Suicide assisté en EMS: gare à l’effet contagion!

En EMS, un suicide assisté peut avoir un véritable effet contagieux sur les autres résidents, selon une aumônière de l'EERV. / IStock
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En EMS, un suicide assisté peut avoir un véritable effet contagieux sur les autres résidents, selon une aumônière de l'EERV.
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Suicide assisté en EMS: gare à l’effet contagion!

La médecin bâloise Erika Preisig vient d’échapper de peu à une condamnation pour homicide, sur une sexagénaire vivant en maison de retraite (lire encadré). Le suicide assisté dans les homes pour personnes âgées serait un phénomène de plus en plus fréquent, selon une aumônière vaudoise.

Florence est aumônière de l’EERV et travaille en EMS. La question de la fin de vie, elle y est confrontée presque quotidiennement – ne serait-ce qu’au travers des questionnements intimes que certains résidents partagent avec elle. Or, depuis 2012, la mort qu’elle côtoie dans ce cadre s’est également offert un autre visage: celui d’une mort volontaire assistée, «MVA» comme on dit. En effet, cette année-là, le canton Vaud adopte sa loi sur le suicide assisté – c’est d’ailleurs le premier de Suisse à s’être doté de pareille législation.

Sept ans plus tard, Florence se dit «troublée par l’accélération des choses» et nous évoque sans détour «l’effet contagion, un aspect particulièrement délicat en EMS», où il n’est pas rare que certains ressentent être un poids pour leurs proches, parfois même pour la société, selon des critères bassement économiques.

Au nom du secret médical

Impossible néanmoins de connaître le nombre de ces suicides assistés dans ces homes pour personnes âgées: «La manière de s'en aller ressort du secret médical», indique l’aumônière. «Donc personne n'est censé savoir que certaines personnes ont demandé Exit,  si la famille ne précise pas "a choisi de nous quitter" dans son avis mortuaire.»

Une situation particulière a pourtant permis à l’accompagnante spirituelle de remarquer l’influence que peut avoir un suicide assisté auprès des autres pensionnaires. «Dans l'établissement où je travaille, l'une des personnes avait communiqué son choix à ses compagnons», raconte-t-elle. «D'où la discussion ensuite avec certains: au fond qu'est-ce qu'on nous offre d'autre, à part plus de souffrances?» 

Florence poursuit son témoignage: «Pour rasséréner un personnel ébranlé par la demande d'une personne bien dans sa tête et même joyeuse, mais qui a voulu s'épargner la déchéance, la direction des soins a choisi de faire venir l'équipe d'Exit.» Le résultat de cet échange? «L’association a parlé très positivement de leur action, mais il restait un malaise chez ceux et celles qui se sentaient poussés dans le climat "c'est bien, c'est mieux pour eux"», formule l’aumônière. 

Une normalité inquiétante

«Je n'ai rien à redire envers la manière de travailler d'Exit, ils sont effectivement très à l'écoute et respectent les procédures, ils contactent les familles, etc. Toutefois, il semble que les décisions sont prises rapidement…», exprime-t-elle. Et d’ajouter: «Une personne est partie quelques semaines seulement après son entrée. Elle ne pouvait tout simplement pas se voir vivre le reste de ces jours dans ce lieu, c'était une raison suffisante: détresse morale et évidemment toute une série des maux de l'âge. C'est ce glissement vers la normalité qui m'inquiète.» Florence tient cependant à préciser qu’elle respecte les choix individuels et accompagne même cette étape, le cas échéant.

La question du discernement de la personne, en cas de dépression, était précisément au cœur de l’affaire jugée cette semaine dans le canton de Bâle. Or, que penser des personnes âgées en dépression? Peut-on considérer que cet état (dû à la vieillesse, au fait de devoir vivre en EMS) peut précisément altérer le discernement?

«La dépression est un diagnostic médical. Je parlerais plutôt d’état de tristesse et de doutes qu'on ne laisse pas forcément à la personne le temps de surmonter», répond l’aumônière. «On me rétorquera que c'est moi qui projette ma non-acceptation sur l'espoir d’un retour possible à la normale. C'est bien ça une des questions: qui décide, qui influence, avec quelle représentation?»

 

*Prénom d’emprunt, connu de la rédaction

UN ANGE DE LA MORT AU TRIBUNAL

Mardi 9 juillet, après quatre jours de procédure, le Tribunal pénal de Bâle-Campagne a décidé d’acquitter «de justesse» Erika Preisig, présidente de l’association Eternal Spirit, poursuivie par le Ministère public bâlois pour homicide, en raison d’une aide au suicide jugée irrégulière. La justice a cependant reconnu coupable de violation de la loi sur les produits thérapeutiques la doctoresse de 61 ans, et celle-ci écope à ce titre de 15 mois de prison avec sursis ainsi que d’une amende de 20'000 fr. La procureure, Evelyn Kern, avait requis 5 ans de prison pour celle qui se fait volontiers appeler «ange de la mort».

Non-entrée en matière d’Exit

Erika Preisig était alors poursuivie pour avoir aidé en juin 2006 une sexagénaire, vivant depuis peu en maison de retraite, à se donner la mort, alors que celle-ci, selon l’accusation, était «dépressive et incapable de discernement». Le tribunal a  reproché à l’inculpée d’avoir surestimé ses compétences et de n’avoir pas fait suffisamment d’efforts pour trouver un psychiatre disposé à clarifier l’état de santé de la patiente.

De son côté, l’accusation s’était basée sur une expertise post mortem, qui en a conclu que la défunte souffrait d’une grave dépression et que sa volonté de mourir ne reposait sur un jugement raisonnable, mais résultait bien de sa maladie. D’ailleurs, l’association Exit, de laquelle la retraitée était membre depuis 1983, avait refusé d’entrer en matière, en raison précisément d’un manque de certitude concernant l’état psychique réelle de la demandeuse.

Eternal Spirit est une association qui «s’engage à militer pour la légalisation de la mort volontaire assistée». En treize ans, Erika Preisig a réalisé 400 suicides assistés au nom de cette association, après avoir rendu 600 expertises favorables au suicide assisté chez Dignitas.