondre à cette même volonté de désigner la notion de dieu dans diverses cultures, l’exposition «Dieu(x) mode d’emploi» jouait sur l’alternance entre singulier et pluriel plutôt que sur une variation entre masculin et féminin comme nous l’avons fait. Bizarrement, à l’époque cela n’a choqué personne.  

Sacrés points médians

«Dieu·e» est défendable théologiquement j'en suis persuadé. Alors pourquoi cette graphie émeut-elle? À cause de l’écriture inclusive, évidemment! Il faut dire qu’elle fait parler d’elle, celle-là!

Ce mois, on a même reçu un petit commentaire avec un article à paraître, nous priant de ne pas le modifier pour rajouter des «·e·» partout! Demande que nous avons respectée, puisqu’à la suite d’un atelier de réflexion avec l’association Décadrée en décembre 2019, la rédaction a décidé de laisser la liberté à chaque rédactrice et rédacteur de recourir ou non à l’écriture inclusive. C’est une décision qui peut surprendre, puisqu’en principe dans un média l’on vise une certaine uniformité en matière d’orthographe et de typographie, mais c’est le compromis sur lequel nous nous sommes accordés. À ce jour, les textes écrits en langage inclusif restent minoritaires. Et à titre personnel, je ne le fais pas systématiquement. Mais alors qu’est-ce qu’ils marquent apparemment!

Si l’écriture inclusive horripile une partie de notre lectorat depuis un peu plus d’un an, cette question est au cœur de l’actualité romande, puisque la RTS a mené un travail de réflexion dans ce sens et que «Le Courrier» devrait bientôt se lancer. Du coup, le podcast «Le point J» de la RTS s’est penché sur cette question dans un intéressant épisode dans lequel intervient notamment Daniel Elmiger, linguiste à l’Université de Genève. À propos du point médian, il répond à Caroline Stevan: « Je ne pense pas que ce soit illisible. C’est plutôt l’idée derrière. C’est qu’il faudrait renoncer à ce masculin à valeur générique, et c’est ça qui dérange beaucoup de gens», explique le professeur. Il compare l’usage des points médians à une autre famille de conglomérat de signes typographiques apparemment dénué de sens. «Nous sommes habitués à être face à des abréviations. Si vous voyez “SG”, en Suisse, vous allez lire “Saint-Gall”, si vous avez “prof.”, vous allez lire “professeur”, etc. On sait gérer ça!» Le linguiste promet: «La difficulté va être de moins en moins grande. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune difficulté à dire “madame la ministre”, de parler de “la juge”, de parler de “l’écrivaine” parce que ces formes font désormais partie de l’usage. Elles ne sont plus discutées, alors qu’elles l’étaient encore il y a 25 ans.»

La force des symboles

Celles et ceux qui défendent le recours à ce fameux langage inclusif parient sur le fait que changer la manière dont on décrit le monde a un impact direct sur la façon dont on se représente le monde intérieurement, ce qui in fine a un impact sur la réalité. «Les études les plus récentes suggèrent même qu’il nous est impossible d’empêcher l’activation du lien “forme grammaticale masculine = homme”. Ainsi, même en demandant à une personne de penser le masculin comme une forme grammaticale générique, cela ne suffit pas à éviter l’activation de ce lien. La forme masculine devient donc réductrice –en termes de représentation–, car même si elle est souhaitée comme inclusive et générique (femmes et hommes), notre système cognitif peine énormément à la considérer comme telle», résume le Service de l’égalité entre femmes et hommes de l’Université de Fribourg sur son site web.

Comme média spécialisé en spiritualité, nous ne pouvons être que sensibles à cette notion de force des symboles. Alors, si quelques points médians suffisent à permettre aux écolières de se rêver chirurgiennes, informaticiennes ou bûcheronnes autant que les petits garçons, il me semble que le jeu en vaut la chandelle. Après tout, l’égalité entre femmes et hommes ne fait-elle pas partie des valeurs défendues par le christianisme réformé?

 

 

 

Post-scriptum

Ce n’est qu’après avoir publié mon billet, que j’ai cliqué sur le lien envoyé par une de mes collègues il y a quelques jours. Et je découvre sur le site du Monde, que l’on doit l’expression « écriture inclusive » à des théologiennes féministes de la fin des années 1970 en Amérique du Nord. Et c’est aussi la théologie qui a introduit cette expression dans la langue de Molière ! À l’origine, il est en particulier question de renonce au « il » pour désigner l’Esprit saint dans la liturgie. 

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