Les conflits ont toujours accompagné l'humanité

Lviv (Ukraine), le 26 février 2022. Des civils attendent le train pour fuir vers la Pologne. / © Shutterstock
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Lviv (Ukraine), le 26 février 2022. Des civils attendent le train pour fuir vers la Pologne.
© Shutterstock

Les conflits ont toujours accompagné l'humanité

Engrenages
Si personne ne veut la guerre, pourquoi les conflits marquent-ils l’histoire depuis la nuit des temps? Est-ce dans la nature humaine? Le fruit de pulsions irrationnelles ou des constructions aux bénéfces d’une minorité?

La guerre est une calamité, nul ne le contestera. Pourtant les conflits marquent l’histoire humaine, construisent les frontières, façonnent les identités. La guerre ferait-elle donc partie de la nature humaine? Plusieurs penseurs sont arrivés à cette triste conclusion, comme le rappelait une chronique philo diffusée sur France culture. Auteur de cette capsule, le philosophe Frédéric Worms cite en particulier le psychanalyste Freud qui, dans sa correspondance avec Einstein, «relie la guerre à une pulsion de mort.»

Professeur honoraire d’histoire et anthropologie des religions, Philippe Borgeaud cite le juriste Henry Maine: «Ce n’est pas la paix qui est naturelle et primitive et ancienne. La guerre apparaît être aussi vieille que l’humanité, mais la paix est une invention moderne.» L’historien commente: «Henry Maine écrit ça vers la fn du XIXe siècle, quand s’efforce de pénétrer les nuages qui recouvrent la compréhension des aubes de l’humanité. Mais ce qui semble clair, c’est l’universalité de la belligérance dans l’humanité primitive. Et cela correspond assez à ce que j’ai cru comprendre moi-même durant mes recherches», explique le spécialiste de l’Antiquité. «Quand les Grecs pensent à la paix, incarnée par la déesse Irène, ils la conçoivent comme un soulagement à la sortie d’une guerre. La paix ne se conçoit pas en elle-même. C’est quelque chose de miraculeux, que l’on aime beaucoup. Mais ce n’est pas conçu comme quelque chose qui peut durer», explique le chercheur. «Il en va un peu de même dans ce qu’on va appeler la Paix romaine. La fin des guerres civiles, sous Auguste, peu avant le début de notre ère est célébrée par un monument tel que l’autel de la Paix à Rome. Sur ce monument sont représentées différentes déesses qui rappellent cette idée que la paix est liée à la fécondité, à la sexualité, à la prospérité. Mais elle n’est pas pensée comme définitive.» Finalement Philippe Borgeaud estime que «notre idée de la paix est une idée moderne. Une forme sécularisée de la morale chrétienne que l’on doit à Emmanuel Kant (1724-1804).»

Peur pour le salut des âmes

A la suite de du Léviathan de Thomas Hobbes (1588-1679), considéré comme l’un des premiers théoriciens de l’Etat, la peur, la cupidité et le prestige sont désignés comme étant les trois grandes causes de guerres. Et pour les auteurs médiévaux ou du tout début de l’époque moderne, c’est bien sur la crainte de voir de fausses doctrines se répandre dans la société, et nuire ainsi au salut éternel des individus, que se base la justifcation de la punition de mort à l’encontre des hérétiques, ceux qui ne pensaient pas comme l’Eglise: c’est ce que montre l’historien Philippe Genequand dans sa contribution au cours en ligne «Violences et religions» de l’Université de Genève. Les mêmes mécanismes sous-tendent non seulement la chasse aux hérétiques, mais également les guerres de religion

Défendre ses intérêts

«La rationalité – économique plus que tout autre –, nous inculque-t-on depuis le XVIIIe siècle, est vouée à l’emporter sur les passions destructrices qui ont ravagé l’Europe avec les guerres de religion», rappelle toutefois la sociologue Eva Illouz dans sa contribution à Face à la guerre, un hors-série de Philosophie magazine (avril 2022). «Dans son ouvrage de 1977, Les Passions et les Intérêts, l’économiste Albert Otto Hirschman décrit comment philosophes et moralistes, soucieux de résoudre l’épineux problème des guerres de religion, en vinrent à considérer l’intérêt personnel comme un remède à la libido dominandi (‹désir de domination›). Faites en sorte que les gens préfèrent la cupidité au pouvoir, et ils s’abstiendront de recourir à la violence, car ils voudront éviter de nuire à leurs intérêts commerciaux: voilà le postulat qui forme le pari, historique, que l’Union européenne a choisi de faire avec elle-même», poursuit la chercheuse.

Mais si les intérêts commerciaux peuvent participer au maintien de la paix, ils peuvent également déclencher des conflits. Dans son bureau de l’Université de Lausanne, Dominic Rohner, professeur en économie politique a afché un poster résumant l’une des précé- dentes recherches auxquels il a contribué. Il explique: «Sur ces cartes, on juxtapose les emplacements des sources de matières premières et les zones de conflits armés. Ce que l’on a montré, c’est que jusqu’à un quart des guerres civiles en Afrique s’expliquent par des minéraux. Par exemple, si le marché de l’électronique provoque un choc de prix sur le cobalt, le risque de voir éclater un conflit à proximité des mines de cobalt est élevé», indique-t-il. «Pour les guerres civiles, il y a énormément de publications qui démontrent un lien avec les exploitations de pétrole de gaz et de minéraux.»

Une minorité qui en profte

Il souligne toutefois ce paradoxe: «Les guerres sont destructives. Les populations paient un lourd tribut. Très peu de gens s’enrichissent sur le dos d’une vaste majorité. Les motivations belligérantes, en particulier pour les conflits entre Etats, sont à chercher au-delà du champ de l’économie. Elles s’expliquent par un manque de démocratie. La littérature montre qu’il est très rare que deux démocraties entrent en guerre: dans l’immense majorité des cas, au moins l’un des belligérants est une autocratie ou une dictature. Et dans ce cas, on peut voir que souvent le gouvernement gagne beaucoup de la guerre, personnellement, sans payer un très grand prix. Le prix est payé par la population, par les familles qui perdent leurs enfants dans le conflit. Dans les démocraties, la situation des membres du gouvernement ressemble davantage à celle de Mme et M. Tout-le-monde», explique l’économiste. «Aux Etats-Unis, pendant les quatre guerres à conscription générale du XXe siècle, il a par exemple, été démontré que les élus ayant des fils en âge d’être recrutés étaient nettement moins favorables au conflit que leurs homologues avec une flle dans cette tranche d’âge.» Auteur d’une quarantaine d’études sur les guerres, Dominic Rohner résume ainsi ses convictions: «Pour éviter les guerres, il faut œuvrer à une transition vers une économie verte, pour éviter de dépendre du pétrole et du gaz: cela couperait les ailes de nombreux dictateurs. Et il faudrait lutter pour préserver nos démocraties, qui sont malheureusement en déclin sur la dernière décennie.»

Guerre de représentation

Mais la manière de raconter un conflit peut aussi l’alimenter. De retour en Suisse depuis peu, la journaliste Aline Jaccottet est cheffe de la rubrique internationale du Temps. Ces dernières années, vous avez pu lire ses correspondances depuis Israël dans divers médias, dont Réformés. Elle explique: «Comme journalistes, nous devons toujours essayer de trouver de nouveaux interlocuteurs. On ne peut pas comprendre une situation si on évacue l’antagonisme des points de vue, en particulier lorsque l’on couvre un conflit. Il faut avoir conscience de nos propres biais. Les surmonter permet d’entendre celui qui est différent.» Lors d’une conférence donnée dans les locaux de la rédaction, Aline nous racontait son expérience en Israël. Et la force des préjugés entre communautés: ils empêchent souvent des gens vivant à quelques kilomètres les uns des autres de se rencontrer.

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