Journée du patrimoine religieux: moins de croyants mais plus de débats

@Philippe Cointault/Chri
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@Philippe Cointault/Chri

Journée du patrimoine religieux: moins de croyants mais plus de débats

Le 27 août se tiendra la quatrième Journée suisse du patrimoine religieux. À l'Université de Berne, la manifestation s'articulera autour de la flexibilité des bâtiments religieux. Selon l’architecte Sabine Nemec-Piguet, ancienne directrice générale de l'Office du patrimoine et des sites du canton de Genève, ces monuments historiques doivent devenir des lieux de débats sur le religieux et s’ouvrir sur la Cité.

C’est une donnée évidente: désormais, les célébrations liturgiques n’occupent plus suffisamment les édifices religieux du pays. À la ville ou à la campagne, en Suisse romande ou alémanique, un vide est à combler, cultes et messes n’attirant plus assez de fidèles. De fait, comment donner de nouveaux usages à des milliers de bâtiments d’une grande richesse architecturale? Pour sa quatrième édition, la Journée suisse du patrimoine religieux, qui se tiendra le 27 août à l’Université de Berne, se propose d’examiner comment continuer à faire de nos églises des espaces de réflexion autour de la croyance. Lors de conférences et discussions techniques, théologiens, architectes, historiens de l’art et pasteurs se pencheront sur de nombreux cas particuliers, qu’ils soient classés monuments historiques ou pas, afin de donner à voir tout le potentiel de lieux plus adaptables qu’on ne l’aurait pensé. L’une des intervenants, l’architecte Sabine Nemec-Piguet, ancienne directrice générale de l'Office du patrimoine et des sites du canton de Genève, a accepté de se pencher sur les enjeux de la manifestation. Interview.

Le thème de la prochaine Journée suisse du patrimoine religieux est la flexibilité. Qu’est-ce donc?

L’usage des édifices religieux a considérablement évolué. Depuis plusieurs décennies, les communautés religieuses ont de plus en plus de peine à pouvoir réunir ou y faire venir les croyants. Cela ne veut toutefois pas dire que les gens ne sont pas en recherche spirituelle. Dès lors, les pratiques religieuses sont à reconsidérer. Il existe bien sûr encore des fidèles qui souhaitent assister à des cultes ou des messes classiques, mais beaucoup de personnes poussent désormais les institutions chrétiennes à aborder le fait religieux et les questions de croyances autrement que par la liturgie, en proposant notamment des débats ou des activités sur le sujet, ou encore des espaces de recueillement ouverts à tous. Là est la flexibilité. Le rôle des Églises est donc aujourd’hui d’offrir des lieux de réflexion sur la spiritualité, d’apporter des réponses autres que purement théologiques, de se positionner dans l’espace public.

Il deviendrait donc impérieux aujourd’hui de parler de religion dans le cadre laïcisé du débat?

Mettons la laïcité entre guillemets, car ce qui est recherché là, c’est l’entre-deux. Ce qui importe donc est de fournir un éclairage religieux dans la Cité pour des personnes qui se questionnent. La montée des fondamentalismes a d’ailleurs poussé nombre de chrétiens à questionner leurs pratiques. Il y a donc là un tournant intellectuel auquel les églises doivent absolument répondre. 

La question d’activités purement culturelles et laïques se pose à certaines communautés religieuses, qui doivent diversifier leurs sources de financement.
Sabine Nemec-Piguet

La flexibilité ne concerne donc pas qu’une ouverture des lieux de culte à des activités profanes ou aux arts, comme on pourrait l’imaginer?

Si la cathédrale de Lausanne accueille des concerts depuis les années 1970, protestants et catholiques ont mis du temps à ouvrir les portes de leurs lieux de culte à des concerts publics, en dehors des pratiques religieuses. Désormais, la question d’activités purement culturelles et laïques se pose à certaines communautés religieuses, qui doivent diversifier leurs sources de financement. C’est particulièrement le cas à Genève, en raison de la séparation entre l’Église et de l’État. La cathédrale de Lausanne, bien qu’elle fasse partie d’une paroisse et qu’on y célèbre des services religieux, est entièrement entretenue et restaurée par des deniers publics.

Que se passe-t-il, dès lors qu’une communauté n’est plus capable d’assurer cet entretien?

Un monument historique sans usage se dégrade très rapidement, car plus personne ne peut financer son entretien à moins qu’il ne devienne un lieu touristique. Encore faut-il que son architecture et son histoire soient exceptionnelles, comme le château de Chillon, par exemple.  Pour les édifices religieux protégés au titre de patrimoine culturel, l’État peut intervenir en appui à une communauté religieuse, qui se charge de l’entretien courant et régulier, mais il ne peut pas prendre en charge la totalité des coûts. Pour des monuments non classés, il existe aussi la possibilité pour les communautés d’en demander la démolition, pour y reconstruire des immeubles générant une rentabilité financière. C’est ce qui était arrivé au temple de la Roseraie, à Genève, qui a été détruit dans les années 1990.

Au XXIe siècle, nous héritons de bâtiments qui ont été dessinés pour d’autres temps et d’autres pratiques.
Sabine Nemec-Piguet

Concrètement, comment rendre flexible un bâtiment religieux?

Au XXIe siècle, nous héritons de bâtiments qui ont été dessinés pour d’autres temps et d’autres pratiques. Une cathédrale du XIVe siècle est par définition très flexible car, à l’époque, elle était déjà polyvalente. Aménager une cathédrale pour accueillir des cérémonies politiques, des concerts, créer une boutique pour vendre des livres ou des cartes postales, créer une chapelle latérale pour faire un petit lieu de conférence ou un espace de recueillement, n’est pas si compliqué. Tout dépend de l’architecture d’origine. Plus le bâtiment est petit, plus la flexibilité est difficile à mettre en place, et bien évidemment, on ne peut pas changer les murs de place.

Le programme de la Journée met également l’accent sur le mobilier, la lumière, la technique et l’acoustique.

À juste titre. Et ces quatre données sont tout aussi importantes pour les activités ecclésiales que pour les activités profanes. Tous les lieux de culte anciens ont certes été électrifiés à la fin du XIXe siècle, ces installations ont été modernisées lors de rénovations, dans les années 1960. Les installations électriques de l’époque sont cependant devenues obsolètes, tant sur le plan technique que sur le plan esthétique. Concernant la lumière, on a aujourd’hui des technologies fabuleuses. À la cathédrale Saint-Pierre à Genève, par exemple, le récent changement de l’éclairage a transformé l’ambiance du lieu. En 1536, la Réforme avait supprimé tout décor. Aujourd’hui, la qualité de la lumière révèle l’architecture, ses volumes impressionnants et la beauté de la pierre.

Le 27 août, vous serez amenée à vous exprimer au sujet du temple de la Fusterie, à Genève. Quels sont les principaux enjeux des transformations à venir?

La Fusterie, qui appartient à l’Église protestante de Genève, est justement un temple dédié à la réflexion religieuse et à des activités culturelles. C’est le premier temple construit par les protestants à Genève. Beaucoup d’autres lieux de culte étaient anciennement des églises catholiques transformées par l’arrivée du protestantisme. Construit en 1715, dans un tissu médiéval, le temple de la Fusterie y joue un rôle urbanistique majeur, à mon avis un peu maltraité par une image urbaine environnante dégradée en raison de la très forte pression commerciale des Rues-Basses. Pour répondre à l’accueil de spectacles, conférences et expositions qui y sont proposés, il est nécessaire pour ce lieu qu’y soit construit un back-office comprenant des loges, des sanitaires, des salles techniques et une petite salle de répétition. Ce projet, qui a déjà reçu une autorisation officielle, sera imaginé sous la structure du temple, les fondations devant être entièrement consolidées.

Le temple de Nyon, du cultuel au culturel

Il fera également l'objet de discussions lors de la Journée suisse du patrimoine religieux. C’est un mille-feuilles d’époques et d’architectures. Mais grâce à un concours lancé en 2009, le temple de Nyon, est désormais un exemple brillant de bâtiment religieux devenu flexible, grâce à l’association des architectes vaudois Nicolas Delachaux et Christophe Amsand. «Nous avons dû traiter des techniques allant du XIIème siècle à nos jours.», explique Nicolas Delachaux, qui détaille les apports successifs de l’histoire à la bâtisse, détaillant les trésors qu’elle renferme: «une peinture murale de la Pentecôte datant du XXIIIème, des vitraux de Ribaupierre posés en 1925 ou encore, sans oublier ce clocher reconstruit en 1936, également grâce à un concours.»

Trop de bancs

«L’obsolescence technique et électrique était l’un des enjeux principaux de ces transformations, qui devaient permettre une utilisation du lieu tant pour le domaine cultuel que culturel», explicite Nicolas Delachaux. L’architecte se penche également sur l’acoustique du temple qui, inauguré dans sa nouvelle forme juste avant Noël 2016, peut désormais accueillir pièces de théâtre, récitals de musique et célébrations liturgiques «sans l’aide obligatoire d’un micro, la chapelle permettant une très bonne diffusion du son». Et d’ajouter que le souci principal de cette nouvelle flexibilité était la disposition des bancs: «À l’époque, on en mettait tant qu’on en pouvait, afin de remplir l’église jusque dans les moindres recoins. Désormais, les bancs ont la même dimension et rendent possible de multiples dispositions.»