Deux jeunes théologiens romands à Karlsruhe

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Deux jeunes théologiens romands à Karlsruhe

26 septembre 2022

Emma Van Dorp et Elio Jaillet ont tous deux participé à la récente assemblée du Conseil œcuménique des Églises (COE) à Karlsruhe (31 août au 8 septembre). Avant celle-ci, Emma a vécu quatre jours avec 350 jeunes, puis a été déléguée de l’Église évangélique réformée de Suisse à l’assemblée. En plus de sa participation à l’assemblée, Elio a aussi passé une semaine avec 120 jeunes étudiants en théologie œcuménique dans le cadre de l’Institut œcuménique mondial (GETI). Interview.

 

Pouvez-vous dire ce qui vous a marqués ? 

Elio. Les temps de prière, d’échanges et d’études. Cette articulation ne se vit pas manière aussi forte en faculté de théologie. Ce sont notamment les chants produits par d’autres cultures que la mienne qui m’ont beaucoup touché.

Ce qui m’a aussi marqué est l’expérience du christianisme mondial avec des frères et sœurs qui vivent la même foi mais de manière différente. De prendre conscience que le christianisme est très vivant hors d’Europe.

Certaines controverses deviennent concrètes quand je suis avec des Ukrainiens, des chrétiens arabes ou du Pacifique dont les îles sont submergées. Cela remet des choses en perspective. Rencontrer des êtres humains donne une épaisseur tout autre aux conflits, surtout lorsque l’on on a prié ensemble. Cela me force d’effectuer un travail de description de mon propre contexte. Quelle est ma situation en Europe et en Suisse, notamment par rapport au récit de la sécularisation ?

 

Emma. Un des thèmes de l’assemblée des jeunes a été : « visiter nos blessures ». De grosses souffrances ont été en effet provoquées par les Églises. Il faut prendre conscience qu’il y a le mal au sein de l’Église et qu’on n’y voit pas toujours l’amour du Christ. Les populations autochtones, en particulier, demandent à être reconnues. Cela exige une authentique repentance.  

Dans notre message un quart des 19 lamentations est consacré au réchauffement climatique et trois propositions, dont la création d’un bureau pour les jeunes au COE. On s’est soudé en tant que jeunes. Durant une plénière de travail du COE, les jeunes n’ont pas beaucoup de possibilités de s’exprimer. Nous nous sommes alors mis d’accord pour intervenir ensemble. Cela a été fort d’être entendus et de proposer des solutions...

 

Quels élargissements avez-vous vécu ?

Elio. J’ai grandi avec une théologie qui sait que notre histoire n’est pas la seule. Sur le plan théorique je savais cela, mais j’ai pu le vivre pratiquement. J’ai découvert l’importance du récit : apprendre à raconter son histoire. Cela ne rend pas caduc la théologie que j’ai pratiquée à l’université. Mais si je viens en imposant mes prérequis, sans m’exposer, cela ne va pas marcher. Travailler avec des gens d’autres cultures élargit ma perspective. Ce qui est important pour moi est de clarifier ce que je crois et être prêt à laisser l’espace ouvert à d’autres récits. Cela veut dire laisser tomber un jargon derrière lequel on se cache.

Le thème de l’assemblée sur l’amour du Christ qui nous pousse à la réconciliation est fort. La prière du Notre Père nous unit. La dire dans chacune de nos langues est le meilleur exemple d’unité dans la diversité.

Emma. Quelle est ma place en tant que femme occidentale ? On a tellement à apprendre des autres théologies. Un pasteur congolais m’a dit qu’il utilisait de l’eau à la place du vin pour l’eucharistie, car ils n’ont pas de vin dans son village éloigné de tout. J’ai dû écouter son explication culturelle pour comprendre son argument théologique.

Ioan Sauca, le secrétaire général par intérim du COE, nous a dit : « on se réunit non parce qu’on est d’accord, mais parce qu’on ne l’est pas ». Cela m’a mise au défi, car je devrais me mettre à table avec beaucoup de gens avec qui je ne suis pas d’accord. Mais j’ai aussi trouvé notre point commun dans la communion avec le Christ. La richesse de cette assemblée a été de découvrir que l’Église est mondiale, culturellement et spirituellement et qu’on est tous ensemble parce que Jésus est notre Sauveur et qu’il nous pousse à être serviteurs.

 

Que signifie pour vous les nombreux appels à la « metanoia » et à la justice, lancés par cette assemblée ?

Elio. J’ai encore de la peine à comprendre ce que cela implique pour mon Église et mon pays, la Suisse. Que veut dire « je fais partie d’une Église qui a fait du mal dans cette situation » ? C’est compliqué, mais il y a certainement un travail à faire pour identifier des blessures qui ont été infligées dans mon contexte, comme par exemple, l’accueil ambivalent fait aux réfugiés juifs durant la 2e guerre mondiale.

Emma. Je dois apprendre à mieux connaitre mon contexte : où a-t-on fait le mal ? Sur le plan personnel j’apprends à me poser cette question : qu’ai-je fait en tant que femme occidentale qui a contribué à l’injustice ? Mais j’ai envie de me taire et d’écouter les voix fortes venant du Pacifique ou du Moyen Orient.

On ne peut parler de réconciliation s’il n’y a pas de justice. Cela a été répété tant de fois...mais que peut faire le COE ? Les appels et les bonnes intentions ne suffisent pas.

 

Qu’est-ce qui vous a fait vibrer durant cette assemblée ?

Elio. Dans son discours, Azza Karam, la secrétaire générale de Religions for peace, a exprimé que le Christ est aussi venu pour elle, en tant que musulmane. Elle a appelé de manière simple et directe l’assemblée à partager avec tous sans exclusion l’amour du Christ. Qu’elle puisse le dire ainsi, de manière aussi simple, m’a profondément ému. Comme Ioan Sauca l’avait exprimé sur le moment, je pense que ça a été une œuvre de l’Esprit parmi nous.

Emma. Personnellement, Dieu manifeste sa présence à mes côtés à travers mes émotions. Alors que nous avions de la peine à délivrer le message de l’assemblée des jeunes, le chant « we shall overcome » m’a fait verser des larmes. Une jeune ukrainienne m’a alors encouragée...je l’avais fait pour elle, le jour avant. La danse entre un jeune avec mobilité réduite sur une chaise roulante et une femme m’a aussi touchée : quel beau signe d’intégration !

 

Emma Van Dorp est assistante en théologie systématique à l’université de Genève.  https://www.unige.ch/theologie/faculte/collaborateurs/theologie-systematique/emma-van-dorp/

Elio Jaillet est chargé des questions théologiques et éthiques à l’EERS. Il vient de soutenir une thèse de doctorat sur le thème de la spiritualité à l’université de Genève. https://eliojaillet.ch/elio-jaillet/

 

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