l'Eglise éthiopienne, matrice de la Réforme

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l'Eglise éthiopienne, matrice de la Réforme

1 décembre 2017
Chronique
En grattant la figure de Luther, on trouvera la multitude de voix et de vies qui se sont consacrées au même but que le moine de Wittenberg mais qui ne sont pas entrées dans nos livres d’histoire de la Réforme, avance notre chroniqueuse Muriel Schmid.

Le 21 octobre dernier, le site d’information Commercial Appeal publiait un article intitulé «Honor the Reformation’s African Roots». Ce papier, signé par le professeur David Daniels qui enseigne à McCormick Seminary à Chicago, suscite un intérêt grandissant. De nombreux commentaires ont fait suite à la publication et le texte a été repris sur divers sites. La thèse défendue par l’auteur est intrigante: sur la base de plusieurs sources, David Daniels retrace le jeu d’influence entre Martin Luther et l’Eglise d’Éthiopie.

Le théologien explique sa démarche en l’inscrivant dans son champ de recherche; il n’est pas un spécialiste de la Réforme, mais un chercheur spécialisé en "World Christianity". Ce concept est né dans la première moitié du XXe siècle et désigne aujourd’hui une discipline qui trouve de plus en plus d’adeptes. Dans le cadre de cette approche, divers courants historiques et sociaux-politiques sont pris en compte pour comprendre ce que le christianisme contemporain recouvre. En ce sens, le concept insiste sur la pluralité des christianismes et revendique cette richesse comme un élément inhérent au christianisme dès son origine. Plus profondément encore, l’idée d’un christianisme mondial prend en compte l’émancipation post-coloniale des églises missionnaires fondées dans l’hémisphère sud et leur reconnaît un statut à part entière. 

Pendant longtemps, l’histoire du christianisme s’est confondue avec l’histoire européenne. Si les chiffres justifiaient cet eurocentrisme au début du XXe siècle, ce n’est plus le cas aujourd’hui. En effet, aux alentours des années 1900, les chrétiens d’Europe représentaient environ 70% de la population chrétienne mondiale ; un siècle plus tard, à l’aube du deuxième millénaire, ce nombre était descendu à 28% et il continue à chuter. La diversité géographique actuelle du christianisme est en grande partie le résultat du mouvement missionnaire européen ; mais, dans le contexte post-colonial, elle reflète également l’expression de christianismes régionaux qui s’enracinent de plus en plus dans des traditions indigènes et cherche à développer une histoire indépendante.

Le cas de l’Eglise éthiopienne en offre une illustration parfaite. Considérée comme l’église chrétienne la plus ancienne du continent africain, son origine remonte selon toute vraisemblance au début du IVe siècle et son identité se développe indépendamment de l’influence de Rome. David Daniels rappelle que «l’intérêt européen pour le christianisme éthiopien existait déjà au temps de Luther. Avant et après 1517, Érasme, Thomas More, le Pape Clément VII et d’autres mentionnent l’Eglise d’Éthiopie. Des communautés d’expatriés éthiopiens existaient à Rome, Venise, Chypre et Jérusalem. Luther lui-même mentionne l’Éthiopie au moins 85 fois.» Sur la base de ces mentions, l’intérêt de Luther pour l’Eglise éthiopienne se précise; il y retrouvait une ecclésiologie proche de la sienne et éloignée de l’Eglise catholique, favorisant par exemple la communion sous les deux espèces, l’accès au texte biblique dans la langue vernaculaire et le droit pour les prêtres de se marier. En 1534, Luther rencontre le diacre Michaël d’Ethiopie et leur conversation théologique confirme pour Luther l’affinité qu’il voit entre le mouvement de la Réforme et l’Eglise éthiopienne. Suite à cette rencontre, Luther reconnaît l’Eglise éthiopienne comme église-sœur.

 

David Daniels nous invite à reconnaître la tradition de l’Eglise éthiopienne comme un élément précurseur qui va nourrir le protestantisme naissant
Muriel Schmid, théologienne

David Daniels conclut son analyse en affirmant que «ce dialogue œcuménique entre la chrétienté d’Afrique et celle d’Europe remet en question le récit qui fait de la Réforme un produit exclusif de la civilisation occidentale». Il va même plus loin et nous invite à reconnaître avec Luther, la tradition de l’Eglise éthiopienne comme un élément précurseur qui va nourrir le protestantisme naissant. L’idée est intrigante, pour le moins!

La manière dont l’histoire nous est contée et rapportée favorise généralement l’idée du héros singulier … et plus rarement celle de l’héroïne d’ailleurs. Les tournants essentiels de notre histoire  - européenne en particulier - reposent alors sur le génie, le prophétisme, le courage et la modernité d’un seul individu qui renverse les pouvoirs et les superstitions. Or, derrière ce héros singulier, il y bien souvent une multitude de voix et de vies consacrées aux mêmes buts mais qui ne sont pas entrées dans nos livres d’histoire. Il a fallu attendre la seconde vague du féminisme dans les années 1960-1970 pour que ce travail de recouvrement débute. Aujourd’hui, le flambeau est pris en main par celles et ceux qui se sont vus marginalisés ou oubliés dans l’ombre du héros singulier. Le fait que David Daniels soit lui-même afro-américain est certainement significatif. Au sein des multiples discours sur Luther qui ont marqué les 500 ans de la Réforme, sa voix a rendu un hommage inattendu à l’Eglise éthiopienne. A l’instar de la Réforme, les révolutions qui rythment l’histoire ne sont pas le fait de héros singuliers mais le fruit de longs processus.

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