Prière d'autoriser les cultes

Une manifestation s'est tenue devant l'église Saint-Sulpice, à Paris, pour la réouverture des messes. / Facebook
i
Une manifestation s'est tenue devant l'église Saint-Sulpice, à Paris, pour la réouverture des messes.
Facebook

Prière d'autoriser les cultes

Marie Lefebvre-Billiez / Paris
25 novembre 2020
France
Les chrétiens sont en colère en France: les offices religieux sont de nouveau autorisés, mais dans des conditions jugées impraticables. Les catholiques avaient manifesté dans la rue, pas les protestants. Les deux confessions n’ont pas le même rapport à la solidarité et à la notion de culte. Explications.

Colère et frustration ont accueilli, ce 25 novembre, l’annonce faite par Emmanuel Macron d’autoriser de nouveau les offices religieux, dans la limite de quelque dizaines de personnes. «30, c’est en comptant Jésus?» ironise sur Twittter le prêtre David Lerouge. A Pau, le pasteur réformé Stéphane Rémy, quant à lui,  regrette une jauge qui «ne tient pas compte de la réalité du terrain. À Tarbes, réunir 30 personnes dans notre tout petit lieu de culte est illusoire, mais à Pau, on peut facilement être 80 en respectant la distanciation physique.»

Immédiatement interpellé par les responsables des différentes confessions chrétiennes, Emmanuel Macron a promis de revoir sa copie. Unies, les confessions chrétiennes n’en sont pas moins différentes. Pour preuve: seuls les catholiques ont manifesté dans la rue pour le «retour de la messe». Selon le pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, «notre rapport à la société et à l’impératif de solidarité en situation de crise est différent. L’argument des protestants a toujours été la solidarité, tenir ensemble pour lutter contre le virus. Nous n’avons jamais placé la discussion sur le plan de la liberté de culte: elle n’est pas menacée en France, il ne faut pas exagérer!»

Refuser le communautarisme

La pasteure Emmanuelle Seyboldt, présidente de l’Église protestante unie de France, renchérit: «On ne nous a jamais empêchés de faire nos cultes, puisque nous pouvons les faire par visioconférence, sur Skype, etc. Cela n’a pas limité notre liberté de culte, au contraire, cela a fait exploser les initiatives en ligne!» Et d’admettre toutefois: «Certes, ne pas pouvoir nous retrouver physiquement nous a manqué. Mais qui sommes-nous pour ne pas supporter le manque? Il était inimaginable pour moi d’aller manifester comme des petits enfants, car l’expérience du manque fait partie de la vie. Il y a des gens qui sont morts, d’autres qui ont perdu leur travail et qui se retrouvent dans la misère. Par respect pour ces gens-là, je ne pourrai pas aller manifester... »

Pour François Clavairoly, «l’Église n’est pas un syndicat qui défendrait des intérêts particuliers». De plus, «la définition du culte est vécue différemment en protestantisme et en catholicisme». Le président de la FPF se réfère au mot allemand, Gottesdienst, qui désigne «le service de Dieu pour l’humanité». Les croyants sont donc dans une posture de «reconnaissance pour l’initiative de salut que Dieu a prise, et cela peut se vivre en dehors d’une église: le chant, la prière, la lecture de la Bible, la louange, tout cela peut se vivre en famille, à la maison, ou tout seul. Le culte, c’est la vie toute entière!»

Jean-Raymond Stauffacher, président de l’Union nationale des Églises protestantes réformées évangéliques, abonde en son sens. Il était mal à l’aise vis-à-vis des manifestations catholiques. «Les gens priaient face à leur cathédrale, en tournant le dos au monde. C’est tout l’inverse, pour moi, de l’évangélisation. Les protestants ont une posture de vigie, fondue dans le monde pour partager le message de l’Évangile en refusant le communautarisme. Nous sommes au service du monde et pas de nous-mêmes.»

«Nous, protestants, sommes trop gentils»

Le pasteur Jean-Raymond Stauffacher se remet actuellement de la Covid, après avoir passé dix jours en réanimation à l’hôpital. C’est dans le visage d’une infirmière de 20 ans, portant le masque et une surblouse pour lui apporter des soins, qu’il a vu le visage du Christ. «Le Christ est là, au milieu de cette crise. Il n’appartient à personne. À nous de le voir et de le révéler.»

Néanmoins, certains protestants s’inquiètent comme les catholiques pour la liberté de culte. «On peut passer une heure dans un magasin au contact d’autres clients, mais pas dans le cadre d’un culte», regrette Stéphane Rémy. «Nous, les protestants, nous sommes trop gentils, trop dans la diplomatie. Nous avons oublié Marie Durand et la Tour de Constance (celle-ci y fut enfermée dans pendant trente-huit ans, de 1730 à 1768, parce qu’elle refusait d’abjurer sa foi protestante, ndlr.). Il nous faut utiliser notre liberté d’expression pour défendre la liberté de culte.» Pour lui, manifester dans la rue n’était pas une bonne stratégie. Mais les protestants auraient pu se joindre aux recours déposés devant les tribunaux par les catholiques.

La part de la spiritualité dans la société

Jean-Louis Chamouton, prédicateur laïc de la paroisse réformée de Besançon, est en désaccord radical avec les décisions politiques concernant les cultes, qu’il estime «injustes et incohérentes, provoquant des atteintes aux libertés fondamentales». Pour autant, il n’a pas souhaité manifester – alors qu’il avait rejoint les rangs de la Manif pour Tous l’an dernier. «Le cœur de l’office catholique, c’est la messe et l’eucharistie. Pour un catholique, communier au corps réel de Christ ne peut pas se faire depuis chez lui. Pour les protestants au contraire, le cœur du culte, c’est la prédication, la Bible. Si on avait interdit de lire la Bible, alors les protestants auraient manifesté!» Mais dans les conditions actuelles, il n’avait pas envie «d’en rajouter: notre pays est tendu, le chrétien doit être artisan de paix».

La jauge initiale de 30 personnes au culte sera vraisemblablement rapidement assouplie. Le prochain défi pour les protestants sera alors le suivant, selon François Clavairoly: «Outre l’apparition d’un vaccin, que les conséquences économiques, sociales, psychologiques et politiques de la crise ne soient pas désastreuses. Dans ce contexte, il faudra réévaluer la part de la spiritualité dans la construction de la société. L’Église est présente en temps de crise, elle est une ressource! La dimension spirituelle ne pourra plus être minorée, ignorée.»