Les pasteurs face au désir de mourir

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Les pasteurs face au désir de mourir

Bien que très divisé sur la question, le Valais pourrait légiférer, ce jeudi, sur l’accès au suicide assisté dans les EMS. Si les catholiques ont clairement pris position contre l’inscription d’un droit au suicide assisté dans la loi, les protestants n’ont pas souhaité s’immiscer dans le débat. Pour quelles raisons? Rencontres.

«L’Église évangélique réfomée du Valais ne va pas se positionner sur la question de la modification de la loi concernant l’assistance au suicide», confirme Gilles Cavin, pasteur à Sierre et vice-président du Conseil synodal de l’EREV, soit son organe exécutif. Alors que l’Église catholique s’est clairement exprimée contre la proposition de la Commission de la santé du Parlement visant à inscrire dans la Loi sur la santé l’assistance au suicide comme un droit, le silence des protestants interroge. Quelles sont donc les raisons de leur absence dans ce débat? «L’Église réformée est très partagée, tant au niveau du Conseil synodal que des paroisses», répond le pasteur. «Il n’y aura donc pas de prise de position officielle.»

La question du suicide assisté n’en agite pas moins les esprits – et les discussions plus ou moins informelles. «La soirée organisée début mars sur ce thème, dans la paroisse de Monthey, a attiré les foules», rapporte Hélène Küng, pasteure de la paroisse du Coude du Rhône Martigny-Saxon. Et de noter que cette rencontre n’a pas seulement réuni «des paroissiens reconnaissables, mais bon nombre de personnes actives dans les EMS, des médecins, des infirmières, etc. Manifestement, c’est une question qui nous travaille.»

«Les demandes de suicide ont beaucoup augmenté ces dernières années», estime Gilles Cavin. «Ces deux dernières années, j’ai eu quatre cas, alors que cela ne m’était jamais arrivé auparavant.» Jeff Berkheiser, le doyen des pasteurs et diacres de l’EREV, confirme également cette impression: «Je ne l’ai pas vécu personnellement, mais en discutant avec certains collègues, j’ai découvert avec étonnement qu’un certain nombre d’entre eux avaient déjà concrètement été confrontés à la question.» Et de souligner: «C’est une question difficile: c’est une chose quand on est dans la théorie, une autre quand on est face à la famille et aux soignants.»

Agnès Thuégaz, pasteure dans la paroisse du Coude du Rhône, a d’ailleurs de son côté accompagné plusieurs proches confrontés au souhait d’un de leur parent de faire appel à l’assistance au suicide. La problématique n’était pas nouvelle pour elle, elle était déjà venue la cueillir dans son parcours de vie: «Mon père s’est suicidé», confie-t-elle. «J’ai donc été confrontée à cette question dès mon jeune âge. Confrontée également à des prises de position qui tantôt condamnaient ou légitimaient le suicide. Or, toutes deux sont problématiques, qu’il s’agisse de suicide ou suicide assisté: personne ne peut juger de l’intention d’une personne qui passe à l’acte.»

Pour Armand Bissat, diacre et aumônier d’hôpital, sa mission consiste précisément à «accompagner les gens, sans jugement, sans avoir envie de transmettre une position. Être juste avec les gens qui sont dans une détresse.» Cette ouverture d’esprit, l’homme admet ne pas toujours l’avoir eue. «Elle est le fruit d’un long cheminement. Gamin, je répétais comme les adultes que c’était mal. Mais après, quand on a quelqu’un devant soi qui se tord de douleur, ce serait un peu trop facile de dire: va mon enfant, tout va bien. Dieu est avec toi et reste avec tes souffrances.» D’ailleurs, que la loi soit modifiée ou non, cela ne changera rien à son approche dans son ministère d’aumônerie, affirme-t-il.

Le problème, c’est la loi

Pour sa part, la pasteure Hélène Küng considère qu’il y a «un véritable risque à légiférer». Et ce, dans un sens comme dans l’autre: «Soit un risque de banaliser, soit de poser un cadre qui ne permettra plus aux gens de se poser librement la question. Or ce qui importe, c’est d’ouvrir la porte au maximum pour que chacun puisse exprimer son angoisse, ses craintes, sa lassitude de vivre aussi».

Même sentiment du côté de sa collègue Agnès Thuégaz: «Cette proposition de loi reflète le désarroi d’une société qui ne sait pas trop quoi faire avec ces questions éthiques, qui ne relèvent pas du domaine du droit. Tout ne peut pas être une question de feu rouge ou de feu vert.» Pour cette pasteure et théologienne, «il y a beaucoup trop de souffrances mais aussi d’implications sur les proches, que cela soit la famille ou les professionnels qui peuvent se retrouver face à leurs propres limites, pour en faire une banale histoire de feu de circulation, où l’on ne peut plus que stigmatiser ou banaliser».

Philippe Genton, pasteur retraité de la paroisse de Monthey et auteur d’un Plaidoyer pour l’assistance au suicide (Ed. Baudelaire) se dit pourtant également «convaincu qu’il est erroné de faire une loi sur des questions éthiques. C’est une fausse piste et une fausse solution.» Et d’expliquer: «Dès lors qu’il y a une loi, il est possible d’exiger ce qui est désormais un droit. De fait, praticien et patient ne sont plus dans une structure de dialogue, mais d’arbitrage.» Et pour en revenir au cas en question: «Si une loi contraint la direction d’un EMS par exemple d’accepter une assistance au suicide dans son établissement, toute réflexion est désormais interdite au sein du personnel, comme au sein de la communauté résidente et de leurs proches. Mêmes conséquences au cas où une loi donne possibilité à la direction de s’y opposer.»

Et la liberté de l’entourage?

Le pasteur Gilles Cavin, qui s’est retrouvé concrètement dans ces situations, raconte: «J’ai accompagné ces personnes, mais jamais jusqu’au moment fatidique. En tant que pasteur, je suis là pour être auprès des vivants.» Et de préciser: «Je respecte la démarche, j’accompagne comme je peux, mais sur le fond, je ne soutiens pas l’assistance au suicide. Du point de vue de la liberté individuelle, je suis pour, mais cela pose la question de la responsabilité collective.» C’est-à-dire? «Pour moi, c’est problématique que dans les EMS qui acceptent l’assistance au suicide, le personnel soit embrigadé dans la démarche sans l’avoir choisi. Et aussi, le problème avec Exit, c’est qu’on essaie de nous faire croire que ce n’est pas un suicide. Or, psychologiquement, c’est très différent quand un proche meure par suicide.»

«L’entourage est pris en otage» ose lâcher Agnès Thuégaz. «Il est appelé, par affection, à cautionner quelque chose qui n’est pas cautionnable. La mort restera toujours un scandale. Le dernier souffle de vie est encore un souffle de vie, et il est précieux. Ce n’est pas à moi ni à la société de définir quand ce dernier souffle aura lieu.»

Et Dieu dans tout ça?

Et théologiquement, comment aborder cette question? «Pour moi, s’il y a quelqu’un qui peut comprendre la détresse de ces personnes qui envisagent le suicide assisté, c’est bien Dieu», répond Hélène Küng. «On appartient à une génération protestante où on n’avait pas le droit de se plaindre, de demander de l’aide. Or, la base théologique de notre foi, c’est le fait que Dieu comprend, et c’est de cet accueil, en tant que pasteur, dont j’ai l’honneur d’être le témoin quelle que soit la situation. Si on croit que Dieu ne comprend pas, on peut fermer boutique.»

 «A un moment donné, dans la vie de mon papa et pour des raisons qui lui appartiennent, la vie sur terre n’était plus possible», pose à son tour, Agnès Thuégaz. «Ma foi me fait dire que Dieu prend le relai, chaque fois que je n’en peux plus.» Et ce, dans la vie ou dans la mort...