Frédéric Rognon, la volonté de non-puissance

Frédéric Rognon / © Julien Kam
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Frédéric Rognon
© Julien Kam

Frédéric Rognon, la volonté de non-puissance

Communauté
Le philosophe protestant a découvert la non-violence au Larzac dans les années 1970. Un point de départ pour une vie et une réflexion axées autour du refus de l’abus de la force. Et autour de la communauté.

Philosophe, théologien, auteur, directeur de publication de la revue Foi & vie, Frédéric Rognon vit plongé dans les livres: son bureau en est couvert du sol au plafond. Cette année, l’enseignant à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg a même pris un congé sabbatique pour explorer «la notion d’amour chez Kierkegaard». Mais celui qui a aussi été pasteur et aumônier des prisons le reconnaît: «Le côté relationnel me manque.» Car Frédéric Rognon n’a rien d’un chercheur féru de solitude. Au contraire: son élément, c’est la communauté.

Il faut dire qu’il est tombé dans le bain très jeune. A Lyon, il grandit dans un foyer où la table accueille toujours plein d’amis, entouré de parents «très engagés dans l’Eglise : mission sociale, alphabétisation, accueil des migrants, mais pas militants politiquement». Il s’intéresse tôt aux questions sociales, environnementales. Il a 15 ans quand des amis de la famille, participant à des rassemblements antimilitaristes et antinucléaires, lui proposent de les rejoindre.

C’est ainsi qu’il participe au mouvement – aujourd’hui mythique – du Larzac, dans l’Aveyron: «J’ai découvert ce qu’était l’écologie, à l’époque indissociable de la non-violence.» On l’oublie souvent, mais la non-violence est au coeur du mouvement de désobéissance civile du Larzac, qui luttait contre l’extension d’un camp militaire. Et cela a réussi! En 1981, le projet est abandonné.

La non-violence, clé de cette lutte, y a été amenée par Lanza del Vasto (1901- 1981). Ce philosophe, écrivain, poète, musicien et surtout disciple de Gandhi marque profondément Frédéric Rognon. Il écrit un livre sur ce personnage hors norme. Mais surtout, il rejoint, en 1989, avec son épouse et leur fils, les Communautés de l’Arche, fondées par Lanza à Bonnecombe (Aveyron). Non-violence, décroissance… vécues au jour le jour. Un choc! «Moi qui suis un intellectuel, je ne connaissais pas le travail de la terre. J’y ai appris le métier de maraîcher, et je me suis passionné pour le travail des mains.» De cette expérience, il retire le «virus de la communauté», comprenez: la conviction que cet échelon est le plus pertinent pour «avancer socialement et intérieurement», notamment pour les combats écologiques qui lui tiennent à coeur.

J’attends de ceux qui défendent des idées qu’ils les mettent en pratique

Aujourd’hui, Frédéric Rognon jardine toujours et jette un regard un peu nostalgique sur cette époque faite de sobriété et de liens riches. «J’y ai vécu de mes 28 à mes 34 ans, c’était sans doute la période la plus cohérente de ma vie.» Fondamental pour celui qui explique attendre de ceux et celles qui défendent des idées «qu’ils les mettent en pratique».

Et de citer une seconde rencontre qui a renforcé sa conviction: celle de Jacques Ellul (1912-1994). Frédéric Rognon a écrit deux livres sur le penseur protestant, et a consacré un troisième ouvrage à la notion de «non-puissance» élaborée par Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, pour en tirer une interprétation chrétienne. Cette idée de «puissance retenue», soit «de ne pas faire tout ce qu’il est possible de faire», est l’un des fondements théologiques et éthiques cités par l’Eglise protestante unie de France lors de son Synode national de 2021.

La non-puissance s’applique aussi – mais pas seulement – à la haine, que Frédéric Rognon a côtoyée de très près. Envoyé comme professeur en Nouvelle-Calédonie, alors en plein conflit indépendantiste, il voit son appartement détruit, retrouve une bombe posée dans sa cuisine. Il aurait pu faire le choix de partir; il décida de rester, en prenant ses précautions. «Dans la violence il y a toujours la négation de l’autre. Pour tenir dans de telles situations, ou dans des actions non violentes, il faut un ancrage spirituel très fort, quelle que soit la croyance. Il faut ‹museler› sa violence.»

C’est durant ses années auprès des Communautés de l’Arche que Frédéric Rognon est «revenu à la source», a approfondi sa lecture de la Bible et des sources, y compris en grec. Il reprend des études de théologie en 1994 et devient pasteur de paroisse au Havre, avant d’être sollicité par l’université, en 2002, qu’il n’a plus quittée depuis. Ce qui ne l’empêche pas de retrouver ses paroissien·nes le temps de suffragances d’été. Le fameux «virus de la communauté»…

Bio express

1961 Naissance à Paris
1977 Militant au Larzac
1978 Rencontre avec Lanza del Vasto
1979 Etudes d’anthropologie et de philosophie
1986-1989 Professeur de philosophie en Nouvelle-Calédonie
1989-1995 Engagement dans les Communautés de l’Arche
1994 Etudes de théologie
1998-2001 Pasteur au Havre
2001 Maître de conférences en philosophie et anthropologie de la religion, Faculté de théologie protestante de Strasbourg
2007 Professeur de philosophie de la religion, Faculté de théologie protestante de Strasbourg
2020 Co-organise un colloque d’écothéologie (Eglises et écologie, Labor & Fides, 2020; La Nouvelle Théologie verte, Labor et Fides, 2021)

A Crêt-Bérard

Frédéric Rognon participe au festival Livre à vivre de Crêt-Bérard (VD), avec une conférence intitulée «Quelle espérance face aux défis écologiques?», le 7 mai, à 13h, et une prédication autour de la «non–puissance», lors du culte du 8 mai, à 9h.

Infos : www.livreavivre.ch.

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