La promesse de Pâques pour la création

Sarah Stewart-Kroeker propose une relecture de la mort du Christ et de sa résurrection en lien avec les enjeux écologiques actuels. / IStock
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Sarah Stewart-Kroeker propose une relecture de la mort du Christ et de sa résurrection en lien avec les enjeux écologiques actuels.
IStock

La promesse de Pâques pour la création

Professeure d’éthique à la Faculté de théologie de Genève, Sarah Stewart-Kroeker propose une relecture de la mort du Christ et de sa résurrection en lien avec les enjeux écologiques actuels. Entretien.

A l’heure de la dévastation environnementale et alors que de nombreux scientifiques alertent sur la disparition de dizaines de milliers d’espèces, un nouveau courant de pensée invite à revisiter le récit pascal dans une «perspective écologique». Une lecture à laquelle nous invite Sarah Stewart-Kroeker, professeure d’éthique à la Faculté de théologie de l’Université de Genève, dans l’ouvrage collectif Scandale ou salut?, publié ce printemps aux Ed. Labor et Fides. En plein milieu de ce que d’aucuns nomment déjà la sixième extinction, l’éthicienne postule ainsi que le Christ se serait non seulement sacrifié pour l’humanité mais pour la création tout entière. Interview.

La mort et la résurrection du Christ seraient aujourd’hui à relire dans une perspective écologique. Qu’entendez-vous par là?

Selon un nouvel axe de réflexion nommé «l’incarnation profonde», l’incarnation de Jésus ne concerne pas seulement les humains. A sa naissance, le Verbe se fait aussi chair (sarx). Le Christ ne rejoint donc pas seulement l’humanité, mais la matérialité de manière large. Par ailleurs, nous savons que tous les corps humains sont également impliqués dans le réseau interdépendant de l’univers, la création tout entière étant inextricablement liée par ses complexes liens écologiques, planétaires, cosmiques.

A quelle compréhension de Pâques cette lecture nous invite-t-elle?

A considérer que lorsque le Christ souffre et meurt sur la croix, il sauve la vulnérabilité et la souffrance non pas uniquement humaines, mais également les «blessures» de la création. Cette conception nous invite aussi à reconnaître la profonde interdépendance de nos réalités créées. La mort de Jésus nous confronte ainsi non seulement aux violences faites aux humains mais également à l’endroit de la création. Les dégâts écologiques sont d’ailleurs le résultat des premières comme des secondes.

A quel moment sont apparues les prémisses de cette nouvelle interprétation?

D’une certaine manière, elles sont là depuis toujours: les images d’une création souffrante mais aussi d’une création nouvelle à la fin des temps, guérie et restaurée, sont présentes dans les textes bibliques. Dans l’Epître aux Romains (8:18-23), l’apôtre Paul décrit, par exemple, la création tout entière comme gémissant en attendant sa rédemption. La création y apparaît donc déjà comme co-souffrante avec les humains.

Personnellement, en quoi ce concept vous semble-t-il pertinent?

Nous sommes aujourd’hui confrontés à la mort d’espèces, d’écosystèmes, de vies humaines et non-humaines à une échelle sans précédent depuis la dernière extinction. Or la longue tradition théologique dans laquelle nous nous situons a toujours cherché à penser la mort du Christ non seulement comme un acte en soi, mais dans ses conséquences, dans sa portée de sens analogique – soit comment on peut en saisir le sens deux mille ans plus tard. Si les textes bibliques au cœur de la foi chrétienne ont encore un sens pour nous aujourd’hui, il me semble important d’explorer cette perspective écologique.

Quel retentissement cette interprétation connaît-elle? Est-elle reconnue ou reste-t-elle encore confidentielle?

Cette interprétation est bien connue – et de plus en plus – dans le monde de la théologie anglophone. Ce n’est bien sûr pas sans débat, comme pour tout thème théologique!

Justement, lire la mort et la résurrection du Christ dans une perspective écologique, n’est-ce pas dénaturer le message du salut tel que conté dans les textes bibliques?

Seulement si on pense qu’il n’y a, derrière ces textes, qu’un sens fixe et défini une fois pour toutes. Dans ce cas, la Bible ne serait plus qu’un artefact et non plus un texte qui s’ouvre aux lecteurs et lectrices qui y cherchent une résonance parlante, une source de réflexion constructive – un texte dont le sens reste encore et toujours ouvert au renouveau.

Regards théologiques

Pierre-Philippe Blaser, membre du Conseil de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) responsable du dossier environnement et président de l’Eglise réformée fribourgeoise (EERF)

«En dévoilant une continuité entre la tragédie de Vendredi saint et l’extinction de masse ou la dérive climatique, cette interprétation ouvre une nouvelle voie de la pensée chrétienne. C’est stimulant. Souvent traitée en question éthique, l’écologie prend ici place au cœur du symbole chrétien. Ces propositions poussent à relire spirituellement les misères de la nature, mais aussi l’œuvre du Christ sous un angle concret. Scruter la beauté, celle de l’amour, jusques et y compris dans les souffrances de la nature, voilà qui est pertinent. Cependant, comme souvent, toute pensée est menacée de focalisation ou de rigidification. Or c’est précisément cette posture d’écoute et de curiosité qui fait sa force actuelle.

Dans le monde des sciences, on appelle parfois «taxons Lazare» (allusion au récit des Evangiles) les animaux éteints qui reparaissent inopinément. Si une image biblique parle aujourd’hui aux scientifiques, je veux croire que la force de Vendredi saint et Pâques nous équipera aux hécatombes écologiques. Sans nier les désastres, mais en osant voir aussi les parcelles de vie qui renaissent, et les célébrer.»     

 

Marie Cénec, coordinatrice de la Transition écologique et sociale de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV)

«Tisser des liens entre théologie et écologie est essentiel. La théologie aide à penser la situation inédite que nous vivons, à donner du sens à nos actions, à creuser la question de la dimension spirituelle de la transition. La théologie me semble cruciale pour se saisir de ces questions.

Cette interprétation d'une "incarnation profonde" est très intéressante, car elle nous déloge de notre anthropocentrisme. Pour ma part, l’événement pascal englobe le tout de la Création. Il y a là un "débordement de sens et d’espérance" qui va au-delà de l’espèce humaine.

La théologie s’enrichit des contextes dans lesquels elle se déploie. Elle est dynamique et se doit de répondre aux enjeux de son temps. Ainsi cette interprétation élargit et approfondit le sens de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. Elle nous provoque là où nous nous installons dans un confort théologique ou dans l’illusion d’avoir tout saisi de ce qui est finalement insaisissable… »

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Sarah Stewart-Kroeker, professeure d’éthique à la Faculté de théologie de l’Université de Genève
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Pierre-Philippe Blaser, membre du Conseil de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) responsable du dossier environnement et président de l’Eglise réformée fribourgeoise (EERF)
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Marie Cénec, coordinatrice de la Transition écologique et sociale de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV)
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