Un appel à se dépasser qui ne devrait pas pousser à transgresser les règles

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Un appel à se dépasser qui ne devrait pas pousser à transgresser les règles

Éclairage
Les valeurs véhiculées par le sport ont des retombées positives sur toute une vie, mais la quête sans relâche du corps parfait, du geste parfait, de la meilleure performance peut mener à des dépassements problématiques.

«Des dieux du stade, le culte du corps, un tennisman crucifié par son adversaire ou un stade qualifié de temple du football: dans leurs métaphores, les commentateurs sportifs piochent volontiers dans le vocabulaire religieux. Faut-il y voir le signe de similitudes entre les deux domaines? Voire même, que le sport aurait remplacé la religion dans notre société où se rendre au travail en portant les couleurs de son équipe de foot préférée est moins problématique que de porter un signe d’appartenance religieuse?

«Il y a des valeurs qui peuvent nourrir et éclairer une existence dans le sport», note Olivier Bauer, professeur de théologie pratique à l’Université de Lausanne. Et le chercheur de citer la solidarité, la coopération, l’endurance… «mais aussi le fait d’être compétitif, qui est une qualité même si dans les Églises en Europe on a un peu de peine avec cela», soulignet-il. «Mais il y a un revers à chaque médaille! Par exemple, le sport est bon pour la santé, mais lorsque l’on glorifie celui qui n’abandonne pas; que l’on présente comme un héros le sportif qui termine une épreuve malgré une blessure on encourage, au contraire, une pratique qui peut être néfaste pour le corps.»

Des enjeux en concentré

«Le sport concentre les enjeux: tout se vit dans un espace et un temps donné. La question de gagner ou de perdre est exacerbée alors qu’elle se pose aussi sur le fil d’une vie entière. Il faut apprendre à garder à l’esprit que tout cela reste relativement futile», note Olivier Bauer. «Le terrain doit rester un terrain de jeu», abonde Georges-André Carrel, ancien directeur du service des sports de l’Université de Lausanne et entraîneur de l’équipe de volley du Lausanne Université club.

Federer ne serait pas Federer sans Nadal

«Je l’ai rapidement appris dans le domaine du sport pour tous, mais il m’a fallu du temps pour comprendre que cela est aussi vrai dans le sport de compétition», avoue-t-il. «Il y a tellement de travail et de sacrifices nécessaires pour préparer une rencontre qu’il est vrai que lorsque mon équipe perdait, j’ai longtemps jalousé les équipes gagnantes. Puis j’ai compris que l’adversaire est le partenaire de ma formation. Federer ne serait pas Federer sans Nadal!», relate le fils de pasteur.

«La médiatisation des sports est un élément qui change beaucoup de choses», prévient Denis Müller, professeur honoraire d’éthique de l’Université de Genève et passionné de football. «L’enjeu tue le jeu», résume Georges-André Carrel. «En tant qu’entraîneur, tu travailles avec les membres de ton équipe en leur apprenant à se construire, à gérer leur estime d’eux-mêmes. Aujourd’hui, le sport, bouscule les motivations. On apprend aux sportifs à accepter d’être le produit d’une société qui cherche à te vendre et à en tirer le plus grand profit», dénonce-t-il.

Des laissés-pour-compte

«Il faudrait aussi remettre en question le côté très sélectif du sport», prévient Olivier Bauer. «Les sacrifices que l’on demande à de jeunes espoirs sont énormes. Et après 10 ou 15 ans, tu les abandonnes sur le bord du chemin. Je pense que sur ce point la théologie peut faire une critique pertinente.» Celle-ci ne semble malheureusement pas faite. «Luther disait que le seul organe dont un chrétien a besoin, ce sont ses deux oreilles. Il n’y a donc pas beaucoup de prise en compte du corps dans sa vision globale dans la tradition qui est la nôtre. Et pas beaucoup de théologie du sport», rappelle Olivier Bauer.

A contrario, le sport est un milieu qui laisse peu de place aux questions de foi (voir page 15). Quelques rares initiatives visent malgré tout à fournir un soutien spirituel dans le monde très compétitif du sport (voir page 16). «Ce n’est pas facile, la culture du sport est une culture très sécularisée. En Amérique du Nord, cela pose moins problème: plusieurs équipes disposent de leur aumônier, ils ne sont généralement pas payés par le club, mais par une Église qui touche en contrepartie un ‹don  du club. Mais l’équipe gagnante n'est pas celle dont l’aumônier prie le mieux! Il n’est pas là pour ça», rigole le chercheur qui a longtemps enseigné à l’Université de Montréal. «En Europe on commence à sentir une ouverture, il arrive que des lieux de prière soient inclus dans les nouveaux stades lors de leur construction.»

Un monde de règles

S’il se méfie des généralités et insiste sur la diversité des sports, Denis Müller constate que «dans tous les sports, il y a des règles et des interdits. Contrairement au tennis, le football ne connaît pas de filet qui sépare les joueurs, mais il y a un filet invisible: les règles qui fixent des limites.»

Les règles débordent aussi généralement dans la vie du sportif. Derrière l’idéal olympique, on reconnaît ainsi domestication et sublimation du corps. «L’athlète doit tenir son corps en laisse. Adapter sa force, sa ligne à sa discipline. Il y a une mise en forme du corps qui peut déboucher sur la tentation du dopage», relève Denis Müller. «On peut en tirer un parallèle avec l’idéal esthétique du corps que l’on retrouve par exemple dans les statues grecques.» Denis Müller s’étonne toutefois que sur un terrain de foot, l’existence du corps d’arbitre qui pourtant incarne les règles soit de plus en plus niée. «Avant, quand un ballon touchait un arbitre, on considérait que cela pouvait arriver et le jeu continuait. Maintenant, si cela se produit, il y a une remise en jeu.»

La perfection divine

«Par le geste, le sportif essaie de se dépasser lui-même. Une forme d’autotranscendance. Par exemple, Usain Bolt compare ses résultats à ses propres performances. Cette autodiscipline témoigne d’une volonté de se dépasser soi-même. Il semble dire que c’est l’infini qu’il vise», note Denis Müller. Une pratique où Dieu peut trouver une place pour Georges-André Carrel: «Est-ce que le sport n’est pas aussi un lieu qui facilite la compréhension de Dieu? Il n’est pas là pour nous aider à tirer un penalty ou un service smashé. Il n’est pas là comme un pourfendeur de nos limites humaines. Il n’est pas le supporter du Real Madrid ou du Barça. Il est là pour être heureux avec nous de la joie communicative que les terrains de jeu génèrent.»

Pour aller plus loin 

Le sport, ma foi, « Revue des Cèdres n°49 », juin 2019, 96 p. www. revuedescedres.ch

Le football, ses dieux et ses démons, Menaces et atouts d’un jeu déréglé, Denis Müller, Labor et Fides, 2008, 254 p. 

Une théologie du Canadien de Montréal, Olivier Bauer, Ed. Bayard Canada, 2011, 214 p.