L'Islam conquérant: un livre controversé

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L'Islam conquérant: un livre controversé

Interreligieux
En janvier 2019, le docteur en théologie Shafique Keshavjee publiait L’islam conquérant, ouvrage largement repris dans la presse, puis vertement critiqué. Explications

Au début, cela ressemblait à une tournée médiatique triomphale: le théologien et pasteur retraité Shafique Keshavjee s’affichait dans 24 heures, Le Temps, La Tribune de Genève, la RTS. Tous les micros lui étaient tendus à la suite de la sortie de son ouvrage L’islam conquérant.

Et puis, la machine s’est grippée. Les critiques se sont mises à pleuvoir, émises par des responsables de communautés religieuses, comme Pascal Gemperli, secrétaire général de l’Union des associations musulmanes vaudoises, mais aussi par des penseurs de renom tels que le philosophe et théologien Jean-Marc Tétaz. Mi-mars, le comité de «l’Arzillier, Maison du dialogue interreligieux à Lausanne», a tenu à «se désolidariser » de la démarche de Shafique Keshavjee… qui a pourtant contribué à la fondation de cette association.

Un terme problématique

Qu’est-ce qui ne va pas, dans cet ouvrage? Sa maison d’édition, d’abord: L’institut pour les questions relatives à l’islam dépend du Réseau évangélique suisse. Pas très neutre, mais Shafique Keshavjee assume le fait d’être un penseur «engagé».

Sa thèse principale, ensuite: l’islam serait un «‘ Système suprême ’ qui cherche à tout expliquer», et «conquérant», c’est-à-dire doté d’une perspective spirituelle, «d’un projet politique et d’une stratégie militaire», affirme Shafique Keshavjee. L’auteur se base notamment sur des passages du Coran et les hadiths (dits du prophète), un travail qui lui a pris cinq ans. Aujourd’hui, il se défend de vouloir «essentialiser» l’islam. Son livre prend par ailleurs mille précautions pour dissocier les musulmans de cette vision «conquérante». «La majorité des musulmans se limitent à une forme de spiritualité sans visée politique», assure aujourd’hui l’auteur qui explique vouloir «interpeller ceux qui veulent allier les deux et conquérir le monde». Mais, tout au long de l’ouvrage, la religion musulmane est associée au terme «Système» (avec majuscule).

Manque de distance

Ce concept à lui seul résume ce que la pensée de Shafique Keshavjee a de hasardeuse voire ce qui en fait une «caricature», une «imposture», une «démarche bancale» ou un «tissu de fadaises», selon différents chercheurs et théologiens.

«Depuis l’Antiquité pré-chrétienne jusqu’à saint Thomas d’Aquin, la religion c’est avant tout une vertu: celle du retrait sage devant la mesure du cosmos», pointe le théologien et chercheur Pierre Gisel, spécialisé dans l’anthropologie religieuse. «En faire un ‘tout’ globalisant, qui apporte des réponses universelles est une erreur. ‘Système’ n’est d’ailleurs pas un terme traditionnel. Il est issu de la pensée rationnelle moderne, au XVIIe siècle. Auparavant, personne ne pense le monde comme un système.»

Pour lui, tout l’ouvrage manque de «distance historique et de connaissances». «L’auteur dénonce l’islam à partir de ses éléments les plus radicaux. C’est comme si l’on présentait le regard chrétien sur les juifs à partir de l’Evangile de Jean – où la figure du juif s’oppose à celle du Christ –, et que l’on affirmait ensuite que seuls les chrétiens antisémites sont en réalité les plus fidèles au Nouveau Testament», résume Michel Grandjean, professeur d’histoire du christianisme à l’Université de Genève, créateur du cours en ligne ‘Violences et religions’, qui approche les 1'500 étudiants. De plus, complète Pierre Gisel, «la vérité d’une religion ne peut se limiter aux textes fondateurs». «Une religion, c’est une histoire, une interprétation, la négociation permanente avec ses références fondatrices.»

Autrement dit: bien entendu Coran et hadiths comportent des passages problématiques, aujourd’hui rediscutés, comme il en a été pour le christianisme. Vouloir attirer l’attention sur le corpus classique de l’islam et son interprétation ne pose pas problème – c’est ce que font nombre de chercheurs depuis une trentaine d’années. Mais résumer cette religion à ce corpus s’avère extrêmement réducteur. On a envie de dire: évidemment.

En savoir plus

• L’islam conquérant, Shafique Keshavjee, IQRI, janvier 2019.

• Violence et monothéisme, collectif sous la direction d’Olivier Abel, Olivétan, 2019.

• Cours en ligne «Violences et religions» : https://www.unige.ch/ theologie/enseignements/moocviolences- et-religions

Débat

• L’islam conquérant. Décryptage d’un livre de Shafique Keshavjee. Lundi 29 avril 2019 à l’Espace culturel des Terreaux, 19h - 21h.

Conférence

« Qu’est-ce que l’islam? » par Shafique Keshavjee, 27 mars, 19h, Fribourg, église Sur le Roc, route Sainte- Agnès 8, organisé par Futur CH en partenariat avec le Bulle Network.

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