Une formation historico-critique pour les imams à l’Université de Genève

Université de Genève © Istock / Elenarts
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Université de Genève © Istock / Elenarts

Une formation historico-critique pour les imams à l’Université de Genève

L’Université de Genève propose pour la rentrée de septembre une formation continue destinée aux imams. Ce projet répond à des préoccupations politiques et sociales autant qu’il innove en proposant une approche historico-critique de l’islam.

La communauté albanophone de Genève a sollicité la mise en place d’une formation continue des imams, ils sont désormais de nombreux musulmans à afficher un islam libéral et ne s’en cachent pas. «J’ai grandi en Suisse et ce n’est pas pour autant que je ne pratique pas ma religion, c’est la liberté de culte», explique Djelal Avdil membre de la communauté et résident genevois. «Moi je sais encore l’albanais, mais les plus jeunes ne le parle parfois plus. Nous sommes peut-être la dernière génération à avoir gardé certaines de nos traditions. Pour la religion, c’est à titre personnel que je la pratique. Je crois en quelque chose qui puisse nous rassurer dans la vie. J’ai grandi dans l’islam qui prône la tolérance et l’amour. Mais qui sont ces gens qui donnent une image si catastrophique de notre religion», s’interroge avec consternation ce jeune homme pour lequel il est évident que les imams doivent pouvoir se former et être compatibles avec les valeurs suisses auxquelles il tient beaucoup. «On doit donner le maximum de soi à ce pays qui nous a si bien accueillis», s’exclame-t-il.

A Genève, les différentes communautés musulmanes se sont adressées à l’Etat en passant par le bureau de l’intégration des étrangers. «Il s’est institué des rapports de confiance», commente Nicolas Roguet délégué à l’intégration. Une double mission pour cet organisme qui a fait tout un travail de sensibilisation afin de promouvoir l’intégration ainsi que la lutte contre les discriminations. La question de l’islam est aujourd’hui sensible, observe François Dermange responsable académique du projet et professeur d’éthique à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Genève. Le contexte est tendu au sein de la population «qui a peur et connaît mal l’islam, faisant parfois des amalgames. Et du côté des musulmans, la voix qu’on entend le plus dans les médias est celle d’un islam politique. Si on ne veut pas laisser la parole uniquement à ces courants, il faut se donner les moyens de promouvoir d’autres voies».

Une théologie musulmane

«Beaucoup ont l’impression que l’islam est une religion obscure, oubliant que pendant très longtemps l’islam a été beaucoup plus ouvert que le christianisme et d’ailleurs à peu près toutes les sciences ainsi que la philosophie nous ont été transmises par les musulmans», rappelle le professeur d’éthique. «Mais c’est aussi vrai qu’historiquement les courants libéraux ont été balayés par des courants plus populaires. Cette situation n’est pas inéluctable, le défi c’est de tenter une expérience en contrant des visions simplificatrices et politiques de l’islam. En faisant entrer cette religion dans l’Université, c’est la meilleure manière de penser sa complexité», continue l’éthicien. «Le projet n’est pas d’essayer de déradicaliser certains mouvements en enlevant tout le religieux, il s’agit ici de faire pour l’islam le même travail qui a été fait pour le christianisme depuis quatre siècles». Le cours sera nécessaire pour les imams ayant un rôle dans l’espace public notamment pour les aumôniers, et se déroulera sous la forme d’un CAS (Certificate of Advanced Studies). Il reste ouvert à un public plus large et représente 300 heures de formation, enseignements et travaux personnels compris. «Ce certificat présentera les théologies de l’islam et montrera qu’il y a un pluralisme avec différentes écoles», détaille François Dermange. L’analyse historico-critique des textes permet de ne pas les considérer comme des vérités toutes faites.

L’Université a une mission politique et sociale

«Notre rôle à l’Université n’est pas du tout de plaider pour le christianisme, c’est de montrer que les outils et compétences académiques sont critiques et en même temps bienveillants vis-à-vis du religieux et qu’ils peuvent valoir pour d’autres religions. La faculté de théologie protestante a une vraie volonté d’ouverture sur la société telle qu’elle est. Il ne s’agit ni de prêcher un cryptochristianisme ni de renoncer à notre spécificité. La demande des musulmans est une approche théologique. La faculté de théologie n’est pas un bastion du conservatisme, mais elle se bat depuis 450 ans pour que l’on pense la foi de manière intelligente», assure le professeur.

Une autre formation à Fribourg

Le Centre suisse islam et société (CSIS) de l’Université de Fribourg traite des questions liées à l’islam en Suisse, y incluant une autoréflexion musulmane. Récemment, 25 ateliers ont été proposés auprès de plus de 450 participants émanant d’organisations musulmanes. Ces ateliers se sont focalisés sur le rôle des associations en tant qu’acteurs sociaux. Les demandes sont larges et expriment des besoins dépassant les thématiques religieuses. Selon le directeur du CSIS, Hansjörg Schmid, le profil est différent de celui du projet genevois: «Fribourg a répondu à une demande et un processus de dialogue au niveau national qui a commencé après les votations sur les minarets. Il s’agissait alors de permettre un dialogue avec les différentes organisations musulmanes en mettant en place des projets de recherche et de formation. Le centre outre ses formations continues possède un programme doctoral sur les questions théologiques de l’islam. Pour construire graduellement un tel discours en Suisse, il existe actuellement des recherches qui touchent la question herméneutique du coran ainsi que son anthropologie. D’autres thèmes de recherches sont des questions d’éthique sociale et du travail social dans une société plurielle.» Le public cible du CSIS est large et comprend les représentants associatifs ne ciblant pas uniquement les imams. Pour François Dermange, le projet genevois reste beaucoup plus modeste que celui de l’institut de Fribourg. Une collaboration intercantonale n’est d’ailleurs pas exclue à l’avenir.