La Bible tord le cou à nos sacrifices

Dans l'Ancien Testament, le sacrifice est synonyme de fête. Image d'illustration. © iStock/angelsimon / Dans l'Ancien Testament, le sacrifice est synonyme de fête. Image d'illustration. © iStock/angelsimon
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Dans l'Ancien Testament, le sacrifice est synonyme de fête. Image d'illustration. © iStock/angelsimon
Dans l'Ancien Testament, le sacrifice est synonyme de fête. Image d'illustration. © iStock/angelsimon

La Bible tord le cou à nos sacrifices

10 février 2022
Dans l’Ancien Testament, le sacrifice est un rituel joyeux liant le croyant à son Dieu. Pas de trace de privation ni de crucifixion. Le théologien et pasteur vaudois Guy Lasserre décrypte le rite dans un livre et offre une éclairage renouvelé du christianisme.

Entre héroïsme et abnégation, le sacrifice rime aujourd’hui avec renoncement. Dans la Bible, pourtant, le rituel est synonyme de fête. Dans l’ouvrage du bibliste et pasteur vaudois Guy Lasserre Les sacrifices dans l’Ancien Testament (Ed. Labor et Fides), notre conception du sacrifice est brûlée sur l’autel des idées reçues, et c’est une relecture du christianisme et de la mort de Jésus qui est proposée. Interview.

Le sacrifice est aujourd’hui synonyme de privation, de don réalisé dans la douleur. Or dans la Bible, il en est tout autrement.

En effet, dans l’Ancien Testament, le sacrifice est une pratique rituelle codifiée joyeuse et fréquente. Il s’agit d’une offrande faite à Dieu, composée d’animaux, de végétaux ou des deux, offerts sous la forme d’un repas. Ce rite est essentiellement cultuel, il a lieu dans un sanctuaire. Les pratiques sont multiples et diffèrent selon les époques et les lieux.

Quelles sont les catégories recensées dans les textes bibliques?

Il y a trois grands types de sacrifices. L’holocauste est le sacrifice le plus souvent mentionné. Il consiste à brûler entièrement un animal mâle, dédié à Dieu, à l’exception de la peau réservée au prêtre et du sang, versé au pied de l’autel. Il peut être accompagné d’une offrande végétale. Vient ensuite le sacrifice de paix. La chair de l’animal est répartie entre Dieu, le prêtre et le sacrifiant. Enfin, viennent le sacrifice pour le péché et le sacrifice de réparation, avec un rite de sang particulier pour le premier, et un partage de chair de l’animal offert pour les deux.

Ces rites endossent-ils les mêmes fonctions?

Non. L’holocauste est une invocation de Dieu, qui passe par une invitation au repas. Il nourrit la relation, préserve et célèbre la présence de la divinité dans le sanctuaire. Le sacrifice de paix permet de manger de la viande dans le respect de Dieu, mais aussi des animaux d’élevage. Il est aussi une marque de reconnaissance pour la fécondité des troupeaux et pour les récoltes. Quant aux sacrifices pour le péché et de réparation, ils servent à rétablir la communion avec Dieu et la pureté du temple.

Le sacrifice est-il donc l’expression visible d’une relation au divin, de la foi?

Dans les mentalités du Proche-Orient de l’époque, la question des sacrifices ne se pose pas: comme pour un chef d’État, on ne se présente pas devant son Seigneur les mains vides. La relation à Dieu, comme toute relation, vit d’échanges et d’attentions mutuelles. Avec Dieu, comme entre amis, on s’invite, on donne de soi-même et on reçoit.

La mort de Jésus n’est pas un sacrifice au sens de l’Ancien Testament.
Guy Lasserre

Pourquoi le christianisme n’a-t-il pas donné suite à ce rite?

Avec la destruction du temple de Jérusalem, les sacrifices sont devenus impossibles. Ces rites étaient également soumis à la critique. Jésus lui-même prend de la distance face aux sacrifices, sans en contester la légitimité. Il offre d’autres moyens de réconciliation et de communion en dehors du culte et du Temple. Les repas restent centraux, y compris le repas rituel de la cène, et le baptême manifeste l’accueil de Dieu. Croyants et communautés deviennent par la présence de l’Esprit saint la demeure de Dieu.

Le rituel finit-il donc par s’intérioriser?

On assiste en effet à une spiritualisation des sacrifices. Leurs rites disparaissent, mais il reste l’échange. Dans le christianisme, le croyant reçoit une vie nouvelle de Dieu et se met dans une disposition d’offrande: il consacre sa vie, par amour, pour Dieu et autrui. Le culte est à ce titre un exemple concret de l’accueil de Dieu et de ses dons ainsi que d’attentions offertes à Dieu par la communauté des croyants.

Que nous apprend aujourd’hui cette relecture du sacrifice dans l’Ancien Testament?

Ces textes nous rappellent un aspect important de la vie sociale et de la vie de foi. À travers les rituels sacrificiels, une attention est portée au corps, à une foi incarnée et matérialisée, à l’alimentation et aux fruits du travail. Dans l’Ancien Testament, il y a une joie de manger, de dire sa reconnaissance. Aujourd’hui, la joie du repas a par exemple déserté la cène. Le christianisme a besoin de retrouver des rites, d’expérimenter, de ressentir. Le culte doit être un lieu d’expérience, et pas qu’une prédication.

Au point de renouer avec le sacrifice?

Non. Il ne correspond ni à notre culture ni à nos rites, ni à nos symboles. Actuellement, nous sommes face à un éclatement des références culturelles, qui complique la ritualité. Mais il est important de retrouver un langage rituel, avec ses gestes et ses symboles, qui parle à chaque membre de la communauté.

Le christianisme n’est pas une religion sacrificielle. Comment expliquer que l’on qualifie encore parfois la mort de Jésus sur la croix de sacrifice?

La mort de Jésus n’est pas un sacrifice au sens de l’Ancien Testament. Il ne s’agit pas d’un don fait à Dieu selon des règles. Il n’y a pas de consumation non plus: Jésus n’est pas brûlé sur l’autel, il est cloué sur une croix. Il est torturé et exécuté d’une manière infamante.

Pourquoi recourir alors à ce vocabulaire?

Pour donner un sens à cette folie et à ce scandale, on pioche dans ce qu’on connaît. Le sacrifice va être utilisé comme image pour interpréter la mort de Jésus à la lumière de sa résurrection. C’est notamment le cas de l’apôtre Paul, qui parle de la mort de Jésus comme d’un sacrifice mais en transformant le sens habituel.

Quel est son propos?

Avec la mort de Jésus, Dieu offre aux humains son fils, comme le signe ultime de son amour et de sa volonté de pardon. C’est Dieu qui offre et l’homme qui a besoin du sacrifice pour comprendre cette volonté de réconciliation. Selon cette interprétation, la mort de Jésus est le lieu du pardon définitif et le chemin qui ouvre l’accès à Dieu pour tous.

Une interprétation qui fait mouche?

Les interprétations sacrificielles vont marquer la théologie chrétienne. Le sacrifice est alors redéfini à partir de la mort de Jésus plutôt qu’à partir des rituels de l’Ancien Testament. Cela va contribuer à mettre la mise à mort au centre du sacrifice, alors qu’elle ne constitue qu’un préliminaire. Et le sang versé devient le seul moyen d’accéder au pardon, un moyen dont Dieu aurait besoin. Or la mort de Jésus dit notre incapacité humaine à reconnaître l’amour inconditionnel du Dieu qui s’est livré en Jésus et son sang répandu est d’abord le signe de la violence subie.