Israël, un État juif avant tout

Le bâtiment de la Knesset / iStock/Sean Pavone
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Le bâtiment de la Knesset
iStock/Sean Pavone

Israël, un État juif avant tout

19 juillet 2018
Le Parlement israélien a accepté jeudi une loi sur l’État-nation privilégiant clairement ses citoyens juifs. Une décision qui interroge sur l’avenir de la démocratie israélienne.

Par 62 voix pour, 55 oppositions et 2 abstentions, la Knesset a tranché: Israël est avant tout un Éat juif. Les parlementaires ont ainsi adopté comme quinzième loi fondamentale un texte affirmant qu’«Israël est l’État-nation du peuple juif dans lequel il réalise son droit naturel, culturel, historique et religieux à l’autodétermination», sans un mot sur ce à quoi auraient droit d’autres communautés. Le document énumère les symboles de l’État, soit l’hymne, le drapeau, le chandelier à sept branches, mais aussi le calendrier hébraïque et les fêtes juives. Le texte enterre plus profondément encore l’idée d’un partage de Jérusalem avec les Palestiniens en affirmant que la ville est capitale d’Israël, «entière et unie». Il encourage la construction et le développement de colonies en Cisjordanie en affirmant qu’il s’agit d’une «valeur nationale». Il affirme aussi qu’Israël s’investira dans ses relations avec le monde juif à l’étranger sans un mot sur la manière dont l’État devrait préserver l’héritage des juifs en Israël. Enfin, il annonce que l’idiome national est l’hébreu. Exit l’arabe, qui avait auparavant ce statut et se transforme en «langue spéciale».

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Shuki Friedmann, directeur du centre Religion, nation et État à l’Institut pour la démocratie en Israël
©Institut pour la démocratie en Israël

En somme, de quoi faire trembler la minorité non-juive du pays: les Arabes israéliens, qui représentent 17,5% des citoyens du pays et qui ont crié jeudi à l’apartheid, soutenus par la gauche et les Israéliens qui ne se reconnaissent pas dans ce tournant religieux dont Shuki Friedmann, directeur du centre Religion, nation et État à l’Institut pour la démocratie en Israël, explique les enjeux. 

Quelles sont les conséquences de l’acceptation de cette loi?

Dans l’immédiat, il n’y en a aucune. La plupart des articles que contient ce texte ont une portée déclarative. À plus long terme et sur le plan juridique, il va en revanche inciter les juges de la Haute Cour de justice, l’organe judiciaire suprême du pays, à favoriser le caractère juif de l’État lorsqu’ils devront traiter des affaires dans lesquelles il faudra trouver un équilibre avec les valeurs démocratiques.

Quels articles jugez-vous particulièrement problématiques?

Celui qui stipule que l’État agira en dehors d’Israël exclusivement pour préserver les liens entre l’État et les membres du peuple juif. Cela signifie qu’à l’intérieur d’Israël, le gouvernement va pouvoir mener des actions portant atteinte aux juifs de l’étranger, ou à leurs relations avec Israël. Avec cette loi, on se dirige vers une séparation nette entre les juifs de l’étranger et les affaires israéliennes.

Benjamin Netanyahou a pourtant besoin du soutien des juifs de diaspora!

Le problème, c’est que le judaïsme réformé qu’ils pratiquent est profondément désapprouvé par les ultra-religieux dont Netanyahou a besoin pour gouverner. Pour les ultra-orthodoxes, seule l’acceptation orthodoxe du judaïsme doit avoir son mot à dire en Israël. C’est déjà le cas à travers le rabbinat qui légifère sur le statut personnel des Israéliens – les mariages, les divorces, les conversions et j’en passe. Les ultraconservateurs gagnent du terrain, on le voit dans la bataille autour de la prière mixte au mur des Lamentations.

Peut-on donc encore parler d’État démocratique?

Tout à fait. Nous avons la liberté d’expression, des élections, une opposition qui fonctionne et qui a d’ailleurs réussi à faire remanier en profondeur le texte accepté jeudi. À la base, la loi aurait dû prévoir le recours à la loi juive en l’absence de jurisprudence dans un domaine, la création de communautés interdites aux non-juifs ou l’obligation pour les juges de la Haute Cour de justice de favoriser le judaïsme en cas de collusion avec la démocratie. Si ce n’est pas le cas, c’est parce que la démocratie fonctionne. Les citoyens non-juifs d’Israël se sentent tout de même fortement lésés! Il y a en effet un vrai problème Israël n’a jamais inscrit l’égalité entre citoyens dans ses lois fondamentales, même pas dans celle de 1992 qui traite de la dignité humaine et de la liberté.

Au fond, le fait qu’un État soi-disant démocratique favorise les adeptes d’une religion, n’est-ce pas profondément contradictoire?

Oui, mais le judaïsme, ce n’est pas qu’une religion: c’est l’appartenance à une nation! Et il n’y a aucun problème à être un État-nation et une démocratie, plusieurs pays conjuguent les deux. La contradiction peut survenir quand on envisage le judaïsme sous l’angle de la pratique religieuse. C’est là qu’Israël cherche un équilibre — un équilibre profondément modifié par la loi passée jeudi à la Knesset.