Laïcité genevoise: et après?

A Genève, 35% de la population n'adhère à aucune religion, mais près de 400 communautés différentes cohabitent. / © Joël Burri
i
A Genève, 35% de la population n'adhère à aucune religion, mais près de 400 communautés différentes cohabitent.
© Joël Burri

Laïcité genevoise: et après?

Histoire
Adoptée à la suite du référendum du 10 février dernier, la loi genevoise sur la laïcité régule les relations entre Etat et communautés, ainsi que la liberté religieuse individuelle. Un mélange peu commun.

En Suisse, pas de trace d’une laïcité «dure». «Dans la plupart des cantons, la tradition des relations Eglises-Etat suppose une approche plutôt positive envers la religion. Elle n’est pas vue comme quelque chose contre quoi il faudrait lutter, plutôt comme une institution importante pour la société en général, ce qui permet aux cultes d’obtenir des subventions conséquentes», résume le professeur René Pahud de Mortanges, directeur de l’Institut de droit des religions de l’Université de Fribourg. Des évolutions sont aujourd’hui en cours pour améliorer le statut des cultes apparus plus récemment. Dans le canton de Vaud, par exemple, une loi a ouvert la voie à la reconnaissance d’autres communautés religieuses. Depuis son entrée en vigueur en 2015, les premières d’entre elles s’engagent dans le processus. C’est dans ce contexte que s’inscrit la loi sur la laïcité genevoise adoptée en février dernier.

Liberté de croyance

Problème: la loi ne fait pas que réguler les relations Etat-religions. Son article 6 limite les manifestations religieuses publiques, son article 3 interdit aux fonctionnaires et aux élus le port d’un signe religieux. La loi intervient dans un champ qui d’habitude ne relève pas seulement des compétences cantonales: celui de la liberté de conscience et de croyance, principe protégé par l’article 15 de la Constitution fédérale. C’est ce qui a mis Quelques chiffres Le paysage religieux suisse est en profonde recomposition depuis une trentaine d’années. Les personnes sans appartenance religieuse ont triplé depuis l’an 2 000, représentant 26 % de la population suisse en 2017. Alors que jusque dans les années 1980, près de 90 % de la population était catholique ou réformée, les premiers représentent 36 % de la population et les seconds 24 % (Source : OFS). le feu aux poudres lors des débats. «Avoir mis ces deux matières dans une seule loi est assez particulier», estime René Pahud de Mortanges. «En Suisse, on ne voit nulle part de telles restrictions d’un canton envers ses fonctionnaires. Le Tessin et le canton de Saint-Gall interdisent certes le voile intégral. Sur le plan fédéral il y a eu la votation sur l’interdiction des minarets: il y a des courants qui cherchent à restreindre la visibilité de l’islam dans l’espace public. Mais à Genève cela va plus loin, et concerne toutes les religions.» Pourtant, en Suisse, les conflits pour motifs religieux restent «restreints», pour Jean-François Mayer, directeur de l’institut Religioscope. Ils sont plutôt réglés de manière pragmatique. Alors fallait-il une loi d’application si détaillée ? «Je comprends cette approche, car ne pas décider, c’est laisser ces questions à différents acteurs: on l’avait vu dans d’autres pays, comme en France, où des directeurs d’établissements scolaires se trouvaient appelés à régler des questions qui sont en réalité des débats de société», tranche Jean-François Mayer.

Approches multiples

Genève comme Neuchâtel sont les deux seuls cantons suisses à utiliser le terme «laïcité» quant à leurs relations avec d’autres communautés religieuses. Un mot qui ne va pas de soi. «Le terme est polysémique, il peut désigner une gestion du religieux dans un cadre sécularisé et marqué par une diversité croissante. Ou une attitude de mise à l’écart du religieux dans la sphère publique. Et on voit pointer dans le débat genevois toutes ces approches», observe le chercheur. La loi reflète évidemment une histoire et un héritage fortement locaux, les rapports de force de différents groupes et acteurs. 

Dans les faits, les articles problématiques de la loi pourront toujours être contestés dans un cas d’application concret devant le Tribunal fédéral, voire la Cour européenne des droits de l’homme, mais «un pronostic est difficile», avance prudemment René Pahud de Mortanges. Le juriste rappelle que la jurisprudence au niveau fédéral n’a pas encore traité des cas similaires. «Pour restreindre la liberté de religion, il faut un intérêt public qui prime sur l’intérêt privé. Et il faut que cette restriction soit proportionnelle au but visé», pointe-t-il. Genève et ses 400 communautés pourraient donner du fil à retordre aux juristes. Plusieurs recours ont d’ailleurs été déposés auprès de la Cour constitutionnelle de Genève. 

Dans tous les cas, les deux chercheurs ne pensent pas que le modèle genevois puisse faire école ailleurs en Suisse, malgré la sécularisation croissante de la société. «Ouvrir le débat sur les signes d’appartenance, politiquement c’est ouvrir une boîte de Pandore», remarque Jean-François Mayer, qui souligne cependant la qualité et le sérieux des échanges qui ont marqué la société genevoise. 

Quelques chiffres

Le paysage religieux suisse est en profonde recomposition depuis une trentaine d’années. Les personnes sans appartenance religieuse ont triplé depuis l’an 2'000, représentant 26 % de la population suisse en 2017. Alors que jusque dans les années 1980, près de 90 % de la population était catholique ou réformée, les premiers représentent 36 % de la population et les seconds 24 % (Source : OFS).