Fidèles au rendez-vous

Image d'illustration / © iStock/zsv3207
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© iStock/zsv3207

Fidèles au rendez-vous

2 juin 2020
Dimanche 31 mai, pour le culte de Pentecôte et surtout de la reprise, il y avait la file sur le parvis du temple réformé Saint-Marc à Lausanne. Reportage.

Nom, prénom, numéro de téléphone. Pour pénétrer dans le temple réformé Saint-Marc à Lausanne ce dimanche 31 mai, tous les fidèles sont soumis à la questionnette. La Pentecôte célébrée ce jour-là n’en était pas la cause: après deux mois et demi de fermeture pour cause de pandémie, les offices religieux ont pu reprendre en Suisse, non sans une liste de mesures de protection à respecter. À Saint-Marc, les portes du temple ont donc pu rouvrir et pour assurer une aération suffisante du lieu, sont restées béantes toute la matinée.

«Mon numéro de fixe ou de portable?» «À part le prénom, c’est pareil que Madame!» Il est 9h45 et le soleil tape. En file indienne et à distance, les paroissiens du Sud-ouest lausannois attendent patiemment de pouvoir gravir les marches. Près de la moitié d’entre eux se sont parés d’un masque chirurgical, devenu l’accessoire du dimanche. Dans la queue, en effet, nombreux sont les fidèles qui entrent dans la catégorie des personnes dites vulnérables. «Nous n’allions pas manquer ce culte. Nous venons dans cette église depuis sa construction. Mais on s’attendait à ce genre de mesures. Du coup, on est venu masqué!», confie un couple devant l’édifice.

En haut des marches, attablé un stylo à la main, le président du conseil de paroisse, Hubert Rakotonandrasana, a lui aussi le visage masqué et les extrémités gantées. Et tel un Cerbère du dimanche, il remplit avec application les cases des pages préimprimées avec l’identité des fidèles au rendez-vous.

Décliner son identité

Le président du conseil de paroisse explique: la démarche permet de garantir la traçabilité des participants en cas de nouvelle infection, et dans deux semaines, les listes seront détruites.

La file s’allonge et déjà, il est 10h. Il faut à présent faire avec le son des cloches qui appellent les brebis à l’office. «Nous avions tout prévu, mais nous avions oublié les cloches!», sourit le pasteur Hermann Vienna. À présent, on décline son identité en s’égosillant. «Est-ce que je dois garder mon masque à l’intérieur?», interroge une paroissienne. Le ministre, qui parcourt, encore en civil la file avec une joie indicible sur le visage, s’arrête pour lui répondre. La nouvelle organisation du lieu a été pensée pour que le port ne soit pas obligatoire.

Le quart d’heure vaudois est presque écoulé et tout le monde est entré dans l’édifice. Une fois le seuil passé, il faut encore montrer patte blanche. Armée d’un vaporisateur, une paroissienne asperge toutes les mains qui se présentent à elle et rattrape celles qui seraient passées entre les gouttes. Puis, une conseillère de paroisse improvisée ouvreuse pour l’occasion accompagne chaque participant vers la place qu’il se gardera de quitter pendant l’office.

Fredonnement autorisé

Sur les longs bancs, trois places seulement à disposition, indiquées par des affichettes au smiley souriant. Un sourire que l’on retrouve jusque sur les sièges du chœur et au pied de la chaire. Le temple peut accueillir 68 personnes, soit quatre fois moins qu’en temps normal. Au sol, le carrelage jaunâtre porte par endroit les stigmates foncés de l’emplacement des bancs qui n’avaient pas bougé depuis quarante ans. Compagnon silencieux de l’office, le psautier devra être abandonné sur le banc une fois le culte terminé. L’assemblée aura-t-elle le droit de chanter?

Alors que l’orgue fait résonner ses dernières notes. Le culte peut commencer. «Quel plaisir de vous revoir et en plus pour la Pentecôte! Même si ce n’est pas encore la grande convivialité», lâche Hermann Vienna, qui scrute l’assemblée depuis la chaire: «Je n’avais jamais réalisé qu’une distance de deux mètres, c’était aussi grand que ça!»

Et non sans un brin d’humour, il lance aux 49 fidèles réunis: «Saluez-vous! Mais sans bise, ni accolade, embrassade, ou poignée de mains. Saluons-nous en silence, mais peut-être de façon plus intense.» Il propose alors de se regarder en hochant la tête, puis d’un geste de la main, avant de la poser sur le cœur et d’incliner le buste.  On s’exécute, non sans un sourire et quelques éclats de rire. C’est plus timidement, qu’on se risque à tirer la langue à son voisin, à la mode tibétaine. Plus sérieusement, le pasteur annonce: «Ce matin, vous ne chanterez pas. Mais vous pourrez fredonner. Et nous avons la chance d’avoir un chœur, espacé lui aussi, sur la galerie.»

Ce matin, le culte sous-régional est aussi l’occasion de prendre congé du pasteur retraité Hugo Baier arrivé au terme de son année de vicariat dans la paroisse. Des aurevoirs en demi-teinte, car les directives du Conseil synodal (exécutif) de l’Église réformée vaudoise sont claires: les professionnels de plus de 65 ans ne sont en principe pas autorisés à prêcher ou à présider le culte. Ses mots seront donc mis dans la bouche du pasteur Hermann Vienna et du lecteur du jour. Le vicaire se contentera de quelques mots de remerciements à la fin de la célébration. Et pour chaque intervenant, un micro différent.

Une croix sur l’après-culte

Aujourd’hui, les chrétiens commémorent la Pentecôte, le don de l’Esprit-Saint et la fondation de l’Église. Dans le récit biblique, les disciples réunis dans une chambre voient des langues de feu se poser sur eux et se mettent à parler en d’autres langues et peuvent désormais aller apporter la promesse du salut à tous les peuples.  C’est le début de leur déconfinement. «L’Évangile et Jésus sont à portée de main et nous font nous réveiller et prendre au mot la parole biblique: demandons cette solution hydro-alcoolique qu’est l’Esprit-Saint. "Spiritus" en latin, c’est aussi l’alcool du pharmacien.»

Il est plus de 11h, lorsque les fidèles s’extirpent de l’édifice au pas. Au pied des marches, on fait un brin de causette, mais à distance, comme l’a rappelé le pasteur. «Il se passe souvent bien plus de choses après le culte. Aujourd’hui, pourtant on a peur de se rencontrer, de se toucher, de communier», regrette un paroissien. «J’ai mis mon masque, ainsi ça me permet d’être un peu plus proche des gens», explique une paroissienne. L’importance et la joie des retrouvailles sont évoquées par chacun et se lisent sur les visages. Mais, elles n’effacent pas une certaine frustration. «Je trouve ces mesures un peu extrêmes, en comparaison avec ce qui se passe dans les magasins ou les transports publics», avoue une paroissienne.

Pour préparer les lieux et s’assurer du respect des normes de protection, l’ensemble du conseil de paroisse s’est mobilisé. «Cela fait dix jours que nous planchons dessus. Il a notamment fallu procéder au marquage des places, ce qui a permis d’éviter le port obligatoire du masque. Nous avons déjà préparé deux églises de la paroisse», raconte Hubert Rakotonandrasana. Il faut à présent s’attaquer à la troisième.