Un idéal aux horizons changeants

© Pierre Metivier
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© Pierre Metivier

Un idéal aux horizons changeants

Au fil des siècles, l’humanité a recherché la perfection du côté de Dieu, en lui puis dans les machines, constate l’anthropologue Daniela Cerqui.

L’humain tend-il vers la perfection?

DANIELA CERQUI L’humain a toujours été assimilé à un être imparfait. Durant des siècles, cela a été perçu comme une fatalité et la perfection renvoyait au divin ou à l’au-delà. Puis, autour du XVIIIe siècle, avec le progrès de la science, apparaît l’hypothèse que l’humain pourrait s’approcher de la perfection durant sa vie terrestre. Aujourd’hui, je ferais même un pas de plus, et je dirais que la perfection n’est plus recherchée du côté de l’humanité, mais auprès de machines. Elles pourraient améliorer l’humain, le remplacer dans bien des applications…

Quel genre d’application?

Prenons l’exemple du logiciel Zora. C’est un programme dont on peut équiper le célèbre petit robot Nao (voir photo) pour l’utiliser dans le domaine médical. Zora est patiente et gentille. Elle peut prendre soin des personnes âgées. Paradoxalement, le personnel infirmier se plaint de ne plus avoir assez de temps pour ce qui est de nouer des relations avec les patients. Les infirmières et les infirmiers sont de plus en plus stressés et doivent se concentrer sur les gestes techniques. Souhaitons-nous vraiment que dans nos EMS et hôpitaux les humains soient cantonnés à des gestes techniques alors que le rôle de nouer des relations avec les patients serait confié à des machines?

Mais cela ne provoque-t-il pas de résistances?

Je suis peut-être pessimiste, mais depuis le temps que je travaille sur ce sujet, je m’aperçois que les innovations dans ce domaine font d’abord l’objet de résistance, puis elles apparaissent comme tolérables et enfin souhaitables. Sur le long terme, le rôle même de l’humain évolue donc. Toujours dans le domaine de la santé, regardez les glissements: on a d’abord eu recours à la médecine pour des soins, puis l’on s’est mis à anticiper les défaillances du corps. Aujourd’hui, il est admis, que l’on traite aussi des gens qui ne sont pas malades en prévention de maladies futures plus ou moins probables. La prochaine étape est clairement d’améliorer un corps perçu de plus en plus comme limité, soit en l’améliorant biologiquement, soit en le faisant entrer de plus en plus étroitement en relation avec des machines.

Notre biologie serait donc perçue comme une faille…

J’observe assez clairement que dans notre société, la perfection n’est plus l’humain, mais la machine qui l’incarne… Un exemple qui m’a frappée, ce sont les modalités de subvention des recherches aux Etats-Unis. Les autorités encouragent les découvertes permettant de suppléer au maillon faible qu’est le facteur humain dans les processus. Et elles utilisent le terme «maillon faible»!

Face à la mortalité, l’humain continuera à vouloir préserver sa biologie, non?

Comment définissez-vous l’immortalité? Quand la perfection était de nature divine dans nos sociétés, on parlait d’immortalité de l’âme. Puis on a espéré l’immortalité du corps. On glisse vers une immortalité de la pensée. Ce qui fait notre humanité ne serait qu’un logiciel que l’on peut transférer dans d’autres supports, des machines… C’est probablement ça, le monde parfait auquel aspire aujourd’hui la recherche. L’humain a voulu maîtriser l’espace, puis le temps, maîtriser son espace intérieur apparaît comme le futur grand défi.

Daniela Cerqui

Daniela Cerqui, anthropologue, spécialiste de l’humain augmenté, Institut des sciences sociales, 

Université de Lausanne.