Un duo judéo-arabe expose le racisme

« Marre du racisme, de la peur et de la haine. A quoi ressemblera le futur de nos enfants? concluent Sameh Zakout (à gauche) et Uriya Rosenman. / © DR
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« Marre du racisme, de la peur et de la haine. A quoi ressemblera le futur de nos enfants? concluent Sameh Zakout (à gauche) et Uriya Rosenman.
© DR

Un duo judéo-arabe expose le racisme

Israël
En mai, la sortie du clip des Israéliens juif Uriya Rosenman et arabe Sameh Zakout avait coïncidé avec de graves heurts intercommunautaires. Les préjugés qu’ils dénoncent ne sont pas près de s’éteindre, mais la parole s’est libérée un peu plus encore.

«Partout où il y a des Arabes, il y a des attaques terroristes, et vous croyez vraiment que vous allez rentrer en boîte? Pourquoi vous n’arrêtez pas de harceler nos femmes?» «Tout ce qui vous importe, c’est l’argent, le pouvoir, l’occupation et diriger en tant que ‹peuple élu›. Vous pensez qu’après avoir vécu la Shoah, tout est permis.» Briser les tabous, c’était l’objectif du clip «Bo Nedaber Dugri» (un mélange d’hébreu et d’arabe signifiant «viens, parlons franchement»). Les deux trentenaires qui l’ont conçu, le rappeur arabe israélien Sameh Zakout et l’éducateur juif israélien Uriya Rosenman, se sont permis de reprendre jusqu’aux pires expressions, d’«égorge le Juif» à «un bon Arabe est un Arabe mort».

La rencontre entre les deux hommes date d’il y a environ un an, par l’intermédiaire d’amis communs. Inspiré par le clip du rappeur américain Joyner Lucas «I’m Not Racist» («Je ne suis pas raciste»), un dialogue difficile entre un homme noir et un homme blanc exprimant leurs pires préjugés, Uriya parcourt Israël pour en écouter les clichés réciproques. En résulte une (longue) liste sur laquelle les deux hommes mettent de la musique. Non pour trouver un consensus, mais pour «être authentique, écouter l’autre et oser enfin se dire les choses en face», affirmait Sameh Zakout dans une interview au début de l’été.

Une forme de thérapie sans divan diffusée sur le web en mai 2021, au beau milieu d’une mini-guerre qui a vu Israéliens et Palestiniens s’affronter jusqu’à l’intérieur des frontières d’Israël. Des violences intercommunautaires qui ont laissé des traces, même si elles ont été apaisées par de nombreux gestes amicaux de part et d’autre.

C’est que l’histoire de la communauté dont est issu Sameh Zakout n’est pas simple. Les Arabes israéliens, qui se désignent aussi comme «Palestiniens citoyens d’Israël», «minorité arabe d’Israël» ou «Palestiniens de 48» représentent 21% des Israéliens et sont les descendants des 250 000 Palestiniens restés dans le territoire accordé à Israël en 1948. Ils n’ont obtenu la nationalité qu’à la fin des années 1960 après vingt ans passés sous un régime militaire. Aux yeux de leurs cousins palestiniens, ils sont à la fois des traîtres et des privilégiés. Et en Israël, on cherche leur intégration économique tout en considérant avec méfiance leur participation politique, car ils sont toujours soupçonnés de double loyauté. Ainsi, le parti Raam n’a pu faire son entrée historique dans le gouvernement d’union nationale de Naftali Bennett qu’au prix, paradoxalement, d’une mise en retrait. Une représentation politique d’autant plus bancale que la loi sur l’Etat-nation, votée en 2018, a consacré l’inégalité des citoyens arabes dans les lois fondamentales israéliennes. Des enjeux formels auxquels s’ajoutent de nombreux problèmes sociaux. Population la plus indigente de la société avec la communauté juive ultra-orthodoxe, beaucoup d’Arabes israéliens vivent dans des villages dits «non reconnus» par Israël, des lieux privés d’infrastructures et menacés de destruction. Et l’Etat est vertement critiqué pour son inaction face à une criminalité organisée dévastatrice. Ainsi, près de 90 Arabes israéliens ont été assassinés cette année lors de règlements de comptes, le pire bilan en vingt ans au moins.

Une réalité dramatique dont les comparses Sameh et Uriya ont extrait, en six minutes d’une épique joute verbale, plus de trois millions de spectateurs juifs et arabes israéliens en offrant un exutoire aux souffrances et aux colères de leur difficile histoire commune.

Sur YouTube: «Let’s talk straight» www.re.fo/franchement 

(sous-titré en anglais)