Pandémie: écouter la souffrance des travailleurs

Les Églises à l'écoute de la détresse des travailleurs. Image d'illustration. © iStock/FG Trade / Les Églises à l'écoute de la détresse des travailleurs. Image d'illustration. © iStock/FG Trade
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Les Églises à l'écoute de la détresse des travailleurs. Image d'illustration. © iStock/FG Trade
Les Églises à l'écoute de la détresse des travailleurs. Image d'illustration. © iStock/FG Trade

Pandémie: écouter la souffrance des travailleurs

Marie Destraz, Protestinfo et Matthias Wirz, Réformés-Le Journal
4 mars 2021
Avec la pandémie, les aumôniers présents dans le monde du travail constatent une exacerbation des souffrances. Alors que les priorités sont repensées, pourquoi ne pas mettre la santé sur le haut du panier?

Lundi 1er mars, le grincement des rideaux métalliques de nombreuses enseignes s’est fait entendre. Si le son de la réouverture résonne comme les premières notes d’une liberté retrouvée, il reste grinçant pour ceux qui attendent encore un feu vert des autorités pour reprendre leurs activités. Aujourd’hui, le désarroi professionnel n’épargne personne. Face à la détresse des travailleurs sur le carreau, chercheurs d’emploi et télétravailleurs, les Églises répondent présentes. «Nous ne sommes pas des agences de placement, mais notre écoute permet aux personnes de déposer leurs soucis», lâche Jean-Claude Huot, aumônier catholique de la pastorale œcuménique dans le monde du travail dans le canton de Vaud. Et depuis un an, les difficultés rencontrées dans l’environnement professionnel sont exacerbées.

Un cercle vicieux

Avec la première vague de coronavirus, c’est l’économie informelle qui a été touchée de plein fouet par la crise, constate Jean-Claude Huot. «Les personnes qui avaient tout juste de quoi manger et se loger se sont retrouvées sans rien du jour au lendemain, avec des besoins immédiats à couvrir», poursuit l’aumônier. À la permanence, il voit défiler sans-papier, travailleurs du sexe et personnel de ménage, mais aussi des personnes qu’il a accompagnées dans leur réinsertion et qui font aujourd’hui les frais de la crise. «Au moins maintenant, elles ont droit au chômage», précise-t-il.

Et c’est là que le bât blesse. Difficile de trouver ou retrouver un emploi, dans une période où l’incertitude touche tous les secteurs. «Les offres spontanées aboutissent rarement, les employeurs cherchant d’abord à limiter la casse. Quant à l’aide au chômage, le système cherche la réintégration plutôt que la réorientation professionnelle», déplore Alain Martin, pasteur de l’Église réformée vaudoise et aumônier de la pastorale œcuménique dans le monde du travail aux côtés de Jean-Claude Huot. Même son de cloche dans la Cité de Calvin, pour le pasteur de l’Église protestante de Genève Philippe Leu, responsable du ministère Évangile et travail à l’Espace solidaire Pâquis. «Actuellement, en restant dans le même secteur d’activité, les personnes au bénéfice du chômage ne peuvent qu’essuyer des refus à leur postulation.»

L’aumônier écrivain public

Mais avant de postuler, il faut encore monter un dossier. Rédiger un CV et une lettre de motivation, ou se mettre en quête d’offres d’emploi est devenu plus compliqué depuis un an. «Les ressources ont diminué et nombreuses sont les personnes qui n’ont plus les moyens de se payer un forfait téléphonique ou internet. Sans compter l’accès limité au wifi gratuit et aux ordinateurs mis à disposition dans certains lieux désormais fermés», liste Alain Martin. Qu’à cela ne tienne, les aumôniers vaudois mettent la main à la pâte. À l’Espace solidaire Pâquis situé dans le temple genevois, aussi, on propose écrivain public, atelier de français, rédaction de CV et permanence juridique.

Et les bistrots?

Et puis il y a les nouveaux venus. Depuis peu, des personnes actives dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration frappent à la porte des aumôniers. Pendant trente ans, jusqu’en 2008, les Églises réformées romandes disposaient d’un ministère spécifique de «gastro-pastorale*». Diacre de l’EERV, mais aussi sommelier et diplômé de l’École hôtelière de Lausanne, Jacques Brunnschweiler arpentait cafés, restaurants et hôtels romands, Bible en mains, accompagnant personnellement et spirituellement les acteurs du secteur.

Ne serait-ce pas le moment opportun pour recréer ce poste? «Je plaide pour que, sur le plan local, paroissial, le pasteur, dans sa fonction de berger, puisse passer dire bonjour à l’hôtel, au bistrot, là où il exerce son ministère. Le problème, c’est que cela n’est pas prévu dans son cahier des charges», propose le diacre retraité.

S’il est indispensable d’être aux côtés des travailleurs, il faut aussi être au chevet des patrons: «Le tissu économique du pays n’est pas fait que de grandes multinationales qui font du tort à tous. Il y a aussi des petits commerçants, des artisans, des patrons de PME, créateurs d’emploi, qui rencontrent des difficultés et qui ont l’impression que le message de l’Église les stigmatise», explique Ariane Baehni, pasteure à Vallorbe. Elle sait de quoi elle parle, après trente ans d’expérience dans le secteur de l’économie, elle a assuré une présence auprès des chefs d’entreprise pendant son ministère. Mais ce 10% a été mis en pause, faute de temps, ce qu’elle regrette face aux besoins réels.

«Il manque indiscutablement des lieux qui offrent un soutien, une écoute pour les petits patrons dans les bourgs, les villes et les villages. Il y aurait des choses à faire en particulier dans le secteur du tourisme», explique Olivier Calame, pasteur de l’EERV aujourd’hui à la tête de l’agence de voyages culturels et spirituels Samare et qui avait à l’époque proposé d’y consacrer une partie de son ministère à Montreux. «Il est actuellement improbable que les Églises investissent précisément dans ce domaine, alors qu’on vise partout des diminutions. On avait développé l’aumônerie dans le monde agricole au moment où celui-ci connaissait une crise. Il y a maintenant une autre crise: que faisons-nous?»

En janvier dernier, le Conseil synodal (exécutif) de l’EERV invitait les paroisses à allier les travailleurs culturels aux célébrations. Une goutte d’eau peut-être, mais une solidarité minimale estimée nécessaire. «Et si nous pouvions nous rassembler pour des événements d’Église, nous ferions évidemment aussi appel au secteur de l’hôtellerie et de la restauration», déplore Jean-Baptiste Lipp, conseiller synodal de l’EERV et président de la Conférence des Églises réformées romandes. «Il y a quelque chose de grinçant. Au moment où nous en aurions le plus besoin, nous n’avons pas d’aumônier spécialisé dans ce secteur. Il y a un sentiment d’impuissance face aux poids de nos institutions et à la lourdeur de nos structures.»

Priorité à la santé

Avec la pandémie, c’est aussi l’enjeu de la numérisation du travail qui pointe et surtout s’accélère. «Elle engendre une diminution du nombre d’interventions humaines dans les services et la manutention d’une part et crée un isolement social pour le télétravailleur d’autre part», observe Alain Martin.

Pour les aumôniers, une telle transformation du monde du travail exacerbe la quête de sens et de dignité du travailleur. «Aujourd’hui, il est nécessaire de redonner une priorité aux questions de santé au travail qui ont été trop souvent négligées», affirme Jean-Pierre Thévenaz, président de l’association romande Chrétiens au travail. «Le travail est sensé lorsqu’il fait du bien, qu’il est un instrument du bien commun, qu’il est producteur de bonnes choses. Le problème, c’est que les conditions dans lesquelles il s’exerce ne le sont pas toujours et la pandémie renforce cette réalité», expose-t-il. Et d’ajouter: «Aujourd’hui, on assiste à un chamboulement des priorités éthiques dans l’économie. C’est une occasion idéale pour s’interroger sur les conditions de travail, y être attentif, mais aussi pour se doter de lieux de résistance et de sens.»

«Les métiers que nous applaudissions pendant la première vague sont des services d’arrière-plan, le personnel hospitalier, de nettoyage, de caisse, le monde agricole, etc., qui permettent à la société de fonctionner. Nous nous sommes rendu compte qu’ils étaient vitaux, et pourtant ils sont mal considérés et mal payés. Il est nécessaire de les revaloriser», rebondit Jean-Claude Huot.

Dans ce sens, la mission des aumôniers est aussi de mettre en valeur l’importance de ce travail pour la société et de pointer les situations de précarité dans lesquelles sont maintenus des travailleurs. «Le sens de la vie dépasse le travail. Il faut rappeler que la valeur de la personne ne dépend pas de son revenu mais du regard qu’elle porte sur elle-même», insiste Alain Martin.

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