Ignace d’Antioche: vivre à en mourir

Ignace d’Antioche: vivre à en mourir / ©Public domain, via Wikimedia Commons
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Ignace d’Antioche: vivre à en mourir
©Public domain, via Wikimedia Commons

Ignace d’Antioche: vivre à en mourir

Martyre
Issu de la première génération après les apôtres, Ignace d’Antioche témoigne de son aspiration à une vie pleine avec le Christ, au prix de sa propre mort. Chemin de confiance jusqu’à l’extrême.

«C’est de bon cœur que je vais mourir pour Dieu, si du moins, vous, vous ne m’en empêchez pas…» Nous sommes au début du IIe siècle. Ignace, évêque d’Antioche, a été arrêté et enchaîné à cause de sa foi. Ses bourreaux le conduisent à Rome, où il doit être mis à mort. Il sera jeté dans la fosse, avec les fauves. En route vers la capitale de l’Empire, il écrit aux chrétiens de cette ville. Et, contre toute logique humaine, il leur demande de ne rien entreprendre pour lui empêcher ce martyre…

Faut-il y lire les mots d’un suicidaire, ou même y voir une attitude masochiste? «Même si cela peut nous paraître choquant, c’est bien plutôt l’expression poignante du fait que la vie en Christ, la proximité de Dieu, c’est le bien suprême auquel Ignace aspire», commente Jacques-Noël Pérès, professeur émérite d’histoire de l’Eglise à l’Institut protestant de théologie de Paris.

Je vais mourir pour Dieu, si du moins, vous, vous ne m’en empêchez pas… Alors, je serai vraiment disciple de Jésus-Christ, lui que je cherche, qui est mort pour nous, lui que je veux, qui est ressuscité pour nous. Ne m’empêchez pas de vivre, ne veuillez pas que je meure!
Ignace d'Antioche, Lettre aux Romains (IIe siècle)

Réaliser l’existence chrétienne

Pour Ignace, cette mort qui l’attend, c’est donc le chemin vers la vie qu’il désire… Et dans cette logique paradoxale, lui éviter le supplice, ce serait l’empêcher de vivre ! Mais, pondère Jacques-Noël Pérès, «ces paroles absolues d’Ignace – qu’on doit comprendre dans leur contexte – ont quelque chose d’excessif: cette hâte de se trouver dans ‹l’autre vie› donne l’idée d’un rejet du monde d’ici-bas… Or, par essence, le christianisme est la religion de l’incarnation! Et c’est sur cette terre que nous sommes appelés à réaliser l’existence chrétienne».

Ce qu’il faut alors entendre, c’est que pour réaliser cette dernière, le disciple est appelé à s’assimiler toujours davantage à son Maître. Il devient « vraiment disciple » lorsqu’il fait siens les gestes et les comportements de Jésus. Comme l’évêque d’Antioche: au moment où il écrit, il pâtit des mauvais traitements de ses geôliers, communiant ainsi aux souffrances de la Passion. Il voit alors le destin qui l’attend à Rome comme l’aboutissement de ce chemin. Non pour la mort, donc, mais pour la vie, avec le Christ ressuscité.

«Pour Ignace, le martyre constitue le vrai baptême, le baptême du sang, qui accomplit pleinement, dans la chair de la personne qui le subit, la mort symbolique et la nouvelle vie en Christ reçues au baptême d’eau», détaille le professeur parisien.

Surmonter l’insurmontable

Faut-il donc aller jusqu’à cet extrême du don de sa propre vie pour être vraiment chrétien? Certes non! Dieu merci! Mais dans notre Occident, où les chrétiens ne subissent plus la persécution, le message poignant de l’évêque martyr d’Antioche constitue un témoignage: celui d’un désir d’unité avec le Christ, payé au prix fort, qui permet de surmonter jusqu’à l’insurmontable.

«Nous traversons tous des souffrances. Et Ignace nous rappelle que, même dans les pires épreuves, le Christ est notre soutien infaillible», commente le professeur Pérès, par ailleurs pasteur. Oui, «le Christ est notre éternelle vie» (Ignace d’Antioche): parce qu’il est ressuscité, la souffrance et la mort n’auront pas le dernier mot. 

«Lettres aux Eglises»

On ne sait presque rien d’Ignace d’Antioche, évêque dans la province de Syrie, mort au cours d’une persécution contre les chrétiens autour de l’an 110. Seules sept lettres de lui nous sont parvenues, écrites à des Eglises, au cours de sa déportation de Syrie vers le martyre à Rome. «Ces lettres constituent un témoignage de première main de la génération qui a suivi celle des apôtres. Ces textes ont posé les jalons pour la théologie chrétienne ultérieure, notamment sur les thèmes de l’ecclésiologie et de l’unité de l’Eglise», explique Jacques-Noël Pérès.