Planter sur Terre pour récolter au Ciel

Mariam Abou Dahouk / ©Aline Jaccottet
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Mariam Abou Dahouk
©Aline Jaccottet

Planter sur Terre pour récolter au Ciel

Aline Jaccottet, Al-Jeeb, «Terre sainte magazine» et Protestinfo
7 février 2019
1 PRIÈRE 1000 VÉRITÉS
Bédouine de Cisjordanie, Mariam Abou Dahouk affronte les défis d’une existence où s’entremêlent tradition et modernité grâce à la certitude de sa récompense dans l’au-delà.

On se dit d’abord que cet entretien-là, on n’arrivera pas à le mener jusqu’au bout. Il y a le téléphone qui sonne, le cousin auquel elle doit préparer le café, ses garçons qui piaillent et ses filles qui guignent (mais que fabrique maman avec cette étrangère?). On y arrive pourtant, car la belle Mariam finit par fermer la porte et livrer son histoire. Un récit où se rencontrent deux mondes: celui de la tradition et de la modernité qui comme partout ailleurs, cohabitent parfois et parfois se heurtent. Chaque pièce de sa maison, spacieuse et simplement meublée, dit quelque chose du paradoxe né de cette rencontre. À commencer par le salon des invités où des matelas recouverts de motifs traditionnels font face aux canapés or dernier cri.

Mariam Abou Dahouk vit à Al Jib, à dix kilomètres au nord-ouest de Jérusalem. Un village palestinien de Cisjordanie où tout le monde connaît les Abou Dahouk, un des clans bédouins les plus puissants et importants de la région. Mariam a ainsi au moins dix-huit frères et sœurs issus des quatre mariages de son père. À 27 ans, mère de quatre enfants, elle a épousé l’un de ses cousins qui a été choisi par ses parents. «C’est la tradition chez nous», dit-elle avec un sourire face à notre surprise. Son mari pourrait tout à fait se choisir lui aussi une autre épouse, et ne touche pas aux tâches domestiques.

Il ne s’est cependant pas opposé à elle lorsqu’elle a voulu décrocher deux sésames: un permis de conduire et un titre universitaire. Le deuxième lui a coûté quatre années d’immenses efforts. Efforts financiers: après avoir accepté qu’elle s’inscrive en bachelor de littérature anglaise à Birzeit (Ramallah), sa famille s’est serré la ceinture comme jamais. «Je n’osais pas dépenser un centime en nourriture et je passais des heures à la bibliothèque, faute d’Internet à la maison», raconte Mariam. Efforts de conduite, ensuite, car ses faits et gestes sont surveillés. «Je n’ai jamais parlé à un homme, si ce n’est aux professeurs, et je n’allais jamais boire un café après les cours comme tout le monde.» Efforts ménagers enfin, car aucune tâche ne lui est épargnée. «Je me levais à cinq heures du matin pour cuire le pain, nettoyer et nourrir les bêtes.» Outre ces difficultés, la gracieuse Mariam a découvert l’existence d’une forme de racisme anti-bédouins «qui touche aussi la société palestinienne.» Elle en est certaine, c’est à cause de cela qu’elle ne parvient pas à trouver un emploi, malgré ses compétences linguistiques recherchées.

À ces obstacles, Mariam oppose son énergie, sa joie de vivre. Curieuse et cultivée, son anglais parfait lui permet d’expliquer les défis de sa vie bédouine aux étrangers qui s’y intéressent. Un rôle qu’elle joue avec bonheur, certaine de faire ce qui est juste pour elle-même, pour sa famille et son clan et pour plaire à Dieu.

Que représente Dieu pour vous?

Il est mon protecteur. Grâce à Lui, mon existence sur terre n’est pas vaine: quelque chose de bon m’attend de l’autre côté, parce que Dieu est content de moi. Je marche droit, j’éduque mes enfants comme il faut, je suis une bonne épouse, une belle-fille comme il faut, une sœur aimante. Dieu m’en récompensera dans la vie à venir, à laquelle je me prépare comme tout bon musulman. Comme on dit chez nous: lorsqu’on plante une graine sur Terre, un arbre pousse au Ciel!

Comment vous adressez-vous à Lui?

D’abord, en priant cinq fois par jour comme l’ordonne ma religion. La plupart du temps, je me recueille dans ma chambre à coucher, parfois au salon. Jamais à la mosquée: chez nous, on considère que ce n’est pas un endroit pour une femme. Même si j’envie les dames de plus de 40 ans qui sont autorisées par Israël à aller prier à la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem! En dehors de ce rituel, j’invoque Sa puissance pour tous les aspects de ma vie quotidienne. Notre langue arabe est pleine d’expressions qui nous relient au Maître des mondes.

Avez-vous déjà été en colère contre Dieu?

Oui, mais Il m’a toujours envoyé des signes pour m’expliquer pourquoi Il avait agi ainsi. Nous ne sommes pas des machines, mais des êtres constitués d’un cœur pour croire, et d’un esprit pour penser: nous avons besoin de comprendre. Le fait d’avoir pu m’instruire en lisant m’aide beaucoup dans ce processus.

Que vous apporte la prière?

La force d’aller de l’avant. Elle fait de moi une meilleure personne. Grâce à elle, je n’oublie pas qui je suis: une musulmane. Ce qui me remplit de fierté, car nous sommes la dernière des religions envoyées par Dieu pour réaliser la prophétie sur Terre.

Dis moi comment tu pries

Comprendre le réel en plongeant dans l’invisible, c’est l’ambition de la série «1 prière 1000 vérités», dont ce texte fait partie. À partir de janvier 2019, vous y lirez chaque jeudi le portrait d’un juif, d’un chrétien ou d’un musulman de Terre sainte qui se confie sur son lien à Dieu et au monde. Des entretiens proposés par «Terre sainte magazine» et Protestinfo où se disent la joie de la foi et la complexité des conflits intérieurs et extérieurs en une riche mosaïque. Un projet mené par la journaliste suisse Aline Jaccottet qui a fait du dialogue sa boussole dans l’exploration de cette région du monde éreintée par les murs.

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Des photos sont disponibles pour les médias partenaires.