Marius Frey, le goût des autres

Marius Frey / ©Alain Gros-Claude
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Marius Frey
©Alain Gros-Claude

Marius Frey, le goût des autres

Grand écart
Pasteur puis cadre dans une multinationale, il a reçu un appel à fonder une communauté monastique. Il fait aujourd’hui profiter des communautés de son expérience.

Il a grandi à Genève, élevé par des parents suisses allemands («mon père travaillait au CERN et en médecine nucléaire aux HUG»), et reste romand de cœur, mais il vit sur les bords du lac de Thoune. Il a été pasteur avant de devenir cadre dirigeant dans une multinationale. Il se décrit comme un «loup solitaire», mais il est marié, papa de quatre filles, et surtout cofondateur d’une communauté monastique où il vit depuis dix ans. Marius Frey n’a pas peur des revirements, encore moins des aventures: au contraire, c’est ce qui anime cet entrepreneur social à l’esprit pionnier.

Il lui a fallu du temps pour canaliser son énergie débordante. Sur sa vingtaine, il ne s’appesantit pas: «J’ai perdu du temps, c’était dix ans d’errance.» Aussi, le jour où il est sollicité, il tend l’oreille. «C’était la nuit du 20 au 21 mai 2006, à deux heures trente du matin. J’ai eu un appel de Dieu qui m’a réveillé. Très direct, son message était: fonde un monastère.» A l’époque, Marius Frey s’interroge déjà beaucoup sur la manière de vivre sa foi, s’intéresse aux Eglises de maison, aux monastères. «J’ai toujours été fasciné par le modèle celtique où les monastères ressemblaient davantage à des villages.» Il en discute avec son épouse «très directe, qui ne va jamais me suivre si elle a l’impression que c’est un truc bidon». Tous deux cofondent le «Kloster Alte Gärtnerei» (cloître du Vieux Manoir): un espace constitué de plusieurs bâtiments situés sur un terrain qui avait appartenu au monastère d’Interlaken. Ils parlent de leur projet autour d’eux. D’autres familles les rejoignent au fil des ans. Aujourd’hui, le lieu mêle une vingtaine d’adultes et plus de 25 enfants, et compte sa propre microbrasserie. Cette communauté reste pour Marius Frey «l’une des meilleures décisions de ma vie». Car elle est justement «contre nature»: «Si tu as un caractère d’aventurier, le risque est que tu te retrouves isolé, personne ne te remet en question et tu rates toutes les chances de progresser. Pour moi, ce style de vie est un antidote positif.»

En parallèle à la fondation de sa communauté de vie et de foi, Marius Frey quitte son rôle de pasteur pour rejoindre l’économie privée, ce qu’il vit toujours comme un appel. «J’ai rencontré en Angleterre un vieillard qui s’est approché de moi pour me dire d’aller ‹là où l’Eglise n’était pas.›»

Mais ne comptez pas sur l’ancien pasteur pour tailler en pièces l’Eglise institutionnelle, même s’il l’a délaissée. «Je ne souhaite pas la mort de l’Eglise, au contraire! Quand je suis arrivé en entreprise, ça m’a vraiment brisé le cœur de voir à quel point elle était devenue insignifiante dans le monde actuel. L’Eglise est apparemment mourante et ça me fait de la peine. Peut-être viendra le temps de se débarrasser des dimensions pour lesquelles on a perdu l’agilité et la flexibilité, pourquoi pas en ayant l’œil sur les traditions monastiques. Mais je crois que Dieu est beaucoup plus fidèle et constant que ce que l’on croit. J’ai cet espoir. Ce n’est pas à nous de scier les branches: l’époque est désespérée, je me suis réconcilié avec toutes sortes de traditions.»

J’ai appris à honorer des gens très différents

D’ailleurs, ce sont aujourd’hui des Eglises qui font appel à lui… comme coach en stratégie, et de médiation. Des mandats qu’il accepte volontiers – il a quitté le cadre très structuré des multinationales pour fonder ses propres start-ups, il y a peu. Au quotidien, l’entrepreneur vit sa foi auprès des personnes qui composent sa communauté de proximité, sans hiérarchie. Une grande richesse, notamment sur le plan spirituel. «On n’est pas juste une bande de copains: avec certains membres, je sais que l’on ne peut pas échanger sur certains sujets politiques, nous sommes vraiment très divers. Mais j’ai appris à honorer ces personnes très différentes que je vois tous les jours. En tant que chrétien, j’apprends à rechercher quotidiennement ce Dieu d’amour et éternel pour suivre l’exemple de Jésus qui disait qu’il fallait s’aimer les uns les autres!»

Marius Frey ne compte cependant pas s’arrêter là: animé d’une nouvelle vision et d’une conviction, il aimerait développer une nouvelle communauté sur les rives du Léman. Avec cette fois-ci une dimension économique et agricole, en plus de l’aspect spirituel et communautaire. L’aventure, encore et toujours.

Réponse à l’individualisme

«Comment ramener la spiritualité vécue dans la vie quotidienne? Nous vivons dans une socié té atomisée, très individualisée, où l’égoïsme domine! Et les Eglises n’y échappent pas. Je cherchais une réponse holistique, pas un simple projet, mais réellement une manière de vivre. Pour moi, le Dieu trinitaire vivant est une communauté en soi. Vivre dans une communauté avec une dimension monastique m’est apparu comme une réponse. Pour l’avoir vécu durant dix ans, elle me semble viable.»

Bio express

1970 Naissance et déménagement à Genève.
1998-2003 Licence en théologie (Bâle).
2002-2006 Pasteur (Steffisburg et Thoune).
2008-2010 Master en économie (Warwick).
2007-2019 Cadre dirigeant dans un groupe logistique.
2013-2015 Master en informatique (Lucerne).
2017-2021 Cofonde trois start-ups dont Smartlog Vision, qu’il dirige aujourd’hui.
2011 Cofonde Le Vieux Manoir, communauté monastique à Steffisburg - www. altegärtnerei.ch.
2019 Lance les «New monastic roundtables» à Vaumarcus.