La volonté d’être parent plus forte que la biologie

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La volonté d’être parent plus forte que la biologie

Les progrès de la médecine font évoluer rapidement des concepts aussi anciens que la parentalité ou la filiation. Marta Roca i Escoda suit cette évolution d’un point de vue juridique et anthropologique.

MARTA ROCA I ESCODA Parentalité, filiation: quels sens donner à ces termes?

La parentalité, c’est plutôt le fait d’assumer le rôle de parent au quotidien. La filiation est davantage un concept anthropologique. C’est l’idée de constituer un lien de sang de génération en génération. C’est aussi un concept juridique, qui régit le statut des membres d’une famille. Jusqu’à maintenant, dans le Code civil suisse, qui trouve ses origines dans les textes de Napoléon, il y a une volonté de faire coïncider une soi-disant vérité biologique avec les vérités juridiques. La premisse est que la mère, c’est la femme qui accouche. Comme il fallait protéger les femmes et l’unité familiale, cela arrangeait tout le monde que le mari soit présumé le père (d’où la présomption de paternité en droit de la filiation). Aujourd’hui, ces concepts doivent changer en raison des évolutions médicales et sociales. Femmes qui portent les enfants (gestantes) ou celles qui donnent leur ovocyte sont, autant d’éléments qui doivent y être intégrés.

La Suisse a-t-elle un droit plutôt restrictif en la matière?

En plus des lois spécifiques, un article de la Constitution limite la procréation médicalement assistée, la PMA, aux couples hétérosexuels qui ne peuvent pas avoir d’enfant. Il y a, donc, une certaine forme de double verrou. Des tabous religieux et la crainte de l’eugénisme ont justifié ces limitations . Mes recherches, basées sur des interviews de couples, m’amènent à penser que l’on ferait mieux d’encadrer juridiquement plutôt que de restreindre les possibilités qu’offre la PMA. Les personnes qui souhaitent avoir des enfants et qui ne le peuvent pas en Suisse n’hésitent pas à se rendre à l’étranger. Les évolutions sociales bouleversent la conception de la famille… Jusque dans les années 1980, une mère seule était stigmatisée. Les femmes passaient de la protection de leur père à celle de leur mari. Quant à l’homosexualité, elle était considérée comme une maladie par l’OMS jusqu’en 1990! Il y avait, donc, une certaine discrétion sur ces questions, même si cela a toujours existé! Même la question des enfants de couples homosexuels n’est pas nouvelle: beaucoup d’homosexuels ont eu des enfants.

Une libéralisation de l’accès à la PMA représenterait une révolution, non?

Quel que soit le couple, la PMA fait passer au premier plan le côté volitif de la mère ou du couple. C’est la volonté d’être parent qui prend de plus en plus d’importance, alors que les limites de la biologie sont en quelque sorte repoussées.

Est-ce à dire que la réalité biologique perd de son importance?

Ce que je constate, lors de mes entretiens avec des couples, notamment des couples de femmes, c’est qu’il y a une certaine forme de «rebiologisation», même si je n’aime pas ce terme. On réintroduit de la biologie là où l’on pourrait revendiquer du social et de l’affectif. Par exemple, l’une des femmes portera l’enfant issu de l’ovule de sa compagne. Elle aura, donc, un lien biologique avec l’enfant à naître, et accordera un sens à cette implication corporelle. L’une des femmes interrogées me disait: «Comme ça, le bébé sera vraiment le cousin des enfants de mon frère.» On voit donc bien que le sens anthropologique de la filiation est encore bien présent. Sur un plan plus sociologique, ce qu’il est aussi intéressant de constater, c’est que cette démarche sert aussi à impliquer les familles qui seraient plutôt réticentes à accepter les enfants de la mère qui n’aurait pas d’apport biogénétique. On voit donc qu’il y a encore du chemin pour une pleine reconnaissance de l’homoparentalité.

Marta Roca y Escoda

Marta Roca i Escoda 

Chercheuse à l’Institut des sciences sociales de l’Université de Lausanne.