Le moment où la société fait corps

"La Communion des Réformés", dessin de Bernard Picart, 1732 / ©Public domain, via Wikimedia Commons
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"La Communion des Réformés", dessin de Bernard Picart, 1732
©Public domain, via Wikimedia Commons

Le moment où la société fait corps

Christian Grosse
La cène représentait une pierre d’achoppement pour les réformateurs qui peinaient à trouver un accord sur son sens et sa pratique. Trois questions à l’historien Christian Grosse (UNIL), spécialiste de Calvin.

Que représentait la cène pour les réformateurs?

Zwingli défend une présence symbolique du Christ dans les espèces, alors que l’Eglise romaine a adopté le principe de transsubstantiation. Le vin et le pain sont substantiellement convertis en corps et en sang du Christ, alors que la consubstantiation prônée par Luther exclut que les espèces se transforment, elles reçoivent en substance la présence du Christ. Calvin se trouve plutôt entre Zwingli et Luther: il maintient l’idée d’une présence du Christ, mais uniquement sous forme spirituelle. L’idée de la présence réelle du Christ est assez généralement combattue par les réformateurs, c’est ce qui fera dire à Théodore de Bèze au colloque de Poissy lors duquel le roi de France espère trouver un consensus entre les confessions: «Le corps et le sang du Christ sont aussi éloignés du pain et du vin, que le ciel l’est de la terre».

On insiste cependant sur le caractère communautaire de la célébration. C’était déjà le cas dès le moyen âge où l’on insistait sur la représentation du pain comme un ensemble de plusieurs grains. Sous Calvin, la cène est aussi un moment où toute la société fait corps. Derrière la table de communion, les ministres distribuent le pain et les magistrats le vin. C’est donc non seulement un moment d’unité de l’Eglise, mais de la société tout entière. La sanction est donc d’autant plus lourde pour les excommuniés qui, s’ils étaient exclus de la communion, restaient tenus de participer au culte ! La sanction revêtait donc un caractère public.

Cette sanction était-elle fréquente?

Assez, mais il était rare qu’elle soit définitive, le plus souvent, les personnes qui avaient commis une faute subissaient des suspensions de cène. Pour réintégrer le rite, elles devaient se présenter devant le Consistoire pour démontrer qu’elles avaient fait pénitence. C’est pour cela que le Consistoire, qui d’ordinaire se réunissait une fois par semaine, devait se réunir deux fois la semaine précédant une célébration de la cène. Souvent, ces personnes sont accusées de ne pas être assez instruites des choses de la foi, ou alors, elles ont commis divers péchés, tels qu’une infidélité. On leur inflige parfois l’obligation de se mettre à genoux dans la rue en signe de pénitence, dans les cas de blasphème.

On accordait donc au rite une importance certaine.

Quand on communie, on fait l’expérience de la présence du Christ, pour Calvin. Mais c’est aussi une épreuve! «Il ne faut pas que ces espèces se convertissent à poison», selon sa formule. Si vous avez pris la cène sans en être digne, la présence du Christ vous fait ressentir beaucoup plus fautif.

Comment la cène se déroulait-elle?

La table de communion se trouvait au pied de la chaire au centre du temple. Tout autour, il y avait des bancs. Calvin aurait souhaité célébrer la cène tous les dimanches, mais quand il est arrivé à Genève, la pratique zwinglienne s’était déjà imposée. On célébrait la cène trois fois par année: à Noël, à Pâques et à la Pentecôte. Un compromis a donc été trouvé sous la forme d’une quatrième célébration annuelle qui s’est ajoutée au mois de septembre.