Chrétiens et laïcs se retrouvent autour du transhumanisme

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Chrétiens et laïcs se retrouvent autour du transhumanisme

Emily McFarlan Miller
24 septembre 2018
Devrions-nous vivre jusque l’âge de 500 ans? La première Conférence sur le transhumanisme chrétien s’est déroulée récemment à Nashville. Des spécialistes chrétiens et athées y ont partagé leurs visions du monde.

C’est une vieille histoire qu’on entend dans beaucoup de sermons, raconte le révérend Neal Locke de la First presbytérien cherche d’El Paso, au Texas. Un homme est debout sur le toit de sa maison tandis que les eaux montent. Une fourgonnette s’arrête et le conducteur lui dit de monter, mais l’homme refuse, affirmant qu’il a prié et que Dieu va le sauver. Il refuse également l’aide d’un bateau et d’un hélicoptère avant d’être submergé par l’eau. L’histoire se termine quand il arrive au ciel. L’homme demande à Dieu pourquoi il ne l’a pas sauvé, et Dieu lui répond qu’il lui a envoyé une fourgonnette, un bateau et un hélicoptère et ajoute: «Collabore avec moi.»

Neal Locke n’est pas l’auteur de cette prédication. Le pasteur texan était le modérateur d’un débat à la toute première Conférence sur le transhumanisme chrétien organisée le mois dernier par l’Association transhumaniste chrétienne à l’Université Lipscomb, une école affiliée à l’Église du Christ à Nashville. Le transhumanisme est le concept selon lequel les humains peuvent transcender leurs limites physiques et mentales grâce à la science et la technologie. Pour les transhumanistes chrétiens, ce concept est le fait d’œuvrer avec Dieu afin de réaliser son œuvre dans le monde, grâce à la science et la technologie.

«C’est un point de vue qui nous invite et nous pousse à développer une théologie plus profonde sur la technologie», explique Micah Redding, directeur de l’Association transhumaniste chrétienne créée il y a quatre ans. «Cela nous permet d’aborder l’avenir de la technologie ainsi que la signification de défendre des valeurs positives et relationnelles en tant qu’êtres humains.»

Il y a un intérêt croissant des Églises pour le transhumanisme, affirme Micah Redding qui fait référence à de récentes conférences sur des sujets similaires à Londres et au Vatican. Avec le temps, les transhumanistes laïcs ont développé un intérêt pour la religion, y compris la création d’une religion en lien avec l’intelligence artificielle. Mais il y a de la résistance des deux côtés. D’après Micah Redding, c’est dû au fait que les transhumanistes laïcs ne le considèrent pas comme «un membre à part entière de leur communauté» et au fait que les chrétiens estiment que «l’association avec le transhumanisme va conduire à l’Antéchrist».

Une science controversée

Les transhumanistes envisagent un avenir dans lequel on pourra télécharger son esprit et où la durée de vie sera nettement plus longue. En langage biblique, ils imaginent un temps où les aveugles pourront voir et les boiteux marcher. Stephen Helms Tillery, neuro-scientifique, professeur associé en biotechnologie et chercheur au Centre Lincoln pour l’éthique appliquée à l’Université d’Arizona, est en train de développer des types de technologies que les transhumanistes appellent des neuro-prothèses qui connectent le système nerveux à des systèmes informatiques.

Le travail de Helms Tillery pourrait bientôt permettre aux scientifiques de créer un bras robotisé qui pourrait être contrôlé par la pensée ou encore une prothèse de main avec des capteurs ressentant le toucher. Selon lui, «il n’y a aucune raison de penser que ces techniques ne pourraient pas être utilisées de façon plus large pour interagir avec des ordinateurs. Les progrès qui intéressent les transhumanistes sont déjà en cours, mais d’une manière beaucoup plus prosaïque. Ils y travaillent depuis 50 ans», affirme Helms Tillery.

Les lentilles de contact, les microscopes et les télescopes ont déjà profondément élargi les capacités de l’homme, précise-t-il, et Google permet aux gens de rapidement accéder à l’information. «Mais allons-nous voir un saut quantique qui nous permettra de télécharger notre cerveau sur un ordinateur? Je ne pense pas. Où vivre éternellement? Je ne pense pas non plus. Mais je peux me tromper.»

Russell Moore, directeur de la Commission pour l’éthique et la liberté religieuse de la Convention baptiste du sud, se méfie de l’interface entre le transhumanisme et le christianisme: «On ne pourra jamais avoir une société chrétienne transhumaniste, de la même façon qu’on ne verra jamais une société végane carnivore. Les deux sont totalement contradictoires.»

D’après Russell Moore, c’est parce que la Bible commence avec une humanité créée à l’image de Dieu. Il en est de même pour l’incarnation de Jésus que les chrétiens considèrent comme un Dieu et un homme. Transcender l’humanité est donc «contradictoire au récit biblique à tous les points de vue». «Les Écritures nous expliquent comment transcender la mort, et ce n’est pas par nos propres exploits technologiques», ajoute-t-il.

Russell Moore considère toutefois que la technologie est quelque chose de bien et ne veut pas être alarmiste; il se souvient de chrétiens dans les années 1980 qui craignaient que les scanners au supermarché puissent conduire en quelque sorte à «la marque de la bête» décrite dans l’Apocalypse. Il pense que des idées telles que le transhumanisme présentent aux chrétiens des zones grises auxquelles ils doivent réfléchir — avant qu’elles ne deviennent réelles.

Des discussions étranges

Rassembler ces deux points de vue sur le transhumanisme a été exactement ce que le directeur de l’Association transhumaniste chrétienne a souhaité faire à la conférence de Nashville qui a attiré environ 130 participants et orateurs de diverses croyances. Ils ont débattu de ce que cela signifiait d’être «humain», si les humains peux et devaient vivre jusqu’à 500 ans ainsi que si l’humanité était effectivement en train de vivre une vie virtuelle.

Les discussions étaient «embarrassantes» et «étranges», admet Micah Redding. «D’ailleurs, si les participants n’avaient pas été en quelque sorte gênés, c’est que nous n’avions pas fait convenablement notre travail.» Comme Micah Redding, un grand nombre de participants adhèrent au transhumanisme et à la foi, sans équivoque.

Blaire Ostler, membre du conseil et ancienne directrice de l’Association transhumaniste mormone, une organisation bien plus grande et établie depuis plus longtemps s’est confrontée pour la première fois au transhumanisme il y a quatre ou cinq ans et «ça a été le coup de foudre», raconte-t-elle.

Blaire Ostler, qui écrit et parle des intersections entre son identité lesbienne, transhumaniste et membre de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, raconte qu’elle était arrivée à un point où elle valorisait sa foi, mais était désillusionnée par l’institution ecclésiale. Le transhumanisme lui a donné un moyen d’agir selon sa foi. «Le transhumanisme m’a vraiment apporté de la vie. Nous croyons et nous sommes actifs, c’est vraiment ce que j’aime», affirme-t-elle.

Cela correspond également à la foi de Cheyenne Medders, membre de l’Église du Christ et musicien à Nashville. Il est venu à la conférence après avoir participé à des discussions en ligne organisée par l’Association transhumaniste chrétienne. Il ne considère pas que les deux croyances soient contradictoires. En fait, d’après lui, puisque les humains et l’intelligence artificielle progressent, il croit qu’ils vont conduire à la vérité, et la vérité vient de Dieu. «Plus nous en apprenons sur la science, plus nous découvrons Dieu», affirme Cheyenne Medders.

L’orateur principal, Aubrey de Grey, est cofondateur de la Fondation de recherche de stratégies pour une sénescence négligeable modifiée (SENS, Strategies for Engineered Negligible Senescence), une institution qui cherche à prolonger la durée de vie en découvrant des manières pour réparer les dégâts causés par le vieillissement. Aubrey de Grey se dit agnostique, mais des questions comme l’extension radicale de la vie sont, pour lui, «le genre de truc que la Bible nous dit de faire, si nous en avons la possibilité», explique-t-il. «Le vieillissement ne fait pas que nous tuer. Il nous tue lentement après une longue et atroce période de décrépitude. Ce serait un péché capital de ne pas chercher à vaincre le vieillissement.»

D’autres laïcs semblaient aussi s’ouvrir sur le point de vue chrétien. Javier Irizarry, de la Société des ingénieurs professionnels hispaniques, se dit athée. Il constate, toutefois, que beaucoup d’Américains sont chrétiens, surtout parmi la population hispanique qu’il représente à travers son association. «Il est important de savoir comment aborder la thématique du transhumanisme avec eux. Cette question concerne tout le monde — croyant ou non croyant —, il faut que nous puissions tous y collaborer.» Emily McFarlan Miller, Nashville, Tennessee, RNS/Protestinter