Des chantiers d'envergure

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Des chantiers d'envergure

Camille Andrès et Joël Burri
28 avril 2020
Le chaos sanitaire généré par le SARS-CoV-2 fait désormais place à de difficiles questions économiques et sociales, mais aussi spirituelles. Focus sur quatre interrogations.

Santé

Sanctuariser le soin et l'accompagnement

Le confinement l’a révélé: les fonctions d’aide sont cruciales: écoute, accompagnement psychologique, assistance à des personnes malades ou vulnérables. Pour autant, parce qu’elles ne constituent pas toujours des métiers proprement dits, ces fonctions ont vu leur continuité mise à mal par le confinement. Le psychologue lausannois Gérard B.*, propose de garantir ces métiers à l’aide d’un revenu de base inconditionnel (RBI). «Un congé de proche aidant, de huit jours ou de trois mois, ne permet pas de faire face à la réelle dépendance. Les accompagnants cumulent cette fonction à d’autres emplois, traversent des burn out. Le RBI permettrait aux aidants de poursuivre leur assistance en toutes circonstances, tout en conservant un revenu.» Une proposition partagée par… le pape François qui, dans une missive, a proposé l’instauration d’un «salaire de base universel qui reconnaîtrait et honorerait les tâches nobles et essentielles» accomplies entre autres par «les vendeurs ambulants, les ferrailleurs, les forains, les petits agriculteurs, les ouvriers du bâtiment, les couturiers, les soignants», rapporte La Croix.

Le RBI, dans la mesure où il s’applique «indifféremment à tout le monde» reste cependant une «fausse bonne idée» selon Sophie Swaton, maître d’enseignement et de recherche en économie à l’Université de Lausanne**. Si cet outil ne s’assortit pas d’un véritable modèle économique. «Ce qui me gêne avec un RBI, c’est qu’on va donner à tous la même chose sans prendre en compte la pénibilité de leurs tâches ni l’urgence écologique et sociale. Nous aurions, par exemple, besoin de 30% d’agriculteurs en plus!» Un revenu garanti d’accord, mais assorti «de plateformes locales», transparentes et démocratiques. Et destiné en priorité aux professions «qui font partie de la transition économique et sociale». Reste à trouver des critères pour identifier ces métiers ou transformer ceux qui existent. Une chose est sûre, celui les métiers du «care» ont gagné en importance avec la pandémie.

Vie communautaire

Inventer de nouveaux cercles

Il n’a fallu que quelques jours après la décision des Églises de renoncer aux cultes pour que des paroisses mettent en place ou valorisent des formes nouvelles de communauté. Celles-ci sont-elles appelées à perdurer? «Pour moi, il y a deux franges», analyse le théologien neuchâtelois Nicolas Friedli, grand connaisseur des nouveaux médias. «Il y a ceux qui se disent que ces moyens permettent de ‹tenir le coup› en attendant le retour à la normale et ceux qui le vivent vraiment comme de nouvelles formes. Pourquoi choisir une communauté ecclésiale plutôt qu’une autre en fonction des seuls critères géographiques, suivant ainsi l’héritage qui est celui du découpage paroissial? Je suis persuadé que certaines personnes se réjouissent de pouvoir, grâce au confinement, découvrir d’autres dynamiques, d’autres façons de faire communauté qui correspondent mieux aux aspirations de chacun.» Le risque n’est-il pas de former des groupes par intérêts ou opinions communs et de renoncer à ce qui fait la force des paroisses: la diversité? «De ce fait, l’accueil inconditionnel n’est pas si facile à vivre que ça. Dans une paroisse, on peut vite avoir le sentiment de ne pas faire partie du ‹club›. Et le problème, c’est que nos structures institutionnelles, nos organes de décision, leur accordent beaucoup d’importance. Les membres du club évaluent ce qui plaît au club et le risque est d’oublier que d’autres pourraient faire partie du club.» Un point qu’il faudrait garder à l’esprit quand les activités habituelles reprendront et qu’il faudra se poser la question de l’allocation des ressources et du temps de travail des ministres. Pour Nicolas Friedli, il est évident que les nouvelles formes de communauté sont pleinement réelles. «Tous les groupes nés sous des formes purement numériques se sont retrouvés physiquement à un moment ou à un autre. Ils ne l’ont pas fait parce qu’ils le devaient, mais parce qu’ils en avaient envie», conclut-il.

Écologie

Le confinement comme modèle?

La longue quarantaine de la moitié de la planète a permis de réduire les émissions de CO2 et d’explorer d’autres manières d’habiter le monde. Pourquoi ne pas se baser sur cet exemple pour imposer des normes climatiques plus strictes?

Cette façon de «romantiser» le confinement est loin de faire l’unanimité: pour beaucoup, l’expérience a d’abord été une épreuve. Quant à l’aspect économique, nombre d’entreprises se retrouvent exsangues. Le Fonds monétaire international table sur une récession mondiale de 3% en 2020, «la pire depuis la Grande Dépression». Pour cette année, l’organisme international prévoit une chute du PIB de 6% en Suisse et une hausse significative du chômage, qui passerait à 2,8% en moyenne annuelle pour 2020 selon le groupement d’experts de la Confédération, soit 0,4% de plus que les prévisions de décembre 2019.

Par ailleurs, associer écologie et confinement est risqué, car cela donne «l’idée que la lutte contre le changement climatique demande l’arrêt complet de l’économie», pointe François Gemenne, chercheur en géopolitique de l’environnement à l’Université de Liège chez nos confrères d’Heidi.news. Et impossible de comparer la pandémie, qui est une «crise», avec le changement climatique qui lui s’apparente à «une nouvelle réalité à laquelle nous allons devoir nous adapter à très long terme», ajoute Augustin Fragnière, docteur en sciences de l’environnement et philosophe, dans son blog sur Le Temps. Cependant, estime-t-il, cette situation peut nous inspirer pour questionner notre modèle de société. Des craintes balayées par Dominique Bourg, professeur à l’Université de Lausanne. «L’écologie, ce n’est pas le confinement. Mais pour maintenir la planète habitable, il faut contenir le réchauffement à deux degrés de plus d’ici 2040 […]. Et pour cela, il nous faut réduire drastiquement nos flux d’énergie et, par ricochet, de matières. Or ce confinement inédit nous a montré que ce que l’on ne pensait pas possible l’est.»

Pour Dominique Bourg, le confinement illustre le poids possible des États et offre une expérience à partir de laquelle construire une société compatible avec le réchauffement climatique. «On ne peut pas relancer l’économie de manière keynésienne, c’est-à-dire massive et indifférenciée. Il faudra être sélectif, réorienter vers des secteurs-clés.» Pas sûr que cette voie verte fasse l’unanimité. Pour l’heure, plusieurs lobbys économiques attendent des relances tout court. La réponse budgétaire des pays du G20 à la crise actuelle est en deçà de celle observée en 2008, constate le FMI qui craint des faillites en cascade.

Religion

Faut-il une hotline spirituelle?

Les crises d’angoisse, les morts en masse et les deuils à distance posent la question du rôle des acteurs spirituels. Il y a une grande demande quelle que soit leur confession. Faut-il imaginer un service d’accompagnement spirituel «grand public»? L’Église protestante vaudoise et l’Église catholique se sont unies pour proposer plusieurs services communs. Parmi eux, un soutien aux endeuillés et une hotline pour le personnel soignant afin d’accompagner les fins de vie. Au moment où nous mettons sous presse, le numéro de soutien aux endeuillés avait, en particulier, été très sollicité. Pour Vincent Guyaz, vice-président du Conseil synodal, ces solutions ont montré aux Églises, dont la vocation est d’être aux côtés de ceux qui souffrent, «qu’on peut accompagner quelqu’un par téléphone».

Bien entendu, cette pratique doit être «évaluée, analysée et réfléchie», estime le dirigeant. «Si cela doit être pérennisé, il faudra se former.» Il note en tout cas que cette offre est particulièrement intéressante pour les distancés. «Beaucoup de personnes n’ont plus de lien à une paroisse, ne connaissent pas de pasteur·e. Il est bien sûr important pour nos ministres de maintenir des liens, de connaître les gens. Mais il est aussi utile de pouvoir répondre à toutes les demandes», explique-t-il.

En France, le gouvernement est souvent raillé pour proposer des numéros spéciaux pour des problématiques diverses. Néanmoins, la proposition d’un numéro vert spirituel unique a été également défendue par les représentants des cultes musulmans, bouddhistes, protestants et les francs-maçons. Chaque religion a finalement décidé de créer sa propre ligne, rapporte La Croix.

 

* Prénom modifié à la demande de l’intéressé. 

** Analyse détaillée à retrouver sur www.pin.fo/swaton