Construis-moi un cercueil

©Regula Tschumi / Procession funèbre Ga, au Ghana. Les hommes portent le cercueil jusqu'au cimetière.
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©Regula Tschumi
Procession funèbre Ga, au Ghana. Les hommes portent le cercueil jusqu'au cimetière.

Construis-moi un cercueil

6 novembre 2018
Les Ga, ethnie du sud Ghana, enterrent leurs morts dans des cercueils en forme de poule ou de camion. Regula Tschumi, ethnologue, historienne de l’art et photographe a donné une conférence sur un art figuratif devenu une tradition chez les chrétiens aussi, à Cité Seniors à Genève, le jour des Morts.

Il était une ethnie qui faisait de la mort une fête. Dans cette ethnie, on réservait aux rois et aux prêtres une dernière demeure colorée, aux formes étonnantes de lion, léopard, sandales de chef ou d’aigles, témoins de la vie et des aspirations du défunt. Cette ethnie, c’est celle des Ga, installée dans les plaines d’Accra, au sud du Ghana, en Afrique de l’Ouest. Une ethnie méconnue, aux rites funéraires reconnus. Depuis les années 1960, ses cercueils figuratifs se sont démocratisés. La tradition a même été adoptée par certains chrétiens. Et aujourd’hui dans les musées du monde entier, les cercueils Ga s’exposent et fascinent les visiteurs. Le 2 novembre dernier, jour des Morts, l’ethnologue, historienne de l’art et photographe Regula Tschumi donnait une conférence sur les cercueils Ga à Cité Seniors, à Genève.

Figures de bois

«C’est un art unique au monde!», lance Regula Tschumi. Devant un public attentif, la chercheuse décortique un art et un rite, photos prises sur le terrain à l’appui. «Jusque dans les années 1960, cette pratique réservée aux personnes importantes est restée secrète. Les morts étaient enterrés dans les maisons. On pense devoir sa découverte aux colons anglais qui poussent à utiliser les cimetières. Le rite est alors rendu public et se démocratise», explique Regula Tchumi. Aujourd’hui, ces cercueils sont utilisés par les Ga «traditionnels», qui croient aux divinités africaines, mais aussi par les chrétiens, de confession protestante.

Problème: rares sont les cercueils acceptés dans les églises. Deux solutions s’offrent alors aux chrétiens, soit faire venir le pasteur à la maison pour célébrer le service funèbre ou alors enterrer le défunt dans un cercueil en forme de Bible, de sandale de chef ou d’aigle, seuls passe-droits pour pénétrer dans le lieu de culte. Chez les Ga «traditionnels», on laisse libre cours à la créativité. Les chauffeurs se font enterrer dans un taxi, un bus ou une voiture, les cuisinières dans des marmites, les mères de famille dans des poules, et les musiciens dans des guitares. Et les personnalités dans leur totem de lions, léopards, aigles ou crocodiles. Les cercueils commandés par les familles s’attachent à la vie, aux aspirations et aux rêves du défunt.

Célébrer un passage

C’est dans leurs ateliers de fortune, que les artistes réalisent les commandes sur la base d’un objet ou d’une photo, amenés par les proches. Au rez-de-chaussée, ils sculptent le bois, assemblent les pièces et peignent le cercueil. À l’étage, ouvert sur la rue, des cercueils sont exposés pour attirer le badaud, mais ne sont pas à vendre. Une fois prêt, le cercueil quitte l’atelier le jeudi. La raison: les funérailles ont lieu entre le jeudi et le dimanche. Mais le rite peut durer quelques semaines, mois, voire années. Un délai non négligeable pour les familles qui doivent réunir l’argent pour payer les funérailles. Mais c’est aussi et surtout le temps qu’il faut à l’esprit du défunt pour rejoindre le royaume des ancêtres, avant de se réincarner dans sa famille.

Les Ga croient en la réincarnation. La mort n’est pas la fin, mais une transition. Elle n’est pas taboue, mais omniprésente. Les funérailles sont donc une fête. Proches et villageois célèbrent la vie d’une personne. Mais tous n’ont pas droit à de telles réjouissances ni aux cercueils colorés. Seules exceptions, «les personnes mortes dans un accident, d’une maladie et les enfants n’ont pas de telles funérailles. La mort d’un enfant n’est pas une fête», explique Regula Tschumi.

La veillée mortuaire est de rigueur. Dans sa maison, le défunt est souvent mis en scène, assis dans un fauteuil ou dans un palanquin, debout ou couché dans son lit, avant d’être placé dans le cercueil. Si les chrétiens, dans les habits de leur congrégation, emmènent le cercueil en voiture jusqu’au cimetière, les Ga «traditionnels», aux vêtements colorés, portent le cercueil à bout de bras, dans un cortège bruyant, ponctué de chants et de danses. Mais parfois, c’est vide que le coffre de bois profite des dernières heures de la fête, alors que le corps, lui, a déjà été recouvert de terre.

À l’arrivée au cimetière, l’ambiance change, observe Regula Tschumi. Le faste de la procession que la photographe raconte à travers ses clichés, se transforme en malaise à la mise en terre. «Il n’est pas rare que la tombe soit trop petite pour accueillir le cercueil. On n’hésite pas alors à briser la patte du crocodile, à retirer le couvercle de la marmite», explique-t-elle. Un problème de taille rencontré parfois déjà au moment de placer le corps dans le cercueil: «J’ai vu des corps trop grands et puis des cercueils fermés. Je n’ai pas vu comment ils s’y étaient pris», avoue-t-elle.

Un art à part entière

«Les cercueils Ga exposés dans les musées sont perçus comme de l’art africain traditionnel, un qualificatif qu’on attribue à des objets utilisés. Or, les cercueils qu’on admire dans les expositions ont été créés pour être exposés, ils ne sont pas utilisés. C’est donc de l’art contemporain. Mais on ne le considère pas à sa juste valeur. On connaît les noms de Paa Joe, Ataa Oko, Kane Kwei, qui sont devenus des labels. Mais beaucoup d’objets ne sont pas d’eux. Et il y a beaucoup de jeunes artistes qui ne sont pas reconnus», insiste Regula Tchumi.