Le complotisme, une nouvelle religion?

Le besoin de spiritualité, attisé par la crise sanitaire actuelle, serait-il une des causes du conspirationnisme? Dans son dernier essai, l’enseignant et chercheur en psychologie sociale à l’Université de Fribourg Pascal Wagner-Egger analyse notamment comment les complotistes se placeraient dans un genre très sérieux de «quête spirituelle».
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Le besoin de spiritualité, attisé par la crise sanitaire actuelle, serait-il une des causes du conspirationnisme? Dans son dernier essai, l’enseignant et chercheur en psychologie sociale à l’Université de Fribourg Pascal Wagner-Egger analyse notamment comment les complotistes se placeraient dans un genre très sérieux de «quête spirituelle».

Le complotisme, une nouvelle religion?

Le besoin de spiritualité, attisé par la crise sanitaire actuelle, serait-il une des causes du conspirationnisme? Dans son dernier essai, l’enseignant et chercheur en psychologie sociale à l’Université de Fribourg Pascal Wagner-Egger analyse notamment comment les complotistes se placeraient dans un genre très sérieux de «quête spirituelle».

La pandémie l’aura sans doute révélé plus que jamais: nous avons besoin de sens. Face à un monde asphyxié par un fléau mortel dont nous peinons à identifier les origines, il y aurait finalement deux façons de trouver des réponses, là où la science n’en aura pas toujours: la spiritualité… ou le complotisme.
Pour Pascal Wagner-Egger, chercheur en psychologie sociale et auteur du tout récent «Psychologie des croyances aux théories du complot», il semble que malgré l’omniprésence scientifique, le besoin de croire à des théories surnaturelles ne se serait en effet jamais démenti. L’universitaire ne tranche pas entre ce qui pourrait être une conséquence physiologique de l'évolution du cerveau humain, facilitant le recours aux croyances, et ce qui pourrait aussi être un besoin social. Il démontre toutefois dans ce livre, qui fera autorité, comment les mécanismes de la croyance religieuse extrême ont une parenté certaine avec le conspirationnisme, notamment dans la recherche d’une vérité cachée. Interview.

 

Le conspirationnisme est-il devenu une nouvelle religion?

Oui, il y a dans un certain conspirationnisme un espoir de type religieux. Les QAnon, par exemple, utilisent un vocabulaire messianique. L’attente d’un monde meilleur, les péchés pardonnés grâce à Q et Trump... Il faut dire que la science nous donne des moyens de lutter mais pas d’espoir que le monde se débarassera, d'un coup de baguette magique, de ses problèmes, d’où la séduction que provoquent certaines de ces thèses. La tendance aux «biais cognitifs», comme celui qui consiste à voir de l'intentionnalité partout dans la nature, est très humaine. La recherche de sens rassure, notamment de par certaines réponses religieuses ou relevant d’un monde surnaturel. Ce qui était représenté par la religion traditionnelle et qui séduit de moins en moins est parfois remplacé par certaines croyances de type «néo-religieux». Cela peut être une religion plus individualiste, genre «New Age», où l’on fait un peu son marché dans les différentes religions, ou alors le recours à une certaine secte, le complotisme fonctionnant comme tel.

Là où le croyant croit et doute, le complotiste, lui, affirme. Pourquoi?

Il y a une espèce de fuite en avant. Comme le complotiste croit sur la base de peu de preuves et surtout de l’interprétation, à la fois pour se convaincre et faire face aux nombreuses critiques et désapprobations qu’il subit, il a tendance à se radicaliser lui-même. Si l’Institut Pasteur a vraiment créé le virus dans un laboratoire en Chine, cela rend possible de nombreux autres complots et fait entrer celui qui y croit dans une «machine à penser», une véritable mentalité. L'engagement dans la cause devient de plus en plus fort, comme dans un embrigadement sectaire. Les mêmes comportements s’observent dans certains courants religieux extrêmes, notamment créationnistes.

Est-ce que malgré tout on a une attitude critique correcte en disant que les complotistes se trompent forcément et en bloc?

Effectivement, cette façon de faire pourrait convaincre les complotistes plus modérés à se radicaliser. Avec des croyants, le fait de vouloir discuter, leur demander de modérer leur propos, souvent, peut avoir l’effet inverse. La question se pose de la même façon avec l’extrême-droite. Faut-il lui donner une place dans les médias, faut-il discuter avec elle? Faut-il normaliser l’extrême-droite ou le complotisme? Difficile de répondre… On peut dire qu’une attitude critique envers un système politique est acceptable, tandis qu’une accusation franche et sans preuve telle que «le Conseil fédéral est à la botte de Big Pharma» est assimilable à du complotisme. Tant que la critique est prudente et basée sur des faits corrects (études scientifiques, enquêtes sérieuses et professionnelles, etc.), elle est nécessaire. Mais quand elle s'extrémise sur la base de sources non vérifiées, comme souvent sur Internet, cela devient dangereux pour la démocratie.

Y a-t-il un tronc commun, une doctrine, dans le conspirationnisme, ou est-ce complètement à la carte?

C’est plutôt à la carte. Il y a des groupes de platistes, qui croient que la terre est plate, d’autres sont membres d’associations qui militent pour une contre-enquête sur le 11 septembre. Il y a différentes chapelles, mais ce qu’on trouve dans nos recherches, c’est que souvent les mêmes personnes croient à plusieurs complots. C’est aussi une question de logique, parce que si vous pensez que les États-Unis ont pu inventer la mission Apollo sur la lune, alors ils sont capables d'actions similaires dans tous les domaines. La croyance en une théorie du complot induit presque logiquement la croyance dans les autres. C’est un cercle vicieux, car quand vous êtes capable de soupçonner quelque chose sans preuves suffisantes, vous êtes capable de croire à tout, même la théorie la plus extrême.

Le complotisme ne coïncide-t-il toutefois pas avec un regain de méfiance du peuple envers les élites?

Tout à fait. La mondialisation fait que les gouvernements deviennent de plus en plus verticaux. Au-dessus de gouvernements comme celui de la France (et en partie de la Suisse), il y a l’Union européenne, l’OTAN, le FMI, toutes ces instances internationales qui font que les gens n’ont plus le sentiment de contrôler ce qui leur arrive, et voient certains comportements de ceux qui font partie de «l’élite» leur échapper en restant secrets ou en étant parfois délictueux. Car finalement, la vision du monde complotiste est une grande exagération de choses qui existent, comme la corruption de certains politiques et journalistes, les tricheries de certains scientifiques. Le fait de considérer ces comportements heureusement minoritaires et rares comme des comportements majoritaires et fréquents –et cela sans preuves suffisantes – est précisément l'erreur du complotisme.

L’enlèvement de la petite Mia, retrouvée dernièrement à Sainte-Croix, montre-t-il une structuration de certains groupuscules?

Cela illustre à mon sens la tendance des groupes marginaux et extrémistes au complotisme, qui est un discours «anti-système» que pourront récupérer tous les militants à peu de frais (extrême gauche et encore plus extrême-droite, extrémistes religieux, etc.), puisqu’il repose comme je l'ai dit sur un niveau de preuve très faible, en bonne partie construites sur Internet.

N'y a-t-il pas néanmoins aujourd'hui une structuration des groupes complotistes? 

Je ne pense pas plus qu’avant, la plus grande structuration est celle des groupes platistes ou du 11 septembre (associations, congrès «scientifiques», etc.). A mon avis, ça a été rendu possible par Internet, mais ce n’est pas spécifique aux groupes actuels comme les QAnon...

 

«Psychologie des croyances aux théories du complot»

Pascal Wagner-Egger

Presses universitaires de Grenoble

170 pages

 

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Pascal Wagner-Egger