«Une génération entière est dépourvue d’éducation»

Haroutune Selimian / ©Michel Kocher/Médias-pro
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Haroutune Selimian
©Michel Kocher/Médias-pro

«Une génération entière est dépourvue d’éducation»

Gâchis
Haroutune Selimian, pasteur à Alep et président de la communauté arménienne de Syrie, était à Lausanne début décembre. Il témoigne des défis de la reconstruction et de la réconciliation dans un pays bouleversé après dix ans de guerre.

Lorsqu’il mène un entretien un soir de décembre, dans un hôtel lausannois, Haroutune Selimian n’en revient pas: «Les couloirs et le restaurant sont vides… Mais près de 200 ampoules brillent! A Alep, une telle énergie pourrait changer la vie de 200 familles! Les ressources sont si précieuses…» La plus grande ville de Syrie (3,5 à 4 millions d’habitants en 2011, environ 2 millions aujourd’hui selon certaines sources) a été détruite à 70 %. Entre les personnes mortes, disparues, déplacées, toute la géographie de la ville a changé. Les habitant·e·s des banlieues rasées sont venu·e·s occuper des maisons abandonnées au centre. Beaucoup des survivant·e·s se sont mis·e·s à l’agriculture, cultivant chaque lopin disponible. Chaque ressource est précieuse. 

Chaque jour la situation est plus alarmante

Pénuries structurelles

Les logements et infrastructures sont loin d’être reconstruits, le covid complique le quotidien, l’inflation et les pénuries dues aux sanctions économiques rendent le coût de la vie très élevé. Concrètement, cela veut dire: pas d’essence, donc pas d’électricité dans les générateurs, ni d’eau, puisque celle-ci doit être pompée par une machine. Les vêtements, chaussures, couvertures manquent. «Chaque jour la situation est plus alarmante», témoigne le pasteur. Résultat: «Nous nous posons des questions existentielles: pourquoi Seigneur et jusqu’à quand?» témoigne Haroutune Selimian, dont le conflit a éprouvé la foi chrétienne.

Menacée de mort sous le régime de l’Etat islamique, l’Eglise arménienne tient fermement à rester sur place, sans dissimuler sa proximité avec le régime d’Assad, en partie contrainte par sa situation de minorité. Rester est une question identitaire, existentielle, mais aussi géopolitique. «La présence chrétienne en Syrie est l’équivalent du pH: c’est un facteur neutralisant. Si nous nous en allons, la région sera en danger. Et l’Europe aussi, car le monde est un village», martèle le pasteur, qui attend beaucoup des Eglises européennes. «Il n’y aura pas de paix sans justice. Des gouvernements occidentaux sont responsables de ce conflit. Les Eglises doivent avoir un impact sur leur gouvernement, sur leurs politiques, elles ne doivent pas rester silencieuses face aux injustices.»

Revenir

Des milliers d’Arméniens ont fui pendant le conflit: l’Eglise d’Alep aide ceux qui veulent revenir en cofinançant la reconstruction de certains logements. «Il faut faire des choix: nous priorisons les familles.» Mais la priorité numéro 1 a été la reconstruction des bâtiments de l’Eglise. «Si nous ne rénovons pas ce lieu, la communauté se dira qu’il n’y pas de futur pour elle. Donc, avant de reconstruire les maisons, nous reconstruisons les églises et les écoles», détaille Haroutune Selimian. Car le rôle de l’Eglise s’est considérablement élargi. Si avant le conflit les Eglises arméniennes étaient déjà reconnues pour leur système éducatif de qualité, elles ont développé encore plus de compétences et de responsabilités. L’Eglise arménienne dispose désormais d’une polyclinique, et assure également une série de services humanitaires. Elle a aussi et surtout lancé un programme de formation professionnelle pour jeunes adultes. «Une génération entière est dépourvue d’éducation, de vocation. Elle est totalement dépendante des aides. Nous formons 200 jeunes chaque année en leur donnant des outils pour se préparer à un métier: coiffeuse pour les filles, réparateur informatique pour les garçons…» Si les biais de genre sont bien présents, l’offre, comme tous les services de l’Eglise protestante, est ouverte à toutes et à tous. «60 % de ceux et celles qui postulent sont musulmans. Nous croyons en notre société. L’Eglise doit prouver qu’elle peut apporter des changements réels dans la vie des gens.»

Retrouvez son interview vidéo avec Michel Kocher dans l'émission Sur le parvis.

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