L'islam accueilli dans les universités romandes

© Tony / Réformés
i
© Tony / Réformés

L'islam accueilli dans les universités romandes

Après Fribourg, l’Université de Genève et bientôt celle de Lausanne ouvrent de nouvelles formations autour de l’islam. A quel besoin ces formations tentent-elles de répondre? Qu’est-ce qui a présidé à leur création et quel est leur but?

De plus en plus d’étudiants s’intéressent à l’islam, selon David Hamidovic, doyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions à Lausanne. Un poste d’historien pour un cours d’Histoire sociale et culturelle de l’islam y est d’ailleurs au concours, pour une entrée en fonction en septembre.

En revanche, aucune université en Suisse ne forme de nouveaux imams. Mais Genève propose à ceux qui sont en exercice des cours articulés sur la laïcité depuis l’automne dernier (encadré page 13). Hasard du calendrier, leur ouverture a coïncidé avec des propos haineux tenus par un imam à Bienne, un Libyen ne connaissant aucune langue nationale et prêchant en arabe. Comme en réponse à cet évènement qui a suscité la polémique, et à la demande de l’Etat genevois, l’université du bout du Léman offre aux imams des cours de droits humains et d’éthique, «mais aussi et d’abord des cours de français avec un décodage socio-culturel, afin de les aider à s’intégrer dans la culture suisse», indique Elisa Banfi, coordinatrice de cette nouvelle formation continue.

Plusieurs imams s’expriment en effet toujours dans leur langue d’origine dans les mosquées suisses. C’est notamment le cas dans les communautés turques où les imams sont payés et envoyés par la Diyanet, le bureau turc des affaires religieuses. «Or, en Suisse, les jeunes générations comprennent mieux le français, l’allemand ou l’italien, et les prêches en langue d’origine sont parfois mis en cause», estime Pascal Gemperli, président sur le départ de l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM).

un musulman sur trois est suisse

Le problème de la langue est parfois doublé d’une inadéquation culturelle: «Les imams turcs qui viennent en Europe suivent une formation de deux semaines sur le pays dans lequel ils vont entrer en fonction. Or, une telle offre n’existe pas pour la Suisse. Ceux qui viennent chez nous sont ainsi introduits au contexte allemand et connaissent dès lors souvent très mal notre pays», souligne Mallory Schneuwly Purdie, cheffe de projet au Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de Fribourg.

Aux côtés des Turcs, environ 70 % des 500 000 musulmans vivant en Suisse sont originaires des Balkans. A ceux-ci s’ajoutent notamment les arabophones qui proviennent surtout du Maghreb. Au total, près de 35 % des musulmans sont au bénéfice de la nationalité suisse, soit plus d’un musulman sur trois.

Dans les quelque 280 mosquées du pays, l’imam peut être dûment formé ou juste venir dépanner une communauté qui n’a pas les moyens de payer une personne régulière. Son rôle de base reste de guider la prière et d’assurer le prêche. Mais s’il est mensualisé, il sera au service des membres de la communauté, à l’image du pasteur ou du curé. «On a tous intérêt à ce que les imams soient bien formés, souligne Pascal Gemperli. Car ils occupent des postes à responsabilités, ont des impacts sur la communauté et sur la paix religieuse.»

Problème de dialogue

L’Université de Fribourg a été pionnière en créant, dès 2015, des formations sur l’islam pour musulmans et non musulmans . «Le CSIS s’est développé dans une optique de cohésion sociale, quand la Confédération s’est rendu compte qu’il y avait un problème de dialogue, notamment à la suite de la votation sur les minarets», explique Mallory Schneuwly Purdie. Dans son ADN, la Faculté fribourgeoise associe étroitement des représentants musulmans à son offre de cours. La récente tenue de 26 ateliers auxquels ont participé près de 500 responsables d’associations musulmanes – dont plusieurs femmes et des imams - en témoigne: les thèmes abordés, comme la communication ou le rôle des associations dans l’espace public, l’ont été de façon concertée.

Deux visions

Pas de concertation similaire en revanche quant au contenu des cours pour imams que propose l’Université de Genève. «Ce n’est pas à des participants hors université de décider des contenus des formations, déclarait à ce propos François Dermange, professeur d’éthique. C’est une question de liberté académique!» Pour Hansjörg Schmidt, directeur du CSIS à Fribourg, au contraire: «Mettre les destinataires à l’écart, c’est risquer de les considérer avec paternalisme alors qu’ils sont autonomes et adultes. Les intégrer à la conception du cours qui leur est adressé est un principe pédagogique fondamental pour nous.»  Dernière-née dans les universités romandes, la formation lausannoise, elle, s’adressera par exemple «à des étudiants qui veulent devenir diplomates ou travailler dans l’interculturalité au sein d’une organisation non gouvernementale», détaille le doyen David Hamidovic. Pour François Dermange, pas de concurrence entre les différents cursus: «Nous travaillons dans une logique de complémentarité, assure-t-il. Les formations proposées dans les trois universités romandes sont une façon de répondre à la question de l’islam qui préoccupe en Europe, avec beaucoup de peurs et de crispations.»

A Genève

La formation de l’Université de Genève est un projet pilote destiné exclusivement aux imams et aux enseignants d’instruction religieuse islamique. Plusieurs facultés collaborent à cette formation (Droit, Lettres, Sciences de la société, Théologie, Maison des langues). Elle a pour but de donner aux participants des compétences interdisciplinaires facilitant leur intégration dans la sociétés civile suisse. Elle a ouvert ses portes en septembre 2017 sur la demande de certaines communautés musulmanes, de l’Etat (dans le souhait d’ajouter à sa politique sécuritaire une volonté d’intégration), et de l’Université (qui souhaite doter le monde académique de moyens d’intégration des musulmans en Europe). Deux volets d’un semestre sont proposés. «Langue française et décodage socio-culturel» (1er semestre) était composé de 6 participants non francophones. Parmi eux, seul 2 ont atteint le niveau de langue suffisant pour l’inscription au deuxième volet intitulé «Culture et société suisse» ( 2e semestre). Quatre participants sont inscrits à ce 2e volet, auquel s’ajoute les deux qui ont réussi le 1e semestre. Parmi eux, un imam neuchâtelois, 4 imams genevois et un enseignant d’instruction religieuse. L’Etat finance ce projet à hauteur d’environ 100'000 CHF, l’Université contribuant pour sa part «en nature» en offrant ses services sur le plan professoral, organisationnel et administratif. 

A Fribourg

Le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l’université de Fribourg est un projet crée à l’initiative de la Confédération. Inauguré officiellement en juin 2016, le CSIS s’intéresse aux questions actuelles liées à l’islam en Suisse en lien avec une auto-interprétation islamique. Il offre un enseignement universitaire adressé aux étudiants, ainsi que des formations continues destinées à des personnes déjà insérées dans le monde professionnel. Au niveau universitaire, il existe un centre de recherche doctorale (7 doctorants), un programme de Master complémentaire sur 2 ans (10 étudiants), et une offre de cours ouverte à d’autres branches (60 étudiants par semestre). La formation continue propose 12 ateliers interactifs par année, d’une durée d’un ou deux jours. Environ 250 personnes les fréquentent chaque année.

Le CSIS offre aussi des prestations sur mandat (exemple: une formation aux enseignants de l’instruction publique à Genève).  Le budget s’élève à 900'000 CHF par année. Un quart de cette somme est assurée par l’université de Fribourg, 400'000 CHF par la Confédération et le reste par des fonds tiers, dont la plus grande part provient de la Fondation Mercator Suisse.