Le méga festival où le sexe hors mariage est un péché

© Caroline Amberger
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© Caroline Amberger

Le méga festival où le sexe hors mariage est un péché

10 octobre 2017
La communauté du renouveau charismatique catholique de l’Emmanuel à Paray-le-Monial, 9000 habitants, en Bourgogne accueille plus de 200'000 pèlerins durant l’année. Six sessions d’une semaine ont lieu l’été et rassemblent à elles seules 30'000 participants. Au menu: accompagnement spirituel pour les homosexuels, camps Optimum destinés à la "revirilisation" masculine ou cours intensifs de bioéthique.

Il est 8h30 du matin et la petite ville de Paray-le-Monial semble déjà en effervescence. D’énormes barnums ont pris place sur le parc du Moulin Liron attenant à la basilique. Un parking de voitures et de camping-cars s’étale à l’entrée de ce festival religieux. Louanges, messes et veillées vont meubler la journée. Toute la ville est mise au diapason. Les internats ont été réquisitionnés pour loger le pèlerin. Les gîtes affichent complet et la pizzeria locale ne désemplira plus. Au gré des différents carrefours des espaces abordent les grandes thématiques à traiter: l’éducation, la bioéthique, la famille, la sexualité, l’engagement chrétien dans la société. Des familles bon chic bon genre en shorts et mocassins à glands déambulent, beaucoup de jeunes et d’enfants arpentent déjà le site. Les louanges, chants de missions évangéliques commencent invariablement à 9h00. Pour l’instant on se chauffe, «Vous êtes fatigués?» scande un des prédicateurs appelant les fidèles à se rapprocher de la scène. «N’aie pas peur! Ose la joie et le pardon! Venez en famille! Seigneur nous t’offrons nos chants de louanges!» Le public de fidèles se masse rapidement comme dans un concert pop. La sauce prend, l’ambiance monte, les bras se lèvent, certains se mettent à parler en langue. Le tout est rediffusé sur écrans géants. Les chants vont s’enchaîner et le rythme ne se relâchera pas. Une farandole d’enfants se forme, cette chenille géante se fraie une place et virevolte encouragée par des applaudissements. 

...Nous devions nous marier mais Dieu m’a mis en garde alors j’ai renoncé.

Un peu estourbie et surprise par cette transe matinale je sors rejoindre le petit groupe «parcours homosexuel» qui est resté à l’écart du site principal. Ils sont une quarantaine à s’être inscrits et sont déjà au travail. Une femme aux cheveux gris semble perdue, «ici c’est un lieu ou je peux échanger facilement. L’Eglise est une boussole.» souffle-t-elle. Un couple est là parce pour trouver des explications, «notre fils est homosexuel et nous cherchons des réponses à cela». Certains refuseront de témoigner, alors qu’un jeune homme se montre plus hardi. Il me raconte son parcours de vie. «Je pensais tomber amoureux des femmes. J’avais des compagnes, toujours très belles mais il ne se passait jamais rien entre nous parce que mon attirance physique était toujours pour les hommes. Finalement j’ai accepté mon homosexualité et j’ai vécu cinq ans avec un compagnon. Nous devions nous marier mais Dieu m’a mis en garde alors j’ai renoncé». Si ce jeune homme a rompu sur un appel de Dieu, sa peur d’être seul demeure, «ma chasteté est un acte de foi qui produira un plus grand bonheur» espère-t-il. Il y a aussi ce couple hétérosexuel, la cinquantaine, ayant eu des enfants. Comment rester fidèles au sacrement du mariage alors que monsieur vit un combat intérieur depuis de nombreuses années? Ce sont les garçons qui l’attirent, et depuis longtemps.

Un leitmotiv est scandé aux participants par celui qui semble être le berger des ces brebis égarées: l’église vous accueille tels que vous êtes, qui suis-je pour vous juger? Mais le discours glisse très vite sur «une histoire marquée par nos fragilités, il faut donc se guérir des blessures du passé en suivant l’appel de Dieu dans la chasteté». Le père Louis-Marie Guitton responsable du groupe et fondateur de Courage, version française importée de Courage international m’accorde un entretien. En col romain et sandales, ce membre du diocèse de Fréjus-Toulon se montre souriant et s’exprime avec une certaine autorité: «Parler des homosexuels c’est une abstraction je ne connais que des personnes créées à l’image de Dieu. Je prends la parole telle qu’elle est: Dieu a créé les hommes et les femmes et les a voulu sexués. Ce qui importe c’est le plan de Dieu sur la sexualité et le comportement homosexuel oublie ces distinctions. La guérison n’est pas notre débat. Nous accueillons ces personnes qui se sentent souvent jugées par l’Eglise».

Le sixième commandement comme remède

L’après-midi je retrouve le groupe qui assiste à un enseignement: «Inutile de s’en référer aux études scientifiques, aux sexologues ou aux travailleurs sociaux. Le seul à qui il faut poser la question c’est Dieu» commente Louis-Marie Guitton. Enjoué et d’une assurance déconcertante les participants ont même droit à une petite parodie de Louis de Funès. «Oh non pas la chasteté! Si la chasteté!» Quelques rires détendent l’atmosphère. S’appuyant sur la Bible qui est présentée comme un livre de morale sexuelle, la recette est simple: Genèse 1 est la parole de Dieu. La sexualité ne peut être dissociée de la procréation dans le cadre du mariage. Puis application stricte du catéchisme de l’église catholique, le sixième commandement est exposé comme le remède à tous les maux des participants. Démonstration faite,  «les actes homosexuels ne conduisent pas au bien de la personne. Mais les personnes homosexuelles vivent de grands combats spirituels. C’est une grande souffrance et leur désir du Christ est bien plus présent que chez la plupart des chrétiens», conclue le père Louis-Marie Guitton.

Si cette version française à peine  édulcorée  se défend de toute tentative de guérison le discours de son homologue américain est largement moins policé et pourtant véhiculée par le blog français de Courage. Selon le prêtre Paul N. Check certaines circonstances familiales seraient récurrentes: «des familles éclatées ou troublées, une aliénation du parent de même sexe (…), et un choc sexuel». Le constat fantaisiste va plus loin encore: «Beaucoup d’hommes avec un SSA (same sex attractions) ont un déficit de coordination main/œil et de ce fait ont été rejetés ou été sujets de dérision pour leurs pères ou pour les garçons du voisinage, parce qu’ils ne pouvaient pas jouer avec aisance à certains sports» On y apprend également que «L’attirance vers le même sexe est un désordre développemental qui est à la fois soignable et évitable», étant entendu, non comme un problème sexuel, mais comme un déficit dans l’identité au genre.

Cinq piliers proposés

A Paray-le-Monial cette association se calque sur un modèle proche de celui des alcooliques anonymes. Cinq piliers sont proposés, Chasteté, Prière et Consécration, Camaraderie, Soutien et Bon exemple. Un sous groupe «Encourage» est au service des familles dont un proche est touché par l’homosexualité. La journée se terminera par des temps de prières auxquels je ne suis pas invitée à participer. Je reste interrogative sur les messages donnés et échange avec le jeune homme qui me raccompagnera en dehors du site. Convaincu qu’il n’est pas confronté a un impossible choix entre sa foi et sa sexualité, il finira par me dire que je ne peux pas comprendre ce qu’il vit et que je ne dois pas tenter de défendre des droits qui devraient être octroyés aux homosexuels. Ce sont des relations qui sont immatures et stériles conclura-t-il avant de reprendre son parcours de chasteté.

L’œcuménisme des tranchées

Philippe Gonzalez, maître d’enseignement et de recherche en faculté de sciences sociales et politique de l’Université de Lausanne souligne la  convergence qui existe entre évangéliques et catholiques conservateurs. Particulièrement féconde aux Etats-Unis, le sociologue décortique une genèse. «Cet œcuménisme des tranchées s’est fédérée sur une vision bourgeoise et patriarcale qui pointe l’homosexualité comme une menace de la famille ou l’islam comme une menace culturelle. Certains évêques américains ont été chercher un auditorat chez les évangéliques qu’ils n’auraient pas trouvé chez leur coreligionnaires. Il s’agissait de produire un front commun afin de s’opposer au postulat de la décadence de la société et ceci malgré des différences d’ordre doctrinales». 

En France, l’acclimatation de ce phénomène théoconservateur a utilisé la brèche ouverte par le mariage pour tous. Une alliance s’est faite entre différentes franges du catholicisme qui se sont sentis ostracisés par la proposition de loi de François Hollande malgré des divergences dogmatiques.

Romain Carnac, doctorant et chargé de recherches à l’EESP (école d’études sociales et pédagogiques) souligne quant à lui «un conflit interne dans l’église française sur l’opportunité ou pas, d’entrer en politique». Relevant une pluralité de mouvements misant sur l’aura de la manif pour tous, le doctorant constate qu’il n’y a finalement aucune stratégie globale ayant fait l’unanimité au sein de l’Eglise catholique. Selon son analyse, l’accompagnement spirituel des homosexuels tels qu’il est proposé à Paray-le-Monial a pour objectif de se couvrir de la stigmatisation en laissant prioritairement le message d’aider des gens qui seraient en souffrance. 

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