«La radicalité est plus visible médiatiquement que le progressisme»

«La radicalité est plus visible médiatiquement que le progressisme» / ©iStock
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«La radicalité est plus visible médiatiquement que le progressisme»
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«La radicalité est plus visible médiatiquement que le progressisme»

David Douyère
Le sociologue David Douyère étudie de près la représentation des religions
dans les médias… avec ses clichés et ses pierres d’achoppement. Interview.

Quelles sont les principales difficultés des médias lorsqu’ils abordent le fait religieux?

Certains assimilent ce traitement à de la publicité. Les religions elles-mêmes font partie d’un dispositif qui vise à transmettre l’amour de Dieu, elles ont leurs propres outils de communication. En France, en tout cas, on sent une certaine réticence à traiter de ces sujets pour cette raison. Les médias craignent de faire du prosélytisme. 

Et comment cela se ressent-il dans les articles ou les émissions sur le sujet?

Je crains qu’il y ait une certaine dérision par rapport aux religions. Certes, c’est un reproche classique de l’extrême droite à l’endroit des médias, parce qu’elle craint qu’on se moque de l’Eglise. Mais on constate quand même une distance amusée envers certains courants et pratiques… Par exemple, cela se traduit dans une forme de réduction culturelle: les catholiques sont parfois associés à la rubrique «pain-fromage», puisque certains monastères fabriquent des produits du terroir et conservent une tradition. C’est une manière d’en parler qui n’est pas compromettante.

La médiatisation des religions n’est pourtant pas toujours légère…

En effet, il y a aussi une accentuation sur les positions radicales et traditionnelles. Dans les clichés qu’associent souvent les médias aux religions, on trouve par exemple la protestation indignée, qui concerne surtout les musulmans et les catholiques traditionalistes. On va beaucoup médiatiser des gens en prière sur la place publique parce qu’ils sont offusqués d’une pièce de théâtre ou d’un livre jugés non convenables. Un autre topos (situation ou thème récurrent, NDLR), c’est la place de la femme dans l’islam, le judaïsme ou le catholicisme, perçus comme des institutions masculines oppressives. En bref, la radicalité est plus visible médiatiquement que le progressisme. Les chrétiens de gauche, par exemple, apparaissent rarement.

Depuis une vingtaine d’années, les médias ont beaucoup relayé les scandales tels que la pédophilie du clergé, le créationnisme ou l’homophobie. Cela a-t-il transformé leur manière d’aborder la religion?

La réponse devrait être oui, mais je ne crois pas que le regard des médias ait changé. D’une part, le reproche est très ancien: on ne peut pas vraiment dire que les religions étaient mieux considérées avant les scandales. D’autre part, il n’y a pas beaucoup de journalistes spécialisés qui soient conscients de tous les enjeux. Je souligne au passage que cette information médiatique reste essentielle puisque la société a le droit de s’informer et que ce sont les médias qui vont relayer les scandales. C’est très utile aussi aux acteurs d’une religion, dans la mesure où rien ne serait fait à l’interne s’il n’y avait pas cette information. En revanche, il faut aussi noter que tous les scandales ne sont pas médiatisés. Les abus au sein du bouddhisme ou chez les témoins de Jéhovah ne passent pas beaucoup dans les journaux, alors qu’ils sont tout aussi graves.

Justement, certains courants religieux semblent passer sous le radar. Pour quelle raison?

Oui, c’est le cas des orthodoxes, des juifs, de différents mouvements assimilés à des sectes… Mais je ne sais pas vraiment pourquoi ils sont occultés. C’est peut-être une question historique. En France, par exemple, on parle peu du protestantisme, mais la Réforme y a été violemment combattue. Un autre élément de réponse réside peut-être dans la recherche de la discrétion. Certaines communautés ne s’affichent pas. Chez les protestants, c’est même considéré comme une vertu, des responsables me l’ont dit. Et on trouve dans les textes juifs et musulmans des incitations à pratiquer sa religion discrètement.

Oui, mais concernant l’islam, il est plutôt surreprésenté dans les médias…

Dans un premier temps, j’aurais envie de l’expliquer par une forme de xénophobie. Mais les actes de violence commis au nom de l’islam, sans doute abusivement, sont aussi perçus comme une menace. Ça n’a pas provoqué de rejet direct, mais plutôt une crainte. Certains chercheurs ont identifié une opération transnationale de communication, menée par les Frères musulmans, pour faire parler de l’islam. C’est encore contesté, mais cela a sans doute contribué à rendre les journalistes méfiants. D’un autre côté, certains médias essaient aussi de faire connaître cette tradition sous un jour favorable, en parlant du ramadan, par exemple. Les acteurs médiatiques de gauche tendent à revaloriser le religieux quand ils le perçoivent comme une pratique de minorité.

Du côté des religieux, est-ce que l’argument de la «sensibilité blessée» est souvent invoqué contre les médias?

Bien sûr. Il y a des associations actives dans la dénonciation de l’islamophobie, par exemple. Mais les chrétiens se défendent aussi contre certaines représentations. Je constate néanmoins que cette posture de victime, qui est en partie légitime, sert aussi une forme de visibilité publique. En d’autres termes, la victimisation permet de gagner de l’espace dans la société. Cette plainte est une forme de communication, indéniablement. Il y a une guerre sur la scène des représentations. 

L’expérience intérieure est difficilement dicible et passe très mal dans les médias.

Si l’on se penche sur le cas particulier des Eglises, qui représentent le courant religieux majoritaire en Europe, comment l’image qu’elles veulent donner d’elles-mêmes et celle relayée par les médias se heurtent-elles?

Pour répondre, j’insisterais sur le fait qu’il y a deux éléments fondamentaux des religions qui ne passent pour ainsi dire jamais dans les médias. D’une part, la vie courante des religieux au sens large est relativement peu traitée. Dans la vie des paroisses, il y a des kermesses, des groupes d’étude de la Bible… mais on n’en parle pas. Ce qui pousse les Eglises, mais d’autres courants aussi, à entrer dans la communication, à faire des vidéos YouTube ou du saut à l’élastique… Ces tentatives pour créer l’événement et attirer l’attention sont d’ailleurs souvent ridicules, je le dis librement.

D’autre part, les médias parlent encore moins des intentions. Pourquoi les croyants aident-ils les migrants, par exemple? Cette question est rarement abordée pour une raison très simple: l’expérience intérieure est difficilement dicible et passe très mal dans les médias. Les Eglises ont donc du mal à transmettre le sens de ce qu’elles font. 

En quoi les médias confessionnels sont-ils différents des médias «profanes» dans leur traitement du religieux?

Il s’agit d’un espace où le religieux est censé être connu et considéré. On peut donc dire davantage de choses. Même quand il s’agit d’aborder d’autres religions que la leur, les médias confessionnels peuvent avoir un regard un peu plus favorable. Dans les journaux catholiques et protestants, par exemple, l’islam et le judaïsme sont mieux considérés que dans la presse publique. Par contre, je ne suis pas sûr que ces médias soient très lus, puisqu’ils ont une position dans le champ confessionnel qui restreint leur lectorat… Et ils présentent une difficulté: on ne connaît pas toujours l’emprise doctrinale ou idéologique qui se trouve derrière, quel courant organise l’exposition dans ce média. Sur leur propre religion, leur traitement peut tendre vers la communication de leurs mouvements. 

David Douyère

David Douyère, professeur en science de l’information et de la communication à l’Université de Tours.

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