Comment les Églises peuvent désinvestir des énergies fossiles

Frédérique Seidel, au centre, lors d’une action en faveur du climat, le 2 septembre 2022, en marge de l’assemblée du COE à Karlsruhe / Mike DuBose/COE
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Frédérique Seidel, au centre, lors d’une action en faveur du climat, le 2 septembre 2022, en marge de l’assemblée du COE à Karlsruhe
Mike DuBose/COE

Comment les Églises peuvent désinvestir des énergies fossiles

Finance verte
Présenté au cours de la 11e assemblée du COE, à Karlsruhe, début septembre 2022, un rapport revient sur la manière dont les institutions, et notamment les Églises, peuvent accélérer les solutions pour le climat par leurs choix bancaires. Un chantier gigantesque, déjà entamé par les Églises protestantes du Nord de l’Europe.

C’est le sort des enfants qui a conduit Frédérique Seidel, chargée de programme du Conseil œcuménique des Églises pour les droits des enfants, à s’intéresser aux investissements fossiles. D’abord parce que «ce serait aujourd’hui absolument immoral de s’occuper des droits de l’enfant sans se préoccuper des investissements d’adultes dans les énergies fossiles, qui accélèrent le réchauffement climatique et mettent en péril leur futur». Ensuite, parce qu’alors que les enfants n’ont pas encore la capacité d’agir sur les choix financiers qui accélèrent l’urgence climatique, «beaucoup sacrifient leur temps libre pour exprimer leur peur et leur désarroi en manifestant!» Enfin, parce que, très concrètement, la crise climatique augmente les souffrances et les dangers pour les plus jeunes dans le présent. Comment? «Les catastrophes écologiques provoquent des déplacements de populations. Des situations particulièrement propices aux agressions, et à l’exploitation d’enfants», explique cette experte, qui est aussi responsable du partenariat entre le COE et l’Unicef, institution où elle a travaillé durant treize ans.

Voilà une des motivations du rapport Cooler Earth-Higher Benefits. Ce document exhaustif est le résultat de deux ans de travail, avec deux consultants spécialisés. Outre le fait de poser clairement le contexte de la crise climatique et de ses impacts, il revient en détail sur le mouvement de «désinvestissement» («divestment»), ce mouvement qui est à la fois une stratégie économique et un choix moral, et qui consiste à s’engager en tant que client de banque et de fonds de pension, et d’accélérer la transition des investissements dans les énergies fossiles vers les énergies renouvelables et les solutions pour le climat. On y découvre que cette stratégie comporte toute une série d’outils et d’alternatives: outil de pression sur l’entreprise, outil d’engagement pour les actionnaires, dévoiler ses critères d’investissement, prendre des engagements contraignants, demander les critères d’investissements des institutions financières dont on possède des parts ou des actions…

Le rapport montre aussi et surtout comment 21 Églises ou institutions membres du COE (y compris le COE lui-même) s’y sont pris pour désinvestir leurs fonds des secteurs fossiles. Des témoignages instructifs, qui ne cachent pas les tensions, débats et divisions internes ayant eu lieu dans chaque institution. Et qui souligne le rôle important de pression joué par les plus jeunes dans cette évolution, qui pouvait paraître pionnière il y a quelques décennies, et qui rejoint aujourd’hui les stratégies de nombreuses banques et institutions financières, face à la pression de leur clientèle.

 

Quels sont les facteurs qui ont fait que certaines Églises ont réussi à désinvestir totalement des investissements fossiles?

Frédérique Seidel: Cela dépend beaucoup des personnes! Et donc de leur niveau de connaissance et d’information. Lorsqu’on est informé des conséquences du changement climatique et des énergies fossiles, maintenir ses investissements dans le secteur devient presque criminel. Très souvent, une fois que les gens sont formés et conscients des problèmes, ils s’engagent pour faire les bons choix.

Une autre chose qui explique plutôt l’inactivité, c’est que beaucoup d’institutions fonctionnent de manière compartimentée, en silos. Les investissements relèvent du chef des finances, les droits de l’enfant d’un autre département. Or, quand toutes ces instances ne discutent pas entre elles, les changements ne peuvent pas se faire. Tout le monde se dit que l’autre va régler le problème. C’est le rôle des CEO, des responsables d’Églises, des synodes, de se saisir de ce sujet et de permettre ces discussions et ces impulsions.

 

Croyez-vous, dans le domaine du désinvestissement des fossiles, que c’est une responsabilité individuelle (celle des personnes aux postes de direction) ou celle de toute la communauté?

Je crois que tout le monde doit participer. N’importe qui peut envoyer une lettre type à sa propre banque ou à celle de son Église. Si les responsables des investissements bancaires reçoivent des centaines de lettres avec la même demande, ils vont devoir s’interroger. Quant à nous tous, lorsque nos enfants nous demanderont ce que nous avons fait pour désinvestir des fossiles, d’ici une génération, il nous faudra être capables de leur répondre.

 

Que peut faire le COE en la matière?

Avec nos capacités limitées, nous avons fait un travail énorme:
- Une politique d’investissements durable a été élaborée et suivie il y a huit ans déjà;
- Nous avons invité en mai 2022 nos partenaires des Nations Unies à lancer, avec le COE et d’autres religions, un appel à nos prestataires de services financiers, demandant l’arrêt de tout financement pour le forage;
- Une série de ressources (dont un poster pour identifier rapidement une banque durable) ont été conçues et diffusées;
- Le sujet a été inclus dans la déclaration «Living Planet» de la commission des affaires publiques du COE;
- Une déclaration en faveur de choix financiers responsables pour le climat a été incluse dans un appel du Comité central du COE.

 

Ce travail a démarré en 2019, mais il reste discret. Est-ce que l’initiative n’est pas trop modeste?

Nous devons tous travailler sur le sujet, mais nous avons actuellement peu de moyens pour le faire connaître. Si tous ceux qui entendent parler du pouvoir des choix financiers pour lutter contre le réchauffement climatique en parlent autour d’eux et engagent leur institution et leur réseau, ce mouvement peut vite devenir très efficace!

L’urgence, c’est de travailler ensemble à tout prix. Notre action vise au dialogue entre tous ceux qui souhaitent un futur viable pour les futures générations. Il faut saisir les leviers puissants de nos banques et autres acteurs financiers. La beauté du COE, c’est la diversité. Nous avons des membres de tous horizons, avec des perspectives extrêmement variées, qui s’unissent autour du plus grand défi commun actuel de l’humanité — l’urgence climatique.

 

Est-ce que le sujet de la finance verte n’a pas été totalement occulté au cours de cette assemblée par le conflit ukrainien?

Non, au contraire! La menace commune de la crise climatique crée des ponts entre les pays. Le réchauffement avance 2,5 fois plus vite dans certaines régions du monde, particulièrement dans le nord de la Russie. Beaucoup de spécialistes de ces questions vivent en Ukraine et en Russie, et nous tentons de garder la politique au-dehors de cela. Croyant ou non, il s’agit de nous engager pour notre avenir. Et le dernier rapport du GIEC nous montre que nous avons peu le temps pour agir.

 

Quelle est la suite de votre engagement écologique?

Nous souhaitons médiatiser le concept de crime écologique, et le faire concevoir et comprendre comme un crime contre l’humanité. La notion d’écocide avance, sur le plan juridique, mais elle n’est pas encore comprise comme un crime contre les enfants, qui subiront les dégâts entraînés par nos choix actuels. Nous souhaitons développer cette notion.