Une voix pour la jeunesse réformée

©Jean-Paul Guinnard/24heures
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©Jean-Paul Guinnard/24heures

Une voix pour la jeunesse réformée

14 juillet 2022
Elle est la plus jeune déléguée au Synode de l’Église réformée vaudoise. Du haut de ses 22 ans, Laurence Kohli a une seule mission: donner une voix à la jeunesse réformée du canton, «trop peu considérée par ses aînés». Portrait.

Il fait 38 degrés dans la grande salle de Bavois. Malgré la moiteur assommante, Laurence Kohli dégaine haut son bras droit. Elle demande la parole, on la lui donne. Le débat d’entrée en matière sur une bénédiction nuptiale unique pour tous les couples mariés vient d’être accepté par les délégués au Synode (organe délibérant) de l’Église évangélique réformée vaudoise (EERV). «En plus de mon investissement au Synode, je suis membre d’Agora, le Synode des jeunes du canton, un lieu de débats. Nous avons discuté de la bénédiction unique: la jeunesse de l’Église est pour!», lâche-t-elle avant de se rasseoir aussitôt.

Pas un trémolo dans la voix. Pas une once de stress. La première prise de parole de la plus jeune déléguée – en fonction depuis le mois de mars – n’était qu’assurance et conviction. Un exercice chevillé au corps: «Petite déjà, je n’avais pas peur de m’exprimer en public. J’ai d’ailleurs toujours eu tendance à parler un peu trop et à dire tout haut ce que d’autres préféraient ne pas entendre», sourit-elle. À Bavois, sa concision fait mouche. Laurence Kohli a été entendue. Plusieurs élus appellent à prendre en considération cette voix, écho de la jeunesse. Alors au moment du vote, lorsque le «oui» à la bénédiction unique l’emporte, la jeune fille ne cache pas son sourire. Il n’empêche que cette fonction de porte-parole ne fait pas l’unanimité au sein de l’assemblée: certains délégués s’interrogent sur la réelle représentativité clamée en plénum. Du grain à moudre: «Pour que les choses bougent, il est nécessaire de s’engager. Les personnes plus âgées, majoritaires dans l’EERV, ne sont pas dans nos têtes», affirmait-elle d’ailleurs quelques minutes avant de tenir le crachoir.

Monter le volume

«Les jeunes ne sont pas assez écoutés dans notre Église. Nous sommes bénévoles et à ce titre, nous ne sommes pas impliqués dans les processus décisionnels. Nous sommes pourtant l’avenir», assène-t-elle avec conviction, tout en découpant délicatement le poivron rouge qui accompagne son pique-nique synodal, à même la table où elle siège. Privilège de la jeunesse sans doute, Laurence Kohli ose. La fleur au fusil, elle n’a rien à perdre. «Il faut tout de même avoir les épaules solides face à certaines personnes qui peinent à nous considérer comme leurs égaux.»

Alors du haut de ses 22 ans fraîchement fêtés, elle ne se démonte pas et agit au nom d’une jeunesse bien présente au sein des rangs des croyants et «visible dans l’accompagnement de camps de catéchisme et l’organisation d’activités plutôt que le dimanche au culte». Le problème: «Le dimanche matin est synonyme de grasse matinée ou de révisions pour la majorité des jeunes», résume-t-elle. Qu’à cela ne tienne, il y a presque quatre ans, elle lance Célé’jeunes, des cultes différents, dans sa région du Chablais vaudois. Le principe: des célébrations thématiques en soirée. Liberté, confiance, identité de Dieu, avec à chaque fois des chants qui résonnent rarement à l’église. «Le texte biblique n’est pas forcément au centre, nous privilégions les échanges. Et nous pouvons compter sur notre pasteure pour l’apport théologique et les bénédictions», ajoute Laurence Kohli. Une formule qui ne séduit pas que les jeunes. À tel point qu’«une soixantaine de gens ont bravé la tempête hivernale pour monter à Leysin et vivre une célébration dans un iglou», s’étonne-t-elle encore. Et dernièrement, c’est un vrai bal masqué qui s’est organisé pour aborder la question de ce qu’on révèle ou cache aux autres de notre vie.

Passage de témoin

Aujourd’hui, la sauce a pris, Laurence Kohli passe le flambeau à d’autres avec confiance. Il faut dire qu’elle s’apprête à entamer un bachelor en ingénierie des médias. Sans compter qu’elle a sorti sa chemise et son foulard de l’armoire pour reprendre les chemins du scoutisme. Avec une formation d’accompagnante de camp de catéchisme et de monitrice Jeunesse et Sport, elle peut y endosser la responsabilité de chef de camp. À la différence des camps de catéchisme confié au pasteur. «Pourquoi ne pas nous responsabiliser et solliciter le pasteur pour les questions théologiques?» interroge-t-elle. Pourtant, entre scoutisme et christianisme, elle refuse de choisir. «Le partage, la collaboration, l’aide au prochain sont autant de valeurs communes. Et puis, j’adore avoir des discussions avec les enfants, ils ont une imagination incroyable. J’aime leur transmettre mon expérience, être une personne ressource et les sortir de leur quotidien», liste-t-elle.

Non conventionnelle

Si Laurence Kohli lâche aujourd’hui du lest, elle s’accroche à son carton de vote synodal, qu’elle brandit au gré des intérêts de la jeunesse réformée, dont elle prend le pouls au sein d’Agora. Une manière pour celle qui, petite, rêvait «de changer le monde», de secouer les mentalités, avec la ferveur de son âge, enrobée de douceur et de maturité.

Une foi en actes, mais une foi non conventionnelle, de ses propres mots. «Je me retrouve dans l’esprit de Taizé, où je me rends une fois par an. C’est là que je me remets en relation avec Dieu, par la prière, et non pas en me rendant à l’église chaque dimanche matin.» Laurence Kohli ne cache pas être aussi branchée énergies, celles des gens, de la nature, des pierres. «Je crois en quelque chose au-dessus de nous, de plus grand. Faut-il parler de Dieu, de Mère Nature? Je crois que c’est toute la richesse de notre Église: tous différents, nous n’avons pas besoin de croire à l’identique. Ce qui nous rassemble c’est d’avoir en commun une croyance, mais aussi ces valeurs réformées dans lesquelles j’ai grandi et je me reconnais.»

Passé, présent, futur

C’était mieux avant?

C’était différent. Lorsque mon arrière-grand-mère me parlait de sa vie, elle semblait heureuse. Pourtant, les femmes n’avaient alors pas leur mot à dire dans une société très patriarcale. Aujourd’hui, on parle de l’avant-Covid. La pandémie a fait exploser la digitalisation. Est-ce mieux? Je l’ignore. Mais en tant qu’étudiante, je peux remplir les formulaires administratifs en ligne, sans avoir à prendre sur mes heures de cours pour me rendre au guichet, et ça c’est un gain de temps énorme.

Une bonne raison de vivre dans le moment présent?

Il permet d’oublier les listes interminables de choses à faire et d’être à 100% avec les gens. Il faut trouver ce temps, arrêter son cerveau et profiter, le reste peut attendre demain.

Un rêve pour l’avenir?

Je rêve d’un monde où je trouve ma place, où je suis acceptée telle que je suis, sans devoir porter un masque, me cacher, et je le souhaite pour les autres aussi. Il nous faut embrasser la diversité du monde dans lequel nous vivons et arrêter de nous prendre la tête et stigmatiser les différences, qu’elles concernent la manière de se vêtir ou la croyance.