19 décembre 2017

«La guerre civile n’est pas près de s’éteindre en Syrie»

Issam et Nada Hakim, chrétiens originaires d'Alep sont arrivés en Suisse en 2013. Ils racontent les raisons de leur départ et leur intégration à Genève.

En 2014, La journaliste Marie Destraz brossait le portrait de Nada et Issam Hakim, deux chrétiens d'Alep qui venaient d'arriver en Suisse pour y déposer une demande d'asile. Trois ans plus tard nous les avons à nouveau rencontrés afin de prendre de leurs nouvelles. Comment s'est déroulée leur intégration? Comment perçoivent-ils la situation dans leur pays d'origine? Nous publions le premier article initialement paru dans le journal "Bonne Nouvelle" ainsi que le récit de la seconde rencontre effectuée au mois de décembre 2017.

«Nous vivions dans la peur. Alep était encerclée par les djihadistes. En tant que chrétiens, nous devions partir.» Issam est catholique, de mère protestante. Il vivait à Alep, au nord-ouest de la Syrie. Il y a un an, il a fui son pays pour les Pays-Bas puis a rejoint la Suisse il y a neuf mois. Sa femme Nada est orthodoxe. Elle a retrouvé son mari il y a trois mois, dans un petit appartement des Pâquis à Genève. «La guerre civile s’est transformée en guerre des religions et la minorité chrétienne doit se convertir à l’islam ou partir pour ne pas mourir. Mais sans argent, c’est impossible», explique Issam. Bombes, kidnappings, meurtres, la liste des violences subies par les chrétiens d’Alep est longue.

A côté de son mari, Nada peine à retenir ses larmes. Depuis le départ d’Issam, la situation a empiré à Alep: «Je ne sortais plus de chez moi. Je retenais ma respiration au passage des avions. Nous dormions dans les couloirs des maisons, loin des fenêtres. Le balcon de la maison d’en face a explosé sous nos yeux. Les enfants ne sortaient plus dans la rue et la plupart des écoles ont fermé. Il n’y avait plus d’électricité et les vivres manquaient, explique Nada. Malgré les violences et les enlèvements de religieux dans le pays, les églises de notre quartier étaient ouvertes. Elles distribuaient de la nourriture et l’eau de leurs puits. Les offices avaient toujours lieu, mais peu de gens s’y rendaient encore, de peur de se faire tuer sur le chemin», continue-t-elle.

«Nous avions une bonne situation en Syrie. J’étais ingénieur et ma femme possédait des terrains. Nous partions en vacances à Lattaquié, au bord de la Méditerranée. Une ville alaouite, la religion de Bachar el-Assad, qui bénéficiait d’une protection de l’Etat. L’endroit était sûr.» Pour s’y rendre, un trajet en bus de cent vingt kilomètres à parcourir en quinze heures. «Ma femme devait se couvrir. Je traversais les barrages la main sur le cœur, craignant les contrôles: sur mon passeport figure le nom de mon père, Pierre. Un nom typiquement chrétien qui aurait pu signer mon arrêt de mort», raconte Issam.

Nada a la gorge serrée. «Nous vivions dans un stress permanent. Nous avons perdu des proches et des voisins sous les bombes. Des amis pris en otage sont revenus traumatisés. L’un d’eux a été attaché une semaine sur une chaise les yeux bandés, torturé jusqu’à ce que sa famille paie la rançon.» Issam et sa femme n’ont pas subi de violences directes, mais «des chrétiens sont égorgés, d’autres sont crucifiés à l’extérieur de la ville. Nous ne pouvions pas rester.» Nada fait du café. Elle sort des biscuits aux pistaches et au sésame, une recette de son pays.

Elle parle de la situation des femmes. «Avant l’arrivée des djihadistes, nous étions libres. Les jeunes sortaient jusqu’à 2h du matin. Aujourd’hui, à 17h, les rues sont vides. Les jeunes femmes n’osent plus sortir seules, même en voiture. Si leur chemin croise un djihadiste, elles se font tuer et la voiture est volée.» Issam et Nada ont deux filles. L’une d’elles s’est réfugiée en Espagne avec son mari, profitant de son voyage de noces. Ils n’ont plus de nouvelles de la seconde restée en Syrie.

Avec les événements en Irak, «la crainte augmente chez les Syriens». Le silence occidental révolte Issam: «Personne ne bouge. Les Eglises appellent à la prière, mais ça ne suffit plus. Elles doivent faire pression sur les gouvernements.» Une intervention militaire serait-elle la solution ? Issam l’ignore. Nada se sent abandonnée. Pourtant «notre foi est plus forte depuis que nous sommes en Suisse. Cette chance, nous la devons à Dieu. Mais qui sait s’il en aurait été de même si nous étions restés. La charité chrétienne a du bon. Mais nous ne voulons plus tendre l’autre joue. Si j’étais resté dans mon pays, j’aurais pris les armes pour défendre ma famille, confie Issam. A Genève, notre vie peut recommencer. Je vais régulièrement à l’église protestante de Bernex et je m’y sens bien», conclut-il. 

(Marie Destraz, bonne nouvelle, octobre 2014)

 

Trois ans après avoir réalisé ce portrait nous avons voulu renouer avec Issam et Nada Hakim. Sont-ils toujours en Suisse? Quel est leur statut? Qu’est devenue leur famille? Comment jugent-ils l’évolution du conflit en Syrie? Pourraient-ils envisager un retour sur leur terre natale? Si oui, à quelle conditions? 

Nous retrouvons Issam non plus chez lui, dans le petit appartement familial, mais dans une bijouterie de luxe qui a pignon dans un hôtel chic de Genève. «Maintenant, je travaille et je paie des impôts!», annonce fièrement Issam Hakim. L’accueil est toujours aussi chaleureux et l’entretien ne peut commencer qu’une fois le premier café dégusté. La bijouterie appartient à un cousin basé à Beyrouth. «Quand son employé est parti, le propriétaire de la boutique m’a proposé de reprendre la gérance. Un de ses fils nous a formés, ma femme et moi.»

L’ingénieur en télécom s’est donc transformé en bijoutier de luxe. La dimension épurée et un brin austère de l’échoppe tranche avec ses quelques vitrines qui mettent en scène des colliers, des bagues et des montres dégoulinant de saphirs, de diamants et de rubis. «Vous et moi, nous n’aurons certainement jamais les moyens d’offrir ce genre de cadeaux à nos femmes», nous glisse-t-il avec un petit sourire malicieux, «la majeure partie de la clientèle sont des personnes originaires du golfe.»

Issam et Nada Hakim sont surtout très fiers d’avoir pu régulariser leur situation en Suisse. Leur intégration s’est déroulée sans aucune anicroche: « La Suisse est un pays généreux, avec des institutions qui fonctionnent bien. Seul bémol avancé par le couple, leur permis F: «Nous ne pouvons pas quitter le territoire helvétique même pour des vacances. Notre fille va bientôt accoucher en Espagne et nous ne serons pas là. C’est dur», nous confie Nada. Leur seconde fille dont ils étaient sans nouvelles au moment de la parution de l’article précédent a pu rejoindre ses parents en Suisse. Son enfant est scolarisé dans un établissement genevois. «Grâce à Dieu, toute la famille va bien!»

Quand on aborde la situation actuelle en Syrie, Hissam se montre prudent: «Oui, Daech a perdu une partie importante de son territoire mais j’ai peur que des cellules dormantes subsistent». Mais ce n’est pas seulement Daech qui inquiète le couple Hakim: «Le pays s’est fragmenté en plusieurs communautés. On trouve des troupes menées par les Kurdes, le gouvernement, les Russes, ou encore des mouvement islamistes. La guerre civile n’est pas près de s’éteindre en Syrie», se désole Issam. Quand on le questionne sur le régime de Bachar el-Assad, il se montre également prudent: «le gouvernement de Bachar n’a rien à voir avec la démocratie comme on la trouve ici en Europe, mais au moins on vivait en sécurité», analyse-t-il. 

(Guillaume Henchoz, Réformés.ch, décembre 2017)