Quand les saints deviennent des prédateurs

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Quand les saints deviennent des prédateurs

Cathleen Falsani
25 septembre 2018
Plusieurs responsables religieux renommés ont été condamnés pour abus sexuels. Les conséquences psychologiques pour les fidèles qui les admiraient sont désastreuses.

Quand Sarah Joy Hays a appris durant l’été 2016 que son pasteur, à Bâton Rouge en Louisiane, avait eu une liaison avec une autre femme de leur Église — la mentore spirituelle de Sarah pendant de nombreuses années — elle était furieuse et déconcertée. «Je suis tombée enceinte sans être mariée et c’est à elle que j’en ai parlé en premier», se rappelle Sarah Joy Hays.

«Elle m’a guidé comme pasteure et mentore durant cette période. Découvrir que pendant tout ce temps, elle était activement impliquée dans cette relation m’a réellement perturbée. Ma situation, être enceinte, était quelque chose de visible, un ‘péché externe’. Elle était également dans une situation de péché, mais personne ne le savait.» Le pasteur et la femme avec qui il a eu une liaison ont tous deux été punis par leur dénomination et il a été destitué de son pastorat, ajoute Sarah Joy Hays.

Depuis cet événement, la communauté a un nouveau pasteur, mais la majorité des paroissiens ont participé à des sessions de thérapie personnelle et en groupe organisées par leur dénomination pour faire face à cet épisode. Le groupe se porte désormais nettement mieux. Mais Sarah Joy Hays admet rester particulièrement méfiante sur le plan spirituel. «À partir de ce moment, j’ai commencé à douter de toute sagesse et discernement. Cette remise en question m’aide à établir la confiance.»

Religieux et prédateurs sexuels

Le pasteur Bill Hybels, fondateur de la mégaéglise Willow Creek Community. Le prélat catholique, Theodore McCarrick. Le maître spirituel bouddhiste, Sakyong Mipham Rinpoche. L’islamologue suisse Tariq Ramadan. Le pasteur Andy Savage. L’ancien juge Paul Pressler, figure clé dans la prise de contrôle fondamentaliste de la Convention baptiste du Sud. L’ancien président de la mission mormone, Joseph L. Bishop. Le fondateur du Creation Festival, Harry Thomas. Le rabbin orthodoxe Haskel Lookstein.

Ce sont tous des leaders spirituels accusés d’avoir commis des abus sexuels, ou d’avoir laissé d’autres personnes en commettre. Beaucoup de personnes qui s’étaient tournées vers ces responsables religieux pour leur instruction, leur discernement et leur sagesse ont dû tout remettre en question. Que pouvons-nous faire quand on se sent trahi par la personne qui nous connectait à Dieu? Ou lorsqu’on découvre que celui qui nous enseignait l’éternité est, en réalité, un prédateur? Et si le leader spirituel qu’on a admiré toute notre vie se trouve être plutôt un scélérat qu’un saint?

«Une fois le choc initial, l’incrédulité et la déception encaissés, notre confiance en nous-même est touchée de manière bien plus négative», affirme Lallene Rector, présidente du Séminaire théologique évangélique Garrett dans l’Illinois, où elle est professeure associée en psychologie des religions et psychothérapie pastorale depuis 1986. «Dans la mesure où nous nous sentions enrichis dans notre estime de nous-même par notre affiliation avec ces leaders, nous ressentons une réelle atteinte à nos valeurs personnelles», ajoute la spécialiste.

«Les échecs de ces personnages idéalisés peuvent frapper au cœur même de notre propre désir de perfection, un désir qui découle des déceptions vécues avec nos parents ou autres adultes durant l’enfance. Ajoutez Dieu — le clergé en tant que représentant de Dieu — et cela devient une intoxication psychologique», précise Lallene Rector.

La Bible ambiguë

La Bible peut être instructive par rapport aux responsables spirituels qui tombent en disgrâce, mais peut-être pas de la manière dont les gens s’y attendent. Par exemple, le roi David; au mieux, un homme compliqué moralement, mais que les Écritures décrivent comme «la prunelle des yeux de Dieu». C’est un paradoxe souvent utilisé pour défendre les leaders spirituels qui se comportent mal.

«David ressemble à ces pasteurs, dans la mesure où il est adulé pour ses exploits, comme l’expansion des frontières, et que ces méfaits sont oubliés», raconte la révérende Wil Gafney, professeure associée à la Brite Divinity School à Fort Worth, au Texas. Mais d’après cette spécialiste de l’Ancien Testament, l’histoire du roi David n’est pas censée être un exemple de comportement pour tout un chacun. «Ce n’est pas parce que Dieu a fait des choses merveilleuses pour David que nous avons le droit de faire tout ce que ce roi a fait.»

Dans sa lecture du récit biblique, Wil Gafney considère que David a violé Bathsheba. «Le texte dit qu’il a envoyé ses hommes pour la ramener à lui. Il n’est donc plus question de consentement. Je pense qu’il nous faut apprendre à ne pas accrocher un délit pour toujours autour du cou de quelqu’un, mais soyons honnêtes et ne balayons pas tout sous le tapis.»

Puisque l’histoire de David explique «ce qu’il faut faire avec un leader respecté, certains ont choisi de dire, ‘cela valait la peine’. D’autres pensent qu’il faut laisser le passé là où il est. Mais certains choisissent d’affronter la réalité, dans le sens que les délits commis par une personne ne s’effaceront pas. En ne considérant pas la personne comme responsable, c’est comme si nous donnions notre aval pour que d’autres se comportent de la même façon. Les chrétiens ont évolué vers cette compréhension du repentir qui n’est pas biblique. Il s’agit de dire: 'Je suis désolé', et espérer que la chose ne se reproduira plus.»

Mais ce n’est qu’un premier niveau de repentance, selon Wil Gafney. «Depuis la Bible hébraïque, la réparation est au cœur de la repentance. Oui, il y a un regret profond, une transformation de sa vie — ça en fait partie —, mais l’action délictueuse sera considérée comme injuste, quoiqu’il arrive par la suite», conclut-elle.

Une transformation des institutions

Si les conséquences de l’échec d’une personne peuvent sembler interminables, lorsqu’il s’agit d’une institution, les réparations sont d’un tout autre ordre. Une catastrophe comme la dissimulation systématique des actes pédophiles au sein de l’Église catholique «exige des excuses publiques et sincères de chaque représentant de l’Église», insiste Richard Rohr, prêtre franciscain et fondateur du Centre pour l’action et la contemplation à Albuquerque au Nouveau-Mexique. «C’est seulement alors qu’une guérison profonde peut avoir lieu.»

Richard Rohr précise que l’Église catholique doit répondre de bien plus que de comportements immoraux. «Elle doit non seulement se repentir, mais réformer ses enseignements très immatures concernant la sexualité, le pouvoir masculin et la question du célibat imposé qui ne feront, sans aucun doute, que produire ce genre de catastrophe. Ces dérives vont continuer à se produire à moins que nous en prenions l’entière responsabilité. Et pendant que les responsables font leur travail, nous avons aussi le nôtre à faire. Nous devons nous-mêmes prier et essayer de vivre des vies sexuelles et spirituelles plus authentiques.»

 

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