Aux hommes les concerts, aux femmes les cultes?

Pascale van Coppenolle, une concertiste reconnue. / ©DR
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Pascale van Coppenolle, une concertiste reconnue.
©DR

Aux hommes les concerts, aux femmes les cultes?

Chiffres
Macho, le milieu de l’orgue? Si l’enseignement concerne de plus en plus d’enfants des deux sexes, la rupture d’égalité se joue, comme pour d’autres métiers, au moment où se construit une carrière.

Sur les affiches de concerts d’orgue, parmi les titulaires des postes les plus prestigieux, on trouve bien peu de femmes. Le milieu de l’orgue serait-il masculin? «C’est vrai que la plupart des concerts ont des têtes d’affiche masculines. J’ai joué lors d’une nuit féminine de l’orgue à Arbois… S’il y a besoin d’un événement dédié, c’est bien que l’égalité ne va pas de soi!» constate Anne Chollet, qui copréside l’Association des organistes romands (AOR). Parmi les membres de l’organisation (qui ne regroupe pas tous les organistes romands), 73 femmes pour 133 hommes (environ 70% d’amateurs et 30% de professionnels). Les femmes organistes ne sont pourtant pas une rareté. «Les organistes de paroisse sont souvent des femmes», observe Anne Chollet. Par contre, celles-ci peinent à accéder à des postes ou des positions prestigieux, restant plutôt «amateures». Un «plafond de verre» dont le mécanisme n’est analysé par aucune étude, mais qui se retrouve dans de nombreux autres secteurs.

Le souci ne vient a priori pas de la transmission. L’enseignement chez les enfants est toujours plus accessible. Avant, «on ne donnait pas de cours d’orgue aux enfants, jugés trop petits. Désormais, c’est fréquent», observe Pascale Van Coppenolle, titulaire de l’orgue de la Stadtkirche à Bienne, qui a toujours prôné cette méthode. Elle cite aussi «Orgelkids», un orgue pour enfants, accessible en kit, développé en 2009 par une firme néerlandaise, «parce qu’il faut pouvoir découvrir quelque chose avant d’en être fasciné et de l’aimer», explique l’entreprise. L’enseignement supérieur est lui aussi investi de manière égalitaire. Même si à ce niveau des différences se font jour. «Je répète sans arrêt à mes étudiantes (à la Haute école de musique de Lausanne) qu’elles sont tout aussi légitimes que leurs collègues masculins, car je constate qu’elles ont moins confiance en elles», observe Benjamin Righetti, enseignant et fameux concertiste.

Entre-soi masculin

C’est ensuite que se creuse l’écart. Les postes prestigieux ne sont pas nombreux (Saint-François et la cathédrale à Lausanne, la cathédrale de Genève, Saint-Maurice, Saint-Nicolas à Fribourg, la collégiale à Neuchâtel…) mais ils ont une grande importance. Leurs titulaires, principalement des hommes, assurent les services religieux, mais sont aussi très souvent directeurs artistiques des événements culturels programmés sur place, et concertistes de renom. A ces tribunes sont programmés des concerts et des festivals, se mettent en oeuvre de nouvelles collaborations. «Les concerts d’orgue fonctionnent beaucoup avec l’échange: si vous avez une tribune prestigieuse et que vous invitez quinze organistes dans la saison, il y a de fortes chances que ces organistes vous invitent chez eux», explique Anne Chollet.

Pour se constituer un réseau, avoir accès à des nouveautés, mais aussi décider de programmer et faire connaître de nouveaux talents, être titulaire d’un poste prestigieux est donc essentiel… Comment y accéder? Il faut d’abord candidater. «Mais est-ce que les femmes postulent autant que les hommes?» s’interroge Anne Chollet. Ensuite, être choisie. Or, parmi les décideurs (jurys, communes, clergé du côté catholique), les hommes sont surreprésentés, rappelle Anne Chollet. Enfin, il faut être disponible, car ces responsabilités multiples sont extrêmement prenantes. «Clairement, la maternité est un frein», estime Anne-Claude Burnand, aujourd’hui organiste en paroisse à Pully.

En fin de compte, ce fonctionnement peut donc rapidement entretenir un entre-soi masculin. «Cet entre-soi existe, je l’ai observé, mais c’était il y a une quinzaine d’années, je crois que les choses ont changé maintenant. C’était insidieux, une manière de ne pas me solliciter, de me tenir à l’écart des infos…» témoigne Anne-Claude Burnand.

Aujourd’hui, certains titulaires de ces postes prestigieux sont conscients du déséquilibre et tentent à leur niveau d’y remédier. «A compétences égales, j’invite désormais des femmes, car ce sont des femmes. Dans les jurys d’examen, je propose des femmes… Dans un monde inégal, à nous d’être proactifs. C’est notre responsabilité», affirme Benjamin Righetti, par ailleurs titulaire de l’orgue de Saint-François à Lausanne. D’autres, comme Pascale Van Coppenolle, sont aussi attentifs à programmer des compositrices féminines. Car dans ce domaine aussi, des inégalités subsistent.