Face au grand froid et au virus, la solidarité fait foi

Des SDF attendent l'ouverture du centre d'urgence hivernal dans un abri de la PC à la Vallée de la jeunesse à Lausanne. / KEYSTONE/Laurent Gillieron
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Des SDF attendent l'ouverture du centre d'urgence hivernal dans un abri de la PC à la Vallée de la jeunesse à Lausanne.
KEYSTONE/Laurent Gillieron

Face au grand froid et au virus, la solidarité fait foi

Stéphane Herzog
16 décembre 2021
De Genève à La Chaux-de-Fonds, les aumôneries et associations à vocation chrétienne mettent les petits plats dans les grands pour accueillir les personnes sans couvert ou sans toit. La pandémie a parfois stimulé la solidarité.

Pour faire le tour romand des réponses solidaires en période de froid, on peut commencer par évoquer Le Passage à Genève. Cette structure de l’Armée du Salut, ouverte en novembre dans le quartier de Sécheron, offre 62 places d’accueil, dont 18 pour les mineurs non-accompagnés. Les pensionnaires ont accès à une chambre partagée à deux. Ils sont munis d’une carte magnétique qui leur garantit un accès 24 heures sur 24, pour 30 jours. «Par rapport au froid, nous ne pouvons pas offrir plus de places: nous sommes pleins», résume Antoine Beuret, le responsable gestion et développement. La structure offre plus d’espace et de confort que le précédent lieu d’accueil nocturne de l’Armée du Salut, un baraquement en bois qui n’ouvrait que la nuit.

La lutte contre le virus est une préoccupation, mais elle ne freine pas l’accueil, qui n’est pas soumis à un certificat. Le port du masque est obligatoire à l’intérieur. En cas de doute sur un cas de Covid-19, un protocole prévoit des bons pour un test PCR. Pour le moment, Le Passage n’a pas connu de cas d’infection parmi ses pensionnaires.

Lits d’urgence, une solution toujours temporaire

Non loin, voilà l’Espace Solidaire Pâquis, installé dans un temple. Ce lieu offre un accueil de jour. «En cas de grand froid, nous étendrons nos ouvertures en concertation avec d’autres associations caritatives», indique le pasteur Philippe Leu, de l’Église protestante de Genève. Dans ce lieu, érigé en halte de nuit d’urgence dans le cadre d’un mouvement de militance en faveur des sans-logis lancé en 2018, les habitants de la rue trouvent de quoi se réchauffer physiquement et moralement. «Nous tenons compte du climat, nous ne sommes pas des fonctionnaires, nous faisons du social par humanité», souligne Philippe Leu.

Certaines personnes sont sans domicile depuis des années. «Elles trouvent des lieux pour dormir auxquels on ne pense même pas.» La nuit, des maraudes sont effectuées par les services sociaux de la Ville de Genève. En cas de grand froid, un plan prévoit l’ouverture d’abris PC. À Genève, une étude menée en 2021 a estimé la présence de personnes vivant dans la rue à environ 700. Aujourd’hui, le manque de places pourrait se situer entre 100 et 200, calcule le responsable gestion du Passage. «La réponse collective est plus adéquate que par le passé, mais elle n’est pas complète», ajoute le pasteur Philippe Leu. Qui rappelle que la problématique du logement ne se résume pas à l’offre de lits d’urgence.

Exemptés du certificat Covid

À Renens (VD), l’équipe de L’Ancre propose un repas trois fois par semaine, avec un maximum de 12 personnes accueillies en même temps. «Les gens doivent respecter les gestes habituels de protection, mais nous n’exigeons pas le passe sanitaire», explique la diacre Sylvie Keuffer, membre de l’Église évangélique réformée vaudoise (EERV). Les structures d’accueil d’urgence sont en effet déliées de l’obligation du certificat Covid.

L’Ancre offre aussi à ses visiteurs une orientation vers des lits, comme par exemple au Répit, à Lausanne. Cette structure de la Fondation Mère Sofia a ouvert 80 lits de camp le 1er décembre, auxquels sont venus s’ajouter 70 places fournies par la Borde 47, une unité de la Ville de Lausanne. Que fera l’Ancre en cas de grand froid? «Nous sommes une petite structure, donc nous ne pourrons pas élargir l’accueil», précise Sylvie Keuffer.

L’aide en période d’hiver, c’est aussi l’écoute et la prière. «Notre spiritualité, c’est notre humanité», résume la diacre de Renens, qui propose un moment de prière hebdomadaire, qui peut réunir des gens de confessions diverses. «La pandémie a entraîné une immense fatigue, de la lassitude et de la colère, avec parfois l’expression de théories du complot», note Sylvie Keuffer.

Repas, vêtements et aide spirituelle

À la Pastorale de la rue, en plein cœur de Lausanne, trois aumôniers et des bénévoles ouvrent les portes d’un lieu exigu à qui a besoin de parler et de se sustenter. Parmi les réguliers, des personnes du quartier, des gens à l’AI ou dans l'addiction et des migrants. Les lieux d’accueil nocturnes ferment la journée, la «Pasto» joue son rôle en ouvrant les après-midis du mardi au vendredi et le dimanche. Les aumôniers sont présents dans la rue et proposent de l'aide alimentaire d'urgence ou des habits offerts par des paroisses. L’équipe offre un appui spirituel ou administratif aux usagers.

La pandémie pose un problème en lien avec l’espace disponible. En 2020, l’église Saint-Laurent (qui n’était alors utilisée que pour le culte dominical, ndlr.) avait ouvert six mois ses portes aux clients de la Pastorale. «C’était formidable», s’exclame Doris Walgenwitz, diacre rattachée à l’EERV, qui note que «la pandémie isole davantage les gens déjà laissés-pour-compte.»

À Vevey, l’ancien Café de l’Avenir fait office de lieu d’accueil diurne pour la Permanence accueil de Caritas. L’aumônière catholique Marie-Laure de Preux est soulagée. Elle vient de recevoir par son Église la confirmation par le bureau du Médecin cantonal de l’exception concernant l’exigibilité du pass sanitaire. Elle avait craint un durcissement. «Nous faisons du bien aux gens en cette période et notamment pour les personnes qui ne disposent pas d’un pass», dit-elle. Au café, les visiteurs veulent pouvoir parler de tout et pas forcément uniquement de leur situation. «On sait que certains n’ont pas de lieu pour dormir au chaud ou qu’ils ne souhaitent pas se rendre dans des structures d’urgence de nuit», indique l’aumônière, qui distribue des couvertures. Marie-Laure de Preux trouve parfois des lieux d’accueil temporaires pour répondre aux besoins d’une personne se retrouvant sans toit au cœur de l’hiver.

La solitude plus dure que le froid

Le froid? On connaît dans les montagnes neuchâteloises. Pour le moment, la petite structure diurne le Seuil, à la Chaux-de-Fonds, a décidé de distribuer ses repas de midi à travers une petite fenêtre. «Avec la pandémie, l’accueil à l’intérieur est devenu compliqué et les responsables du Seuil ne souhaitent pas devoir trier les gens», explique le diacre Luc Genin, de l’Église réformée du canton de Neuchâtel. Les lieux permettent de sustenter plusieurs dizaines de personnes quatre fois par semaine. Munis d’un gilet blanc, le diacre et un bénévole se rendent devant la gare pour parler aux démunis qui s’y retrouvent, avec un thermos de thé chaud au miel.  Luc Genin a recueilli des témoignages auprès des usagers du Seuil: «Ils disent que nous permettons de briser la solitude et d’amener une aide morale.»