En dépit de...

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[pas de légende]

En dépit de...

17 juillet 2023

Dans mon dernier blog, je me suis lancé un défit en faisant allusion au roman Némésis de Philip Roth. Son héros fait l'atroce expérience que, si Dieu existe, il ne peut être que diabolique. Dans ce blog je n'ai pas voulu esquisser ce qu'un chrétien devrait répondre à quelqu'un qui fait une si abominable expérience. En effet, je me suis donné un certain nombre de signes pour mes blogs que j'essaye de ne pas dépasser. Je ne puis cependant me dérober. Comment répondre en chrétien à Eugene Cantor et à son expérience de vie négative sur toute la ligne ? La réponse de sa fiancée, Marcia Steinberg, est-elle acceptable ? Elle répond inexorablement à Buddy Cantor que Dieu n'a rien à voir avec le mal qui s'acharne sur lui.

Comme je l'avais déjà précisé dans mon blog du 17 février dernier, Dieu étant au ciel et nous sur terre, nous ne pouvons rien savoir ni dire « sur » Dieu. Dieu a-t-il voulu ce qui arrive à Cantor ? L'a-t-il seulement permis ? N'a-t-il rien à voir avec cette horrible série de maux ? Nous ne sommes pas à même de nous prononcer. A propos de Dieu, nous ne pouvons que nous référer à ce qu'il nous a dit de lui en Jésus de Nazareth. Que nous a-t-il dit ? que nous avons tous une valeur incommensurable à ses yeux. Il nous a dit qu'il nous voulait libres. Il nous a dit qu'il désirait que nous puissions vivre dans la vérité.

Or tout cela vient si souvent butter contre nos expériences. Nous n'avons de valeur aux yeux de nos congénères que quand cela les arrange. Quand ils peuvent y trouver leur profit. Comment se pourrait-il qu'un être soit si plein d'amour qu'il nous aime sans condition ? Cela est mondainement incroyable. Et qu'est-ce qui nous prouve que Dieu tient parole ? Cela nous fait une belle jambe qu'on nous dise que nous avons une valeur infinie, sans que nous ayons à la mériter de quelque façon que ce soit, si cela reste sans effet. Si cela ne change rien à ce que nous expérimentons dans notre vie de la part d'autrui, de la société, du monde naturel qui s'acharnent contre nous, à quoi bon cette parole prétendument venue de Dieu ? Il en va encore de même à propos des promesses de liberté et de vérité que Jésus nous a faites de la part de son Père.

Dans mon dernier blog, j'affirmais que la foi est affaire de volonté, non d'expérience. Elle est un pari, non un calcul rationnel. Etre chrétien c'est croire en dépit de tout ce que je puis expérimenter de négatif que ma vie vaut infiniment aux yeux de quelqu'un qui ne fait – semble-t-il – que me le dire. La foi est toujours « en dépit de... ». Je vaux infiniment en dépit de l'insignifiance de ma vie qui n'en est qu'une parmi des milliards d'autres vies humaines. Je vaux infiniment en dépit de toutes mes faiblesses sur lesquels les autres ne cessent de mettre voluptueusement le doigt pour cacher les leurs. Je suis libre en dépit de tout ce qui me détermine. Dieu me promet que je puis être vrai avec moi-même même si je suis tiraillé dans tous les sens et plein de contradictions...

Objection : je veux bien croire « en dépit de tout » que la parole dite par Jésus est bien parole de Dieu, mais à condition que cela change résolument quelque chose à ma vie. En quoi ces belles promesses me sont-elles utiles ? Reprenons l'exemple d'Eugene Cantor pour répondre à cette question.

Vers la fin du roman, on apprend que Cantor a refusé l'offre de sa fiancée, Marcia, de se marier comme cela avait été prévu avant qu'il contamine des innocents et qu'il soit lui-même victime de la poliomyélite. Il ne se sent plus à la hauteur. Il est coupable de contaminations. Il n'est plus le beau professeur d'éducation physique qui pouvait cultiver son corps. Il n'a pas la valeur qu'il estime devoir avoir pour épouser Marcia. Il n'a que faire de l'amour de Marcia qu'il ne mérite plus. C'est ici que la parole évangélique devrait retentir pour Eugene. Elle lui dirait qu'en dépit de sa responsabilité (absente de toute culpabilité) en matière de transmission du virus, qu'en dépit de ses déficiences physiques graves, sa vie conserve une valeur infinie. C'est bien ce que Marcia tente de lui dire en lui réitérant l'affirmation de son amour. Il ne peut toutefois l'entendre, car pour lui un amour se mérite. L'évangile va peut-être plus loin que Marcia en précisant que la valeur de Cantor est inconditionnelle. Elle ne dépend d'aucun prix payé pour l'obtenir. Elle ne dépend pas de ses œuvres. Elle en dépend d'autant moins que personne ne peut avoir une valeur plénière par ses propres forces. Il restera toujours des efforts qui pourraient être faits pour être encore plus valeureux.

Cantor devrait croire en la vérité de cette parole évangélique en dépit de son incapacité à mériter la valeur que Marcia reconnaît à sa vie. Il devrait avoir confiance que cette parole est vraie en dépit de celui qui la lui dit et qui lui apparaît comme un monstre au vu de ce qu'il lui a fait vivre. Car cette parole qui dit l'inconditionnalité d'un amour ne peut être une parole humaine. Ce ne peut être qu'une parole de Dieu. En la croyant vraie, Cantor croirait que Dieu existe et dit vrai en dépit de tout ce qui lui est arrivé. Il va de soi qu'il peut fort bien choisir de ne pas parier que cette parole est vraie. Comme la fin du roman le décrit, il s'enfoncerait toujours davantage dans son désespoir et sa déchéance, désespoir et déchéance que Philip Roth décrit dans les la partie de son roman qui précède l'épilogue.

Si Cantor avait mis sa confiance dans l'évangile, il aurait pu vivre sa vie bien mieux que sans elle en dépit de tout...

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