Liban: réarmement et discours belliqueux

Un habitant de Tayouneh le soir des combats. / © Noé Pignède
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Un habitant de Tayouneh le soir des combats.
© Noé Pignède

Liban: réarmement et discours belliqueux

Sophie Woeldgen, avec Noé Pignède
20 janvier 2022
Bascule
Dans un Liban en proie à une crise inédite, les minorités, notamment chrétiennes, se fanatisent. Un repli communautaire qui se traduit par un discours toujours plus violent et un réarmement préoccupant.

«Nous, les chrétiens, on nous a toujours dit de nous taire, d’attendre, de laisser faire, affirme Georges, un épicier du quartier de Geitaoui à Beyrouth. Mais regardez la situation de ce pays. Maintenant, le Hezbollah contrôle tout et c’est la catastrophe. A un moment, il faut percer l’abcès. C’est la seule solution.» Chez de nombreux chrétiens du quartier, lourdement affecté en août 2020 par l’explosion du port, le discours a basculé depuis le jeudi 14 octobre dernier.

Jusque-là, ils disaient ne soutenir aucun parti politique. A leurs yeux, Samir Geagea (le leader du parti politique chrétien des Forces libanaises, farouche opposant au Hezbollah) n’était qu’un politicien tout aussi corrompu que les autres. Mais ce jour-là, à peine les manifestants Hezbollah et Amal, qui protestaient contre le juge chargé de l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth, avaient-ils franchi l’ancienne ligne de démarcation que des snipers ont visé le cortège depuis le quartier chrétien. Dans la foulée, la mobilisation a viré en guerre urbaine. Les deux camps se sont affrontés pendant une large partie de la journée. Bilan : sept morts et une trentaine de blessés. Le soir même, les barrages qui séparent le quartier chrétien d’Ain El Remmaneh de celui, chiite, de Chiyah, ont fait leur retour. Au même endroit, pendant la guerre civile de 1975 à 1990, la ligne de démarcation indiquait la frontière entre Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest.

«Je retournerai me battre»

Depuis, personne n’a rien revendiqué et personne ne sait exactement qui a commencé, sur ordre de qui et pourquoi. «Ce qui s’est passé là a ravivé le repli sectaire», relève Martin Accad, chrétien évangélique, enseignant au Séminaire théologique baptiste de Beyrouth. «Depuis, de nombreux chrétiens pensent à nouveau que la force est le seul moyen de garantir leur pérennité. Beaucoup reviennent vers les partis traditionnels.» A l’image d’Anthony, le voisin de l’épicier, qui jurait ne plus jamais vouloir toucher une arme ou voter pour le parti-milice des Forces libanaises, et qui affirme aujourd’hui: «S’il le faut, je descendrai me battre.»

Malgré ce discours désormais musclé dans les rangs chrétiens, un affrontement armé avec les musulmans n’est pas à l’ordre du jour. «Je ne pense pas que la situation va dégénérer, pour la simple raison que les leaders politiques n’y ont pas intérêt», analyse Martin Accad. Sous couvert d’anonymat, un ancien gradé des Forces libanaises abonde: «La guerre n’est pas pour tout de suite. Mais désormais, le Hezbollah sait que s’il va trop loin, les chrétiens ne se laisseront pas faire.»

Vente d’armes

Ce climat de tension sécuritaire encourage toutefois un réarmement individuel. Ali, un marchand d’armes illégales du Sud-Liban, déclare avoir vu ses ventes augmenter de 80% depuis le début de la crise financière, fin 2019. «Je vends à toutes les confessions, mais ces derniers temps, les chrétiens sont devenus de bons clients.» Il affirme que les motivations des acheteurs ont changé. «Avant, les personnes achetaient des armes pour le show-off. Maintenant, c’est pour se défendre.»

Une raison qui ne concerne pas uniquement la minorité chrétienne, selon l’ancien gradé: «Tous les clans sont chauffés à blanc par leurs leaders.» Un discours pour resserrer les rangs et raviver les réflexes communautaires à l’approche des élections législatives. A défaut de pouvoir proposer une sortie de crise, les partis-milices hérités de la guerre civile fragmentent un peu plus la mosaïque confessionnelle libanaise. Une vieille recette: diviser pour mieux régner.