Les Pussy Riot en tête d’affiche d’un festival de musique chrétienne

Les Pussy Riot le 26 août sur la scène du Greenbelt Festival. / ©RNS/Ali Johnston/Greenbelt Festival
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Les Pussy Riot le 26 août sur la scène du Greenbelt Festival.
©RNS/Ali Johnston/Greenbelt Festival

Les Pussy Riot en tête d’affiche d’un festival de musique chrétienne

Rosie Dawson
11 septembre 2018
L’activiste politique, Maria Alyokhina, membre des Pussy Riot affirme que les activités militantes du groupe doivent être interprétée comme des «gestes chrétiens».

Entre son nom-choc et ses activités militantes, le groupe Pussy Riot (littéralement émeute des chattes) ne semble pas être en mission religieuse. Pourtant, après son passage le 26 août dernier à Greenbelt, le plus grand festival anglais d’arts chrétiens, la cofondatrice du groupe, Maria Alyokhina a expliqué que leurs actions, en commençant par la protestation de 2012 qui lui a valu deux ans d’internement en camp de travail, devaient être interprétées comme un «geste chrétien».

Les Pussy Riot sont mieux connues, à l’Ouest, pour leur féminisme et leur résistance politique — une réputation qui a presque empêché Maria Alyokhina de participer à Greenbelt. Les autorités russes lui avaient interdit de prendre l’avion début août alors qu’elle s’apprêtait à se rendre à plusieurs manifestations artistiques britanniques. La raison: elle devait terminer sa peine de 100 jours de travaux communautaires pour avoir participé à une protestation illégale en avril.

Mais Maria Alyokhina, 30 ans, ne se décourage pas si facilement. Elle est donc partie en voiture, en passant à un endroit de la frontière sans surveillance, et a continué jusqu’en Lituanie où elle a pris l’avion pour l’Angleterre.

C’est là qu’elle a rejoint les membres des Pussy Riot, qui se décrit comme un collectif sans actions programmées à l’avance. Leur dernière virée était une invasion du terrain durant la finale de la Coupe du Monde en juillet. Elles portaient des uniformes de police. «C’est amusant de protester», relève Maria Alyokhina à Religion News Service (RNS).

Protester dans une Église

Par contre, l’histoire racontée dans son spectacle actuel, «Riot Days» (jours de révolte), n’est pas drôle. Le groupe interprète sa propre histoire devant un écran qui montre des images filmées en secret lors de leur première manifestation en 2012. Le tout sur une bande sonore interprétée en direct, rassemblant saxophone, guitare et batterie.

Cette première protestation de 2012, une performance de 40 secondes dans la cathédrale russe orthodoxe du Christ-Sauveur à Moscou, les a rendues mondialement célèbres. À l’époque, Vladimir Poutine allait se faire réélire pour la troisième fois comme président avec le total soutien de l’Église orthodoxe dont le patriarche qualifiait le président de «miracle divin». Les Pussy Riot sont montées cagoulées sur l’autel de la cathédrale en criant «Mère de Dieu, chasse Poutine!».

Peu de gens se souviennent encore du prix que Maria Alyokhina a payé pour ces 40 secondes: elle a été envoyée dans un camp de travail à environ 5600 km de chez elle, loin de son petit garçon. Ses deux complices ont également purgé de longues peines. Maria Alyokhina est la seule des trois qui a réussi à venir à Greenbelt.

À Greenbelt, le spectacle — si on peut le nommer ainsi — comprend des images d’archive du tribunal où Maria Alyokhina a été jugée pour «hooliganisme motivé par la haine religieuse». Un film retrace aussi son voyage au camp de travail dans les montagnes de l’Oural. On y voit énormément de neige.

Même si quelques adeptes de punk sautaient en rythme, la plupart des spectateurs ne bougeaient pas, concentrés sur les sous-titres sinistres, applaudissant les moments de rébellion et riant des touches plus légères, tel que «nous mangions ce que Dieu nous envoyait, généralement des pâtes». Le spectacle se terminait par une sorte de défi lancé à la foule: «La liberté n’existe pas à moins de se battre pour elle chaque jour».

Un activisme chrétien

Que ce pays ait une Église qui serve aujourd’hui le KGB, c’est un crime.
Maria Alyokhina

Souvent, on empêche Maria Alyokhina de pénétrer dans des églises. Toutefois, elle se décrit comme chrétienne et ajoute que les rumeurs selon lesquelles elle serait ennemie de la religion la mettent en colère. Selon elle, les témoins qui ont dit lors de son procès avoir été offensés étaient surtout des agents de sécurité de l’Église. Elle a cité la persécution de l’Église sous Staline lorsque des milliers de prêtres ont été tués ou envoyés dans des camps de détention: «Que ce pays ait une Église qui serve aujourd’hui le KGB, c’est un crime. Pour moi, c’était la principale raison de rejoindre Christ le sauveur.»

«Nous n’avons rien fait contre le christianisme», affirme-t-elle. «Quand vous avez d’intenses machines de propagande contre vous à la télévision, vous traitant d’ennemies du christianisme, il devient nécessaire pour soi-même et les autres d’expliquer que nous avons fait un geste chrétien. Nous avons critiqué l’établissement élitiste de l’Église».

Quand on lui a demandé si elle faisait partie d’un plus large mouvement de résistance chrétienne en Russie, Maria Alyokhina a simplement répondu avec hésitation: «Je l’espère». «Certaines des personnes qui nous ont soutenues en 2012 étaient des prêtres qui ont quitté l’Église», explique-t-elle. «En détention, il était important pour moi de recevoir des lettres de personnes de l’Église qui disaient nous soutenir».

Maria Alyokhina se prépare maintenant à retourner à Moscou. On ne sait pas quelles seront les conséquences pour elle pour avoir enfreint son interdiction de voyager. A-t-elle peur de Poutine? «Je n’ai pas peur parce que — et pas seulement par rapport à Poutine, mais pour tout système d’oppression — la base de l’oppression est la peur», répond-elle. «C’est eux qui ont peur».

 

Rosie Dawson
Religion News Service/Protestinter