Des péchés capitaux plus sexy que jamais

Que serait la société de consommation sans nos vices bien humains? Autrefois catalogués sous l’étiquette de «péchés capitaux», l’orgueil, l’envie ou encore la luxure apparaissent en effet au cœur de notre système libéral. / IStock
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Que serait la société de consommation sans nos vices bien humains? Autrefois catalogués sous l’étiquette de «péchés capitaux», l’orgueil, l’envie ou encore la luxure apparaissent en effet au cœur de notre système libéral.
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Des péchés capitaux plus sexy que jamais

Gourmandise, luxure, convoitise... Autrefois décriés par la morale catholique comme vices suprêmes, les péchés capitaux sont devenus les meilleurs alliés du libéralisme, accédant au statut de véritables vertus nécessaires à son développement. (3/4)

Que serait la société de consommation sans nos vices bien humains? Autrefois catalogués sous l’étiquette de «péchés capitaux», l’orgueil, l’envie ou encore la luxure apparaissent en effet au cœur de notre système libéral. C’est en tout cas ce qu’affirme le philosophe Christian Godin, auteur de Ce que sont devenus les péchés capitaux (Ed. du Cerf). «Avec la sécularisation, on a assisté non seulement à l’effondrement des valeurs religieuses, mais également à leur remplacement par des valeurs profanes et utilitaristes, venues notamment du monde de l’économie», explique-t-il.

Exit donc l’humilité, la maîtrise de soi ou encore la patience. Pour se développer, le capitalisme comptera au contraire sur nos penchants les moins glorieux.  «La base de la société de consommation, c’est de flatter en nous ce qui n’est pas le plus sympathique», atteste François Dermange, théologien et professeur d’éthique.  «Le commerce repose sur des vices privés», formule également sans détours Christian Godin. «Si les êtres humains n’étaient pas envieux, orgueilleux et pleins de mauvais sentiments, le système capitaliste ne pourrait pas fonctionner. Or les systèmes capitalistes ont eu ce génie de transformer tout ce qui est négatif dans la condition humaine en source de profits. Ces vices privés sont alors devenus des vertus publiques.»

Un atout publicitaire

Pas étonnant dès lors de voir les publicitaires s’emparer des sept péchés capitaux dans leurs argumentaires. Nous avons en effet tous en mémoire nombre de publicités pour de simples parfums frôlant le film érotique, ou encore des spots pour des marques de vêtements ou de voitures excitant notre orgueil le plus vil.

«Les marchands de lessive avaient très vite remarqué que si on mettait des alliances aux femmes qui utilisaient leur produit  dans les publicités, cela marchait moins bien que si on les enlevait», relève d’ailleurs l’éthicien protestant. «Avec l’image d’une bonne ménagère, mariée et docile, on vendra moins bien que si on donne à rêver à la consommatrice qu’elle pourrait être une autre.» «Si le péché ne fait plus partie de notre culture, il n’en reste pas moins à l’état de trace, de signifiant derrière lequel il y a l’idée d’un interdit», analyse Christian Godin. «Et notre consumérisme joue évidemment sans arrêt sur la transgression des interdits.»

«La notion de péchés capitaux n’est sans doute pas présente à l’esprit de la majorité des consommateurs, même s’ils sont à la base de la plupart de leurs comportements», confirme pour sa part le publicitaire Jean-Henri Francfort. Pour autant, «la publicité n’a jamais cherché à réhabiliter les péchés capitaux», se défend-il.  Avant de concéder qu’elle «a sans doute cherché à s’en servir, puisque pas mal de ces péchés sont des déclencheurs d’achat faciles à exploiter»: «L’humain offre une riche palette de faiblesses, et il est inévitable que la pub ne s’en serve.»

Entre frustration et bonheur

Pour François Dermange, «ce rêve de possession, comme si celle-ci allait nous permettre de nous accomplir, nous détourne du véritable accomplissement de nous-mêmes, et nous laisse toujours frustrés». Car dans cette mécanique, on le sait, il faut toujours plus, toujours mieux. Et le bonheur est rarement au rendez-vous de cette manière.

«Le christianisme porte malheureusement une part de responsabilité dans cette histoire», souligne l’éthicien protestant. «A trop condamner le désir et le plaisir, on a laissé le champ libre à toutes les affirmations de soi. Tout désir et tout plaisir étaient  de fait devenus indistinctement suspects.» Or, rappelle-t-il, «les plaisirs de la vie sont voulus par Dieu, il faut s’en réjouir, mais simplement ne pas s’y perdre. Au fond, le christianisme se résume à quelque chose d’extrêmement simple: aimer Dieu et aimer son prochain.»

Quant à la question du bonheur, la réponse pourrait se trouver selon le théologien dans les Béatitudes, où «Jésus appelle à  une certaine pauvreté du cœur, soit où je renonce un peu à ma volonté pour m’en remettre celle de Dieu, parce que je sais qu’Il veut mon bonheur». Et de conclure avec cette citation de Calvin: «Le péché, c’est finalement de croire que Dieu pourrait être notre ennemi.»

Quand le culte de l’apparence broie le bien-être

Alors que la société de consommation promettait de déculpabiliser des plaisirs sensuels de l’existence, que les péchés capitaux avaient trop longtemps condamnés, d’autres poids se sont mis à peser sur les âmes faussement libérées. C’est le constat amer que dresse le philosophe Christian Godin.  «Aujourd’hui, il y a des centaines d’individus dans le monde qui sont malheureux à cause de leur apparence physique. Or, quand on connaît la littérature des siècles passés, ça n’existait pas», s’indigne-t-il. «Avant, on était soucieux du salut de son âme, on était plein de repentir ou de regret quand on avait commis une mauvaise action, c’est ça qui tourmentait les individus: ce n’était pas d’avoir pris un kilo de trop, d’avoir du ventre ou de vieillir ou de ne pas être assez séduisant.»

Les pressions se sont ainsi décalées de l’être au paraître. Aux règles religieuses ont ainsi succédé nombre de normes, «qui se révèlent d’autant plus tyranniques qu’elles sont inconscientes», précise-t-il. Il en va ainsi  autant du culte de l’apparence que de la pression sociale.