L'avortement menacé par le conservatisme religieux

Catholique, mère de sept enfants, proche d’un mouvement charismatique et connue pour son opposition à l’avortement, Amy Coney Barrett a été nommée juge à la Cour suprême par Donald Trump en 2020. / ©LDD
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Catholique, mère de sept enfants, proche d’un mouvement charismatique et connue pour son opposition à l’avortement, Amy Coney Barrett a été nommée juge à la Cour suprême par Donald Trump en 2020.
©LDD

L'avortement menacé par le conservatisme religieux

Décryptage
La Cour suprême américaine discute actuellement d’un texte qui pourrait remettre en cause le droit à l’avortement. Des décennies de mobilisations religieuses ont fait de cette question un enjeu identitaire clivant.

Le contexte

Entre 1930 et 1970, aux Etats-Unis, la lutte contre l’avortement est avant tout une cause catholique. A la fn des années 1960, comme ailleurs dans le monde, des mouvements féministes militent pour la légalisation de cette pratique. Née en 1967, une organisation religieuse multiconfessionnelle, composée de rabbins et de pasteurs protestants, joue d’ailleurs un rôle important dans le combat pour cette légalisation. Le Clergy Consultation Service (CSS) devient un organisme de référence, présent dans 38 Etats, pour conseiller les femmes sur le sujet et les diriger vers un réseau de professionnels qualifés. Avant même la légalisation, le CSS permet à des centaines de milliers de femmes d’avorter de manière sûre, confdentielle et gratuite.

Par ailleurs, dans le débat public, plusieurs campagnes visant à rendre l’avortement respectable ont alors cours. Parmi les arguments avancés: la liberté religieuse. En effet, toutes les confessions ne définissent pas le début de la vie au moment de la conception (comme le fait, par exemple, le catholicisme). Interdire l’avortement au nom de cette lecture irait donc à l’encontre de la liberté religieuse. En 1973, la Cour suprême finit par autoriser l’avortement au niveau fédéral. Mais avec un autre argument: le droit à la vie privée.

Stratégie électorale

Au milieu des années 1970, cependant, la question est reprise par des courants protestants évangéliques, qui n’en avaient pourtant jamais fait un combat. Pourquoi? «Les personnes qui lancent la question de l’avortement du côté évangélique, Jerry Falwell et Francis Schaeffer, sont les fondateurs d’une alliance conservatrice répondant à une stratégie du parti républicain: récupérer l’électorat catholique, traditionnellement démocrate», explique Philippe Gonzalez, sociologue des religions à l’Université de Lausanne. Les responsables évangéliques s’emparent de la cause «parce qu’elle leur permet de prendre la parole sur la scène politique au niveau national», à un moment où certains de leurs combats (notamment le refus de la déségrégation dans les écoles) ne sont plus recevables, explique Philippe Gonzalez.

Arguments religieux

L’alliance inédite entre conservateurs catholiques et évangéliques va durablement bouleverser les équilibres politiques américains. Décrite par ses propres acteurs comme un «œcuménisme des tranchées», elle a pour but de gagner une guerre culturelle, où l’avortement est central.

Au départ, l’argumentaire est religieux. Il repose sur une pensée théologique de Thomas d’Aquin: «Dès la conception, la vie est sacrée, voulue par Dieu. La stopper serait une violation de la sainteté de la vie, de la volonté divine, de la ‹loi naturelle›», analyse Sarah Stewart-Kroeker, théologienne à l’Université de Genève. Mais, portée par des penseurs qui ont un objectif politique, la position évangélique se transforme. Francis Schaeffer associe l’avortement à «un infanticide: ce serait le signe d’un déclin de la civilisation, qui conduirait irrémédiablement à une société nazie», résume Philippe Gonzalez. Les argumentaires théologiques modérés (comme refuser l’avortement à titre personnel, mais estimer qu’il s’agit d’un droit pour autrui), soutenus par les méthodistes ou les baptistes modérés, disparaissent de l’espace public.

Question identitaire

Appuyé par toute une série d’institutions ecclésiastiques et par des campagnes régulières, ce sujet religieux devient donc un enjeu politique, voire civilisationnel. Donc identitaire et, in fine, électoral. Ce que Donald Trump comprend très bien, en nommant deux juges catholiques conservateurs et un juge proche de ce milieu à la Cour suprême. Avec le résultat que l’on connaît.