Azza Karam, «Les droits humains ne souffrent d’aucune exception»

Azza Karam / © Max Idje
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Azza Karam
© Max Idje

Azza Karam, «Les droits humains ne souffrent d’aucune exception»

ENGAGEMENT
Les responsables religieux ont un grand pouvoir, mais aussi une grande responsabilité à assumer, avertit la secrétaire générale de Religions for Peace.

Une standing ovation! C’est ce qu’a suscité son discours de l’assemble générale du COE. Invitée en tant que secrétaire générale de l’organisation Religions for Peace (RFP, Religions pour la paix), Azza Karam a rappelé aux responsables religieux présents l’importance du pouvoir qui était le leur, elle les a mis face à leurs responsabilités et les a invités à s’engager dans un travail interreligieux qui permettrait de témoigner non seulement en mots, mais aussi en actes que la guerre n’est pas une option! 

Acteurs historiques

Cette conviction que les religions peuvent conduire à la paix n’est-elle pourtant pas contredite par l’Histoire? «La foi est la motivation principale de nombreuses personnes sur la planète et, quand la foi devient un élément de politique, cela peut être dévastateur», reconnaît la chercheuse. «Historiquement, les Églises ont été très proches de mouvements politiques, rois, reines, empires. Dans le contexte ottoman, l’histoire est la même, mais pour les musulmans. Plus les religions et l’establishment politique sont proches, plus il apparaît normal qu’il y ait des conflits.» 

Elle insiste toutefois: «Mais, quand la foi n’est pas politisée, elle peut être et, de fait, elle est la plus ancienne façon de servir la cause de la paix. Nous savons par expérience qu’en matière d’éducation, de santé, de nutrition, d’hygiène, les institutions religieuses sont les prestataires de services historiques. Aujourd’hui, on parle des Nations unies, de l’Union européenne… Mais ces institutions font ce que les religions ont fait depuis des temps immémoriaux.» 

Surmonter les blocages

Azza Karam pense aussi que le travail interreligieux permet de passer par-dessus les blocages internes à une culture. «Ayant travaillé sur les questions de la santé reproductive à l’ONU et avec les institutions religieuses, j’ai très vite appris que, si vous soulevez ces questions au sein d’une communauté ou institution religieuse, vous obtenez des tensions multiples. Mais, quand vous les abordez dans une situation multireligieuse, une énergie totalement différente s’installe. Dans ce cas, les mouvements religieux se montrent beaucoup plus miséricordieux, ils ne veulent pas apparaître comme les plus intransigeants, les plus durs, mais comme plus aimants, plus ouverts et plus tolérants.» 

Quand la foi n’est pas politisée, elle est la plus ancienne façon de servir la paix

Et d’insister: «Cette dynamique très différente fait que les espaces multireligieux sont les lieux où les questions difficiles peuvent être discutées. Cela ne veut pas dire que la discussion ne doit pas avoir lieu au sein de chaque religion… Mais, quand elle conduit à une impasse au sein d’une religion, elle peut être désamorcée en associant d’autres religions. Que ce soient des questions LGBTQI+ ou de santé reproductive… Car elles touchent l’humanité entière. Elles ont toujours une dimension multiculturelle, multireligieuse.» 

Droits humains avant tout

Auteure d’une thèse sur l’islam politique, Azza Karam place les droits humains au coeur de ses recherches. «J’ai grandi dans une famille musulmane qui ne faisait pas de différence entre chiites et sunnites, et j’ai eu comme nourrice la meilleure amie de ma mère, une copte. J’ai donc toujours eu le sentiment que j’étais destinée à ne pas me concentrer seulement sur une confession, ou religion. J’ai été nourrie au sein de la diversité des croyances. Par ailleurs, quand j’ai étudié les droits humains, qui étaient et qui restent mon inspiration première, j’ai compris qu’ils reprennent des valeurs communes aux différentes religions. Ces valeurs, auxquelles j’adhère en premier lieu, sont rendues possibles par le fait que l’on a tous des valeurs communes. Et ces dernières ont pour source nos différentes traditions religieuses. Je me suis alors intéressée à travailler dans ce domaine.» 

«Les droits humains valent pour chacune et chacun, à tout moment, et cela ne souffre d’aucune exception», souligne Azza Karam. «Au début de ma carrière, j’ai été stagiaire dans une ONG. Une femme est venue y demander une aide juridique pour son fils islamiste, à un moment où le gouvernement égyptien prenait des mesures assez radicales contre l’islamisme. Certains des avocats expérimentés et laïques considéraient que ce n’était pas un combat à mener pour l’organisation… Ils ont refusé de l’aider, et je l’ai ressenti comme une profonde injustice. Ce sont les droits humains de tous, valables à tout moment. Cela a été un moment très formateur pour moi : j’ai compris que même le monde des droits humains peut nécessiter des ajustements en faveur des principes qu’il est censé défendre.» 

« Religions for Peace »

Basée à New York, l’organisation Religions for Peace (Religions pour la paix) a des antennes sur les différents continents. Différentes croyances y sont représentées au travers de délégués ou de responsables, dans le but de mettre en place des collaborations interreligieuses tant à l’échelle mondiale qu’à l’échelle régionale pour promouvoir la paix, la justice sociale, la lutte contre la pauvreté et en faveur de la planète. Le mouvement a un statut consultatif auprès de plusieurs organes des Nations unies (Unicef, Unesco, Ecosoc). www.rfp.org (en anglais)

Agir comme croyants

Retranscription de la prise de parole d'Azza Karam devant l'assemblée du Conseil œcuménique des Eglises.

«Je travaille aux Nations unies depuis presque 20 ans. Chaque année, les responsables politiques du monde se réunissent lors de l’Assemblée générale. Et ce sont à chaque fois des moments très stimulants que de regarder dans cette pièce remplie de Premiers ministres, de présidents, de représentants politiques de premier ordre.

Mais pour être honnête avec vous, ce moment, cette assemblée est encore bien plus stimulante et bien plus porteuse de sens. Je comprends le pouvoir de la politique, je comprends les responsabilités des personnes politiques, en particulier quand elles sont élues. Et c’est un véritable fardeau et une grande responsabilité que d’accomplir la mission d’un gouvernement, de protéger ses citoyens et les personnes qui vivent sur son territoire. […] Mais la tâche est malgré tout bien plus grande pour les dirigeants religieux, car c’est un défi spirituel, moral, politique, émotionnel, mental et lié à toutes sortes d’aspects pratiques. C’est pourquoi je crois sincèrement que le pouvoir des responsables religieux est bien, bien, plus important que le pouvoir des responsables politiques.

Mais ce pouvoir s’accompagne d’énormes responsabilités. Je ne vous dis là rien de neuf, mais je souhaite faire un appel : […] L’amour du Christ n’est-il destiné qu’aux personnes de foi chrétienne? Si l’amour du Christ est destiné à toute l’humanité, qu’est-ce que cela veut dire pratiquement pour chacune et chacun de nous dans cette pièce? Je crois sincèrement, comme musulmane, que l’amour du Christ m’est également destiné. Et si vous aussi vous croyez que l’amour du Christ m’est destiné, ainsi qu’à de nombreux autres, y compris ceux qui n’ont pas de foi, […] alors je voudrais vous demander, vous prier, de considérer combien d’amour du Christ pourrait être partagé en plus, si vous travailliez non seulement à dépasser les différences — qui certes sont importantes — au sein du christianisme, mais si vous considériez de travailler ensemble.

Si nous travaillions ensemble: plusieurs traditions religieuses, plusieurs organisations religieuses (dont chacune se montre protectrice vis-à-vis de ses devoirs, de ses territoires, de ses fidèles) dans le but commun de venir en aide non seulement à une communauté, à un peuple, mais à tout le monde… Je crois sincèrement que la résurrection du Christ est un symbole de ces moments où nous nous unissons pour nous venir en aide les uns les autres, quels que soient nos genres, nos confessions, nos nationalités, nos pays.

Mais pour y arriver, nous avons une obligation morale et politique de ne pas nous laisser instrumentaliser par les personnalités et les mouvements politiques. Nous avons l’obligation morale d’être la conscience des milieux politiques. Et être cette conscience nécessite de commencer par une introspection pour s’assurer que, lorsque nous pointons du doigt contre nos "establishments" politiques, nous ne pratiquions pas nous aussi les mêmes mises à distance, exclusions, sentiments de supériorité. Où est-ce que nous échouons à nous écouter les uns les autres, à être ensemble, à respecter l’humanité de chacune et chacun?

Partout dans le monde, nos appareils politiques ont montré qu’ils ne pouvaient pas être au service de tous. Qu’ils soient occidentaux ou orientaux, du nord ou du sud, les appareils politiques ont aussi démontré que la guerre est une réponse plus facile… Et c’est là que votre rôle de responsable religieux est d’opposer aux consciences que la guerre n’est pas une option. Car vous pouvez faire la démonstration non seulement en mots (et l’on sait que les mots ont du pouvoir, puisqu’ils nous permettent de connaître Dieu), mais vous pouvez démontrer également par vos actes que la guerre n’est pas une option en agissant ensemble malgré vos traditions différentes, malgré vos croyances différentes.

Si aujourd’hui chaque chrétien, partout dans le monde, pouvait se montrer fermement solidaire, qu’il soit catholique, d’une forme de protestantisme ou d’une autre, orthodoxe, ça serait un moment merveilleux, mais cela ne serait pas suffisant, croyez-moi ! Car le monde est composé de bien plus… Nous méritons l’amour du Christ, mais peut-être que nous ne sommes pas tous touchés par l’Eglise, mais nous pouvons être touchés par la foi qui est la mère des Eglises. Nous pouvons être des croyants et agir comme tels.»

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